Montre-moi tes fèces, je te dirai qui tu es!

Fèces, laissées, crottes, crottins, excréments… On parle toujours de la même chose: de ces petits ou gros tas de caca qu’on rencontre très souvent en plein milieu des sentiers de randonnée et en toutes saisons. Ils révèlent la présence animale aussi bien que les empreintes dans la boue ou la neige, mais leur taille, leur forme, leur couleur et surtout leur contenu fournissent une mine d’informations propres à constituer la carte d’identité de leur ex-propriétaire. Voici un guide pour vous aider à mieux identifier ces «cacas fauniques» et à ne plus confondre un crottin d’ours avec celui d’un raton laveur, une crotte de chien avec celle d’un coyote, tout en en apprenant davantage sur la bête elle-même. Laissez-vous guider dans ce jeu de pistes!

À chacun sa crotte!
D’entrée de jeu, disons que la «crotologie» (marque non déposée) est loin d’être une science exacte. «C’est tout un art de parvenir à distinguer les animaux de cette façon», estime Normand Blanchette, naturaliste au parc national de la Jacques-Cartier. De fait, il faut avoir l’œil, utiliser un bâton, voire des gants, mêler plusieurs indices (forme, dimension, contenu, emplacement, environnement…) et y aller par déduction pour mettre un nom sur l’animal dépositaire. Jeune ou vieille crotte, produite en été ou en hiver, par un jeune ou un adulte… Beaucoup de variables entrent en ligne de compte, mais il y a tout de même des marques distinctives.

Le crottin est d’abord un très bon indicateur du régime alimentaire de l’animal et peut nous permettre de déterminer s’il est carnivore, herbivore ou omnivore. Si c’est l’été et que le crottin est plein de petits fruits, de noyaux ou de débris de plantes, vous êtes forcément sur la trace d’un herbivore (orignal, caribou, cerf de Virginie, lièvre…) ou d’un omnivore (ours, renard…). L’hiver, par contre, les herbivores sont au régime sec et leurs cacas, qu’on repère aussi souvent après la fonte des neiges, le sont aussi, ressemblant quasiment à du bran de scie. C’est à l’odeur et au bout du bâton, en défaisant la crotte pour voir si elle est pleine de poils ou de petits morceaux d’os, qu’on saura s’il s’agit d’un prédateur carnivore, comme un coyote, un lynx, un renard ou un loup.

La forme du crottin est aussi caractéristique. Les cervidés herbivores (orignal, caribou, cerf) éjectent des boules rondes ou ovales, alors que les canidés (loups, coyotes) ou les félins (lynx) font plutôt des crottes torsadées, molles et effilées à au moins une extrémité.

La couleur est un autre indice, mais elle dépend de la fraîcheur du «dépôt» et de l’ingestion de certains aliments. Au printemps, par exemple, une vieille crotte d’ours ou de coyote peut être blanche, alors qu’elle sera foncée en été. Les habitudes des animaux sauvages nous donnent enfin de précieux indices. Le long des sentiers, ne cherchez pas de crottes de lynx. C’est un animal forestier, très furtif, qu’on retrouve surtout dans les sapinières. Ses crottes se voient donc plutôt en forêt, alors que le renard ou le coyote adorent marquer leurs territoires respectifs sur nos sentiers, en laissant des messages aux autres, par voie d’urine ou d’excréments, sur des points élevés et bien visibles. Le long des sentiers, on trouvera aussi facilement des crottes de lièvres, d’ours, de cerfs ou d’orignaux.

Les crottins faciles
Commençons par l’ami lièvre qui fait de petits tas de crottes en forme de boulettes, façon Smarties. Sa caractéristique est qu’il est coprophage, c’est-à-dire qu’il pratique la double, voire la triple digestion pour optimiser son apport énergétique. Son premier crottin est «tendre comme de la pâte à modeler et vert à l’intérieur», dit Jean-François Houle, responsable de la conservation et de l’éducation au parc Forillon. Il est rare d’en trouver, car le lièvre ravale tout. Après une seconde digestion, le crottin est beaucoup plus sec et clair. Il a une texture fibreuse, proche de la sciure de bois, couleur brunâtre.

Le raton laveur, omnivore très présent au Québec notamment dans les campings, a un crottin granuleux brun ou roux, parfois noir ou blanchâtre, de forme irrégulière mais souvent cylindrique et non effilée, d’environ 2,5 cm de long. Le reconnaître n’est pas toujours aisé, sauf que c’est le seul animal à avoir des W.-C. en plein air! «Il revient presque toujours au même endroit, explique Jean-François Houle. Il y fait ses latrines, généralement au pied d’un gros arbre.»

Le castor ? Vous ne verrez pas souvent son crottin, car c’est sous l’eau que ça se passe pour lui. «Il a la forme et la taille d’un petit œuf, de couleur pâle», souligne Denis Henri, garde-parc aux parcs nationaux des Îles-de-Boucherville et de Saint-Bruno. Comme le lièvre, le castor remâche son crottin pour compléter la digestion des matières végétales. Brillant.

Difficile aussi de rater les fèces de l’ours noir. «Toutes saisons confondues, le régime alimentaire de cet omnivore est constitué à 90 % de végétaux», dit Arnaud Mosnier, docteur en biologie de l’Université du Québec à Rimouski, qui a étudié le crottin des ours gaspésiens. S’il est grand amateur de faons d’orignaux, laissant donc beaucoup de poils dans son crottin, l’ours mange surtout des graminées au printemps, puis il se gave de petits fruits variés en été. Son crottin foncé est alors une vraie tarte aux petits fruits et noyaux, disposée en bouse ou en forme cylindrique d’environ 5 cm de diamètre, et sentant la confiture! Les fruits sont presque entiers dans le crottin, «signe d’un transit intestinal très rapide», souligne Hélène Jolicœur, biologiste au ministère des Ressources naturelles et de la Faune, ajoutant qu’en fin d’été l’ours mange aussi beaucoup d’insectes, de fourmis, d’œufs, de glands. Certains pensent qu’en redonnant à la nature des graines quasi intactes, l’ours contribue à disséminer certaines espèces végétales, à la manière d’une abeille. Il s’adapte aussi aux conditions climatiques, se nourrissant dans les sapins ou épinettes en forêt boréale, au sud dans les arbres à fruits plus durs et riches en gras. Après la saison des baies, il se replie sur le sorbier, au fruit riche en sucre et persistant en hiver… pour engraisser avant de rentrer dans sa tanière.

Les grands cervidés à la trace
Les cervidés herbivores ont des crottins très différents en été et en hiver, compte tenu de leur alimentation. L’orignal, par exemple, éjecte une vraie bouse de vache, molle, en été, période où il se nourrit essentiellement d’une «salade» de plantes aquatiques et de feuillages, explique Lise Gênois, coordonnatrice à l’éducation au parc national de la Jacques-Cartier. Le ruminant aux quatre estomacs adopte une nourriture de plus en plus sèche au fur et à mesure que les saisons avancent. Avec les bourgeons, les brindilles et les ramilles broutés, la bouse se transforme en boules plus compactes. En hiver, ajoute son collègue du parc national de la Gaspésie, Claude Isabel, l’orignal est carrément au régime sec et laisse derrière lui, en forêt, sur les sentiers ou au pied des conifères dans ses ravages, de petits tas de boules ovales d’à peine un pouce de long, dont le contenu est comme de la sciure de bois.

Même chose pour le cerf de Virginie et le caribou: le premier fait néanmoins des crottins plus petits que ceux de l’orignal, style boulettes de lièvre mais plus foncées et plus allongées, en amas ou séparées; le second lâche aussi l’été des fèces en forme de bouse ou de «boules rondes, grosses comme le bout du pouce et quasiment noires, ajoute Claude Isabel. On les trouve soit en petit tas, dépassant rarement la taille d’un poing, soit éparpillées», car le caribou fait ses besoins en se déplaçant.

Loup, coyote, renard, lynx ou… chien ? 
L’idée première est de ne pas confondre la crotte de chien avec celle du loup, du coyote ou du renard. S’il n’y a pas de poils à y voir, vous êtes sur une mauvaise piste, celle du chien… Au royaume des carnivores, il n’est pas facile de distinguer les crottins! Pour reconnaître ceux des canidés (loup, renard, coyote) ou des félins (lynx), sachez qu’ils sont généralement cylindriques avec une extrémité étirée en pointe. Rappelez-vous ensuite qu’ils aiment marquer leurs territoires par leurs crottes aux fourches des chemins, près de touffes de graminées, sur des troncs morts, des pierres ou des monticules. Puis, pensez loup ou coyote en présence de crottes torsadées, finissant par une ou deux petites pointes effilées, et quand le poil (long) domine dans leur structure. La seule différence entre les deux est dans la longueur du crottin: de un à deux pouces pour le loup; inférieur à un pouce pour le coyote.

Comme le chat, le lynx a tendance à recouvrir ses excréments. Ils sont donc moins visibles. Quand ils le sont, on peut les confondre avec ceux du coyote, similaires par la forme (cylindrique), la taille (4 pouces de long, moins d’un pouce de diamètre) et la localisation comme marques de territoire, note Arnaud Mosnier. Le bâton s’impose pour les départager, le lynx mangeant surtout du lièvre (à poils courts) et le coyote, de plus gros animaux, à poils longs. Autres indices: celui d’un crottin un peu plus effilé pour le lynx et se détachant en morceaux de 2 cm de long, plutôt qu’en boules pour le coyote.

Le renard n’est pas plus facile à repérer par ses crottes, surtout l’hiver où ce carnivore mange toutes sortes de petits mammifères à poils. Un truc toutefois: son caca peut être tout blanc s’il a mangé beaucoup d’os. L’été, le renard devient omnivore et adore les beaux plateaux de petits fruits. Résultat: un crottin noirâtre, long de 5 à 10 cm, mêlé de poils, de plumes, d’os et parfois de fruits, avec, dixit Denis Henri, garde-parc aux Îles-de-Boucherville et à Saint-Bruno, «une extrémité pointue comme une crème glacée molle». Bon appétit!

Attention aux crottins!
Ne touchez jamais un crottin à main nue, car certains, comme ceux du coyote ou du renard, peuvent être porteurs de bactéries ou de virus plutôt méchants. Le joli raton laveur, par exemple, est porteur d’un parasite peu sympathique qui peut provoquer des maladies graves chez l’humain. Attention donc aux jeunes enfants qui jouent dans les carrés de sable au camping! Les crottes de petits rongeurs (souris, mulots) ne sont pas moins dangereuses. Aux amateurs de coucher en refuge ou en camp forestier, Denis Masse, biologiste de la faune au parc de la Mauricie, rappelle l’importance de bien nettoyer là où on mange, car ces petites bêtes sont porteuses du hantavirus , transmis par la crotte et qui peut provoquer une pneumonie fulgurante.