La Jacques-Cartier par son arrière-pays
Tout le monde s’entiche du ski de montagne, qui consiste à gravir les hauteurs à l’aide de peaux d’ascension et à descendre des versants en quête de poudreuse. Pourtant, rien n’égale, à mon avis, le bonheur de progresser dans la neige folle en ski de fond hors-piste, en traçant des sillons sur des kilomètres et des kilomètres. C’est le genre d’aventure qu’on dévore à la pelletée au parc national de la Jacques-Cartier.
Après 20 km de ski de fond et une ascension presque ininterrompue de 600 m de dénivelé, j’ai les chevilles massacrées par mes grosses bottes de ski hors-piste 75 mm (que je n’avais pas cassées au préalable, donc ma faute), le dos trempé de sueur refroidie me faisant frissonner, et un estomac vide qui rêve d’une poutine comme jamais. Je devrais être au bord du désespoir et de l’écœurantite aiguë. Or, je suis euphorique.
Mon ami Martin Roldan et moi marquons une courte pause sur les rives du lac à l’Épaule, vaste étendue d’eau du parc national de la Jacques-Cartier au panorama sublime. Dans quelques kilomètres, nous terminerons une de mes plus belles expéditions de ski à vie : trois jours de ski hors-piste dans les contrées enneigées de ce parc. Malgré l’absence de douche durant ces trois jours, 65 km de ski au compteur et 1200 m de dénivelé positif, j’ai le sourire collé au visage.
Face au lac, je remercie intérieurement Simon Boivin, responsable des relations avec les médias à la Sépaq, qui m’a persuadé trois mois plus tôt de m’attaquer à ce parcours jugé difficile. « On sait que tu es capable de le faire », m’avait-il déclaré en me prenant par les sentiments. La conversation avait duré deux minutes. Immédiatement, j’avais senti l’appel de l’aventure. « Vendu », lui avais-je répondu.
Il arrive qu’un voyage qu’on improvise – ou pour lequel on nous convie à des fins de promotion de la destination – nous procure le plus pur ravissement. Cette invitation ne visait pas mon épanouissement personnel et professionnel, mais plutôt à faire connaître cet itinéraire méconnu mettant en lumière l’hinterland de la Jacques-Cartier d’une manière peu prisée, le ski hors-piste, loin d’être la tendance en vogue. La Sépaq a donc fait appel à Géo Plein Air pour changer la donne. Rien de moins.
NE VOUS FIEZ PAS AUX APPARENCES
La boucle commence dans le secteur à l’Épaule, site d’une tentative de colonisation au XIXe siècle, qui abrite aujourd’hui les cinq chalets Devlin, à quelques foulées du Camp Mercier, haut lieu du ski de fond dans la province. Nous tournons toutefois le dos aux pistes tracées et damées en vue de skier sur La Voie-du-Bûcheron, ancienne piste forestière menant jusqu’au tout nouveau refuge Sautauriski, 21,5 km plus loin. En théorie, cette entame s’annonce facile, car nous partons du plateau de la Jacques-Cartier, perché à 650 m d’altitude, vers la vallée de la Sautauriski, à 330 m. Prédiction : une longue descente nous attend.
Méfiez-vous des apparences (et consultez la cote de difficulté attribuée par le parc) ! La presque entièreté de la descente se fera dans les cinq derniers kilomètres. Nous nous élèverons de 350 m avant cette apothéose, l’équivalent de la station Stoneham. Durant une bonne partie de notre journée, nous fendrons la neige vierge, déployant dès lors un effort supplémentaire. N’empêche, la beauté des paysages et la tranquillité absolue – et le croisement d’un seul couple de skieurs – compenseront largement nos efforts.
Le dernier kilomètre s’effectue dans la vallée de la rivière Sautauriski, ceinturée de spectaculaires montagnes escarpées. Un tel décor appelle la contemplation.
Le refuge se situe dans cet environnement enchanteur où joue en permanence une douce trame sonore : le grondement du cours d’eau sous les plaques de glace. Malgré le froid et la fatigue, nous ne résistons pas à une balade au crépuscule, profitant du chemin de marche hivernale qui dessert notre abri.
Pour un refuge, le Sautauriski en est tout un. Loin du bric-à-brac des traditionnels shacks, cette récente construction ressemble à un chalet que tout le monde voudrait posséder. Puisqu’elle est dotée d’un chauffage d’appoint au propane, la chaleur ambiante demeure confortable en tout temps. Un réchaud de cuisine et de grandes tables invitent au plantureux festin, qui se borne quant à nous à des repas lyophilisés et une surdose de brownies. À la mezzanine, six fondeurs dorment confortablement sur d’épais matelas. Dommage que nous n’y restions qu’une seule nuit.
Le jour 2 se présente comme l’étape la plus aisée : le sentier L’Incursion ne mesure que 10,8 km, et à notre journée ne s’additionnent que les quelques kilomètres à parcourir à partir du refuge afin de rejoindre le début de la piste. Bref, aucun écueil en vue, mais gardons en tête la cote de difficulté indiquée par le parc… car encore une fois, les apparences sont trompeuses. Après avoir épousé le bord de la rivière Jacques-Cartier, nous laissant admirer à loisir son imposante vallée glaciaire, L’Incursion surplombe, à flanc de montagne, le chemin de la Vallée-de-la-Jacques-Cartier, route d’accès au Centre de découverte et de services. Les montées y sont abruptes, exigeant des efforts considérables auxquels s’ajoutent ceux qu’il faut fournir pour franchir les nombreux obstacles qui parsèment le sentier, tels des roches et des troncs d’arbres. Les descentes sont à pic et sinueuses, requérant une vigilance de tous les instants.
Au total, nous aurons monté 255 m de dénivelé et descendu 288 m jusqu’au stationnement de l’Éperon. Martin devra retirer ses grands skis à quelques reprises, sinon il y serait encore. Quant à moi qui me suis entêté à garder mes skis sans discontinuer ou presque, je paierai cette audace en courbatures. Ce sera néanmoins mon étape favorite, car nous aurons skié dans une remarquable forêt de feuillus qui ne filtre pas la lumière –j’ai quasiment attrapé un coup de soleil. L’énergie dépensée et le soleil qui nous réchauffait ont fait que j’ai rarement eu aussi chaud en hiver. C’est mon genre de Punta Canada.
Notre deuxième nuitée s’écoule au camp rustique No 6, qui fait partie d’un minuscule village de camps rustiques récemment déplacé dans ce secteur. Chacun est alimenté en électricité et muni d’un chauffage d’appoint. La rusticité n’est plus ce qu’elle était ! L’unique inconvénient est la bécosse extérieure sise à une centaine de mètres. Le petit pipi nocturne devient toute une épreuve.
Au troisième jour, légèrement courbaturés, nous nous attaquons au sentier La Rivière-à-l’Épaule, qui suit le tracé rectiligne de la rivière du même nom. C’est l’étape la moins excitante du périple, car ce chemin enneigé offre peu de variantes. Nous montons pratiquement sans relâche. Ce qui nous permet de garder le moral ? Le bonheur de passer des heures au grand air, il va sans dire, de même que la perspective de la fin prochaine de l’expédition et d’une douche chaude au chalet EXP qui nous accueillera en soirée. Ainsi, bien sûr, que celle de l’incontournable poutine d’après-ski.
Gâterie à Stoneham-et-Tewkesbury
Avant notre arrivée au parc, nous faisons halte au village de Stoneham, histoire de faire le plein d’essence, et nous découvrons, par hasard, Pascal Le Boulanger. Nous nous y approvisionnons en pizzas, croissants, chocolatines et tutti quanti. Tout est excellent. Mention spéciale au mille-feuille, mon dessert préféré. La version pascalienne est tout à fait à la hauteur de mes hauts standards de qualité.
Lieu illustre
En ski vers La Voie-du-Bûcheron, nous apercevons un bâtiment menaçant ruine où s’est joué un pan important de l’histoire québécoise : le pavillon du lac à l’Épaule. C’est dans ce camp de pêche rustique que René Lévesque a convaincu en 1962 le premier ministre Jean Lesage et son cabinet de nationaliser l’hydroélectricité. Depuis ce moment historique, l’expression « tenir un lac-à-l’épaule », référant à une réunion importante dans un endroit retiré, est devenue d’usage courant dans le monde de la gestion. Lors de notre passage en ski, l’immense chalet était en réfection. Les travaux se poursuivront cet hiver pour une réouverture à une date indéterminée.
Camp Mercier
Face au parc national de la Jacques-Cartier se trouve, de l’autre côté de la route 175, l’un des joyaux du ski de fond de la Sépaq : le Camp Mercier. Cet hiver, cette destination réputée pour son enneigement exceptionnel inaugurera un nouveau pavillon d’accueil construit au coût de 10 millions de dollars. La bâtisse au style résolument contemporain se démarque par sa salle de fartage hyper spacieuse, sa boutique de location et son service de restauration. Les enfants s’éclateront dans la glissade sur tube à l’extérieur.
Les investissements au Camp Mercier ne se limitent pas au bois et à la brique. Des travaux majeurs de nivèlement et de drainage ont été effectués sur plusieurs pistes spécifiques au pas de patin, dans le but de faciliter leur ouverture dès les premières neiges. Autre nouveauté : l’équipe d’entretien a maintenant entre les mains une nouvelle dameuse de 300 000 $, une PistenBully pour les connaisseurs, capable de tracer sur 3,5 m de large. « Cette machine possède une broyeuse dernier cri qui humidifie légèrement la neige avant de la redéposer sur la piste, ce qui donne des sillons plus solides », explique Sylvain Boucher, chargé de projets au Camp Mercier. Ce centre de ski de fond comporte 70 km linéaires de pistes – 50 km pour le pas classique, 20 km pour le pas de patin –, de même que 33 km de sentiers de raquette. Il est prévu que ceux-ci subissent des améliorations, comme l’ajout de points de vue, en 2022.
En bref
Un parcours d’une soixantaine de kilomètres en trois jours dans l’arrière-pays du parc national de la Jacques-Cartier.
ATTRAIT MAJEUR
La solitude du fondeur : les pistes au long cours n’attirent pas les foules.
COUP DE CŒUR
La nuitée au refuge Sautauriski d’où, en bruit de fond, on entend le grondement de la rivière sous les glaces.