Jouer dehors chez les Bleuets
La plus belle offre de plein air, les plus beaux paysages, les habitants les plus sympathiques… À en croire les Jeannois, c’est dans leur coin de pays que ça se passe ! Géo Plein Air est « monté » jusque dans le haut du Lac-Saint-Jean pour le vérifier.
Deux heures : c’est le temps que cela a pris pour me faire adopter par la communauté félicinoise d’adeptes de ski de fond. Bon, je me pète peut-être un peu les bretelles ; je dois avoir pris un pli de Benoit Munger, mon accompagnateur ce jour-là sur les 25 km de pistes du club Tobo-Ski, à Saint-Félicien, au nord-ouest du lac Saint-Jean. Fidèle à la réputation des Bleuets, ce jeune retraité à la langue bien pendue vante très bien sa région, où il semble d’ailleurs connaître tout le monde et sa cousine. Je vous le jure : une seule sortie en sa compagnie suffit pour faire connaissance avec l’opérateur de machinerie, le jeune espoir régional de ski de fond et plusieurs membres honoraires de la ligue du vieux poêle. Voyez, j’en beurre encore épais.
Mais à peine. Les Jeannois savent se montrer aimables envers les gens de passage, à qui ils réservent un accueil chaleureux, généreux, vrai. Cela se constate jusque dans l’état du réseau de ski de fond de Tobo-Ski, fraîchement tracé et damé juste avant notre départ. « J’ai insisté pour que la machinerie sorte tôt ce matin, mentionne Benoit Munger pendant que nous enfilons nos spatules. Les conditions devraient être superbes. » Devant mon étonnement – quel lobbying efficace ! –, mon guide m’explique qu’il est un habitué et que cela, forcément, présente quelques avantages. « J’ai appris à skier ici il y a une quarantaine d’années. C’est un peu comme mon deuxième chez-moi », raconte-t-il. Considérant que le centre soufflera ses 60 bougies en 2023, on comprend qu’il fait en quelque sorte partie des meubles.
Ses prédictions s’avèrent exactes : nous filons en style libre sur du velours côtelé, jouissant d’une glisse rien de moins que parfaite – longue sans être abrasive, ferme sans être du béton. Dès nos premiers hectomètres sur la Cédrière, une piste verte idéale pour s’échauffer, je suis surpris par l’ampleur des allées. Larges d’environ 4,3 m, on peut y « skater » à deux de front sans déborder sur la trace de classique adjacente. De fait, la quasi-totalité du réseau est ainsi configurée, ce qui permet de tenir une conversation pour autant qu’on garde l’œil ouvert sur la circulation allant à contresens. L’autre détail frappant : la riche et dense forêt d’épinettes noires matures qui nous entoure et dont l’enneigement étouffe les sons procure une sensation d’enveloppement. L’expression « glisse boréale » prend ici tout son sens.
La suite est dans la même veine. Les boucles du Lac Pilote, de la Rivière à l’Ours et du Chemin du relais exploitent à merveille le dénivelé modéré du secteur, gracieuseté du flanc du Bouclier canadien sur lequel Tobo-Ski est aménagé. Cela se traduit surtout par une poignée de faux plats montants et quelques montées au dénivelé plus affirmé. La seule piste véritablement difficile du réseau porte bien son nom : les Gros Vallons. D’une longueur de 3 km et unidirectionnel, son tracé sinueux à souhait voit se succéder une série de murs qui fatiguent les quadriceps. La descente finale, vertigineuse, offre même l’occasion de jouer au casse-cou. « On atteint facilement plus de 50 km/h si on se laisse aller », affirme Benoit Munger avant de s’y ruer tête baissée, comme pris par une soudaine pulsion de mort. Il m’avouera plus tard, sur un ton détaché, y avoir « déjà cassé trois paires de bâtons en jouant au smatte ». Gloups.
Vélo sur la neige
Décidé à revenir en un seul morceau, j’opte quant à moi pour un chasse-neige timoré. Bien m’en prit, d’autant plus que le réseau de ski croise çà et là celui de fatbike, formant un enchevêtrement complexe de jonctions propices aux collisions – qui sont anecdotiques, me précise-t-on toutefois. Cette multiplicité des usages est une autre caractéristique phare de Tobo-Ski : on y pratique le ski de fond, la bécane dodue, la raquette, le ski alpin et la glissade sur tube, le tout à moins de dix minutes de bagnole du centre-ville de Saint-Félicien. Pour certains locaux, même cette relative proximité est insuffisante. C’est le cas de Yves Tremblay, un (autre) jeune retraité qui occupe l’une des quelque 23 maisons qui composent un village alpin situé à proximité du centre : de sa fenêtre, celui qu’on surnomme « Monsieur fatbike » voit « ses » sentiers de vélobèse se déployer.
« La nuit a été glaciale. Ça devrait donc être pas mal roulant », me lance le vépésiste en guise de salutation alors que je prends possession de mon vélo joufflu loué spécialement pour la circonstance. Au menu : un tour à peu près complet du propriétaire, c’est-à-dire des quelque 24 bornes du réseau de fat de Tobo-Ski. En fait, on y distingue deux sortes de pistes : celles tracées par une motoneige, assez larges, comme la boucle Desjardins sur laquelle nous décollons, et les plus étroites de type single track, façonnées à l’aide d’une Snowdog – tirée par une motoneige, cette remorque fait le travail d’une dameuse – et finies à la pelle par endroits. C’est notamment le cas de la Just-in-time, une piste technique qui exige de savoir virer, pomper et attaquer les bosses pour être pleinement appréciée. « C’est presque comme faire du vélo de montagne, observe Yves Tremblay. Mais sans les racines. »
Les pistes les plus spectaculaires sont localisées de l’autre côté de la rivière à l’Ours, qui sectionne aussi bien le réseau de fatbike que celui de raquette. Une fois la passerelle enjambée, nous entamons la montée de la boucle des Crans, dont les rampes initiales ne se laissent vaincre que lors de journées où le sol est dur. Le combat avec la gravité vaut la peine : nous débouchons sur le point culminant de Tobo-Ski, lequel s’érige sur un roc lisse pourvus de petits résineux rabougris. Du belvédère aménagé tout près, on aperçoit distinctement le lac Saint-Jean au loin, cette gigantesque cuvette glaciaire. « Vers la fin de l’été, c’est le paradis du bleuet sauvage dans le secteur. Les talles sont pleines ; il suffit de se pencher pour en ramasser », révèle mon compagnon. Fait réel ou autre exagération jeannoise ? Il va assurément falloir que je revienne pour le vérifier.
Skier dans une bleuetière
Le Haut-Lac-Saint-Jean regorge d’autres merveilleux endroits où se dépenser, tel que Albanel, municipalité sise « entre plaines et rivières », comme l’annonce un panneau à l’entrée du territoire. Ça ne pourrait être plus vrai : nous sommes là au cœur des basses terres fertiles qui ceinturent le lac. La localité n’a beau compter que 2200 habitants, on y trouve tout de même un réseau de 35 km linéaires de sentiers de ski de fond (classique et style libre) géré par l’Association des sportifs d’Albanel. Son attrait principal, la Neuvième Chute de la rivière Mistassini, réputée être parmi les plus majestueuses se jetant dans le lac, s’atteint au prix d’une traversée de 15 km. Très plat – dans le sens physique du terme –, l’itinéraire fait la part belle à d’imposants conifères entre lesquels on se faufile. Seul le chant lointain de la motoneige vient briser la quiétude des lieux.
Pour ma part, je fixe plutôt mon choix sur le centre de plein air Do-Mi-Ski, à Dolbeau-Mistassini. J’y ai rendez-vous avec Jérémie Trottier, 19 ans, membre du club de ski de fond local Nordski, pour une virée de ses terres d’entraînement dolmissoises. « Tu vas voir : ce n’est pas parce que le réseau est modeste [15 km] qu’il n’a pas une personnalité forte », s’empresse-t-il de me dire avant de s’élancer à bride abattue – c’est qu’il est à l’aise sur des skis, ce jeune homme ! Nous parcourons les uns après les autres les vallons qui longent la rivière aux Rats (musqués), en amont de laquelle se trouve la fameuse Chocolaterie des pères trappistes. Puis, tout au bout du réseau, un refuge suivi d’une face de singe nous mène droit à l’entrée d’une bleuetière, propriété de Bleuets Mistassini. On skie alors pendant 5 km au beau milieu d’un paysage lunaire, où la piste tortueuse se fait régulièrement recouvrir de neige par le souffle d’Éole. Cette fois-ci, pas de doute, le petit disait bien vrai : le Do-Mi-Ski revêt un cachet certain.
Des conteneurs douillets
Le Domaine des trois îles constitue un camp de base parfait pour se poser quelques jours, le temps d’explorer la région. S’étendant sur trois petites îles privées de la rivière Ashuapmushuan reliées entre elles par neuf ponceaux, le Domaine propose en location, en outre d’un chalet en bois rond, 23 mini-chalets de type Coolbox ; deux configurations sont disponibles, du genre « loft » pour 1 ou 2 personnes ou « chambre fermée » pour 3 ou 4 personnes. Le site, relativement paisible (on entend parfois la route 169 en bruit de fond), donne accès à la rivière, qu’on peut fouler en raquette lorsque la glace est bien prise. Le Domaine des trois îles est avantageusement situé à cinq minutes de voiture du centre-ville de Saint-Félicien.
En bref
Une tournée des centres de plein air jeannois, des centres bien enracinés dans leur communauté.
Attrait majeur
Le club Tobo-Ski, qui vaut à lui seul le détour.
Coup de cœur
Les Bleuets, dont la réputation d’amabilité n’est nullement exagérée.