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Ambitieux plan pour le Sentier national au Québec
Plus de trente ans après l’inauguration de ses premiers tronçons, le Sentier national au Québec est bien en selle. Son gestionnaire, Rando Québec, déborde de projets qui devraient transformer ce chemin pédestre en un incontournable touristique et écologique au Québec. Défrichement de ce plan aux multiples volets.
Le 21 mai 2022, un dérécho frappe une partie du Québec et de l’Ontario. Cette tempête de vent déracine des pans entiers de forêt sur son passage. Comble de malchance, la trajectoire de ce système orageux suit l’itinéraire du Sentier national au Québec (SNQ) dans Lanaudière. Résultat : dans la MRC de Matawinie, les dégâts sont terribles. « Sur certains tronçons, la quantité d’arbres tombée était si importante que les randonneurs se heurtaient à un mur infranchissable », se rappelle Réal Martel, fondateur du SNQ et bénévole encore très actif dans son entretien.
Pendant des mois, des corvées sont organisées régulièrement afin d’ouvrir le passage. « En temps normal, on est capable, avec une petite équipe d’entretien, de nettoyer de 5 à 10 km de sentier par jour. Mais dans le secteur dévasté par le dérécho, le travail était tellement colossal qu’on avançait que de 0,3 à 4 km par jour », note Réal Martel, qui a une trentaine d’années d’expérience en la matière. À la mi-novembre, certains sentiers étaient toujours inutilisables, comme les sentiers des Nymphes et Mistikush, dans la réserve faunique de Mastigouche, malgré le travail acharné de Réal Martel et ses coéquipiers.
Cette catastrophe naturelle a ironiquement un côté positif. Face à l’ampleur de la destruction, Rando Québec a sollicité une aide d’urgence au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Celle-ci ne s’est jamais matérialisée, sous prétexte de l’absence d’un programme de financement qui s’applique aux sentiers de randonnée. Toutefois, le gouvernement Legault, avant et pendant la campagne électorale, a donné plusieurs indices qu’il appuierait davantage le SNQ. Dans son programme électoral, la Coalition Avenir Québec écrivait noir sur blanc qu’elle promettait de bonifier le SNQ, stipulant au passage que cette bonification irait dans le sens du développement et de l’entretien. « Depuis, Rando Québec a eu des contacts avec le cabinet, qui nous a demandé combien coûteraient les travaux de raccord du SNQ, et aussi combien il faudrait pour l’entretenir », rapporte Grégory Flayol, coordonnateur du SNQ au sein de Rando Québec.
NOUVEAU PARADIGME
Si jamais cette promesse se concrétise, ça serait tout un changement de paradigme. En trente ans, Rando Québec et ses partenaires, les OBNL qui entretiennent des portions du sentier, n’ont jamais bénéficié de sommes récurrentes pour ce faire. « L’essentiel du financement était consacré à l’ouverture de tronçons, et un petit montant permettait l’embauche d’un coordonnateur provincial au sein de Rando Québec », détaille Grégory Flayol.
Il faut dire qu’en matière de sentiers récréatifs, le SNQ a toujours été traité en parent pauvre. Québec a sans cesse subventionné davantage les sports motorisés, comme la motoneige et les véhicules tout-terrain (VTT), ce qui s’explique probablement par un lobbying intense de l’industrie des véhicules hors route. À titre d’exemple, le ministère des Transports et de la Mobilité durable a englouti 15 millions de dollars dans l’entretien de sentiers de motoneige, de véhicules tout-terrain et de motos hors route uniquement en 2022.
Paradoxalement, ces « sports » comptent beaucoup moins de pratiquants que la randonnée en nature, la raquette et le ski nordique, les activités qui s’exercent sur le SNQ. À preuve, la SAAQ comptabilisait 234 000 motoneiges et 444 400 véhicules tout-terrain (motoquads, autoquads, motocyclettes tout-terrain, etc.) immatriculés à la fin de 2021. Bon nombre de ces machines servent toutefois dans un contexte de travail. Le nombre de randonneurs, lui, dépasse les 2,5 millions, selon une estimation de Rando Québec datant de 2018 – c’est-à-dire avant l’explosion pandémique.
Si elle se concrétise, cette promesse caquiste changera la donne. Difficile, dans l’état actuel, pour Rando Québec et ses partenaires, de maintenir en bonne condition les 1650 km du SNQ. La fédération estime qu’entre 350 et 500 $ par kilomètre par année sont nécessaires pour assurer l’entretien et la pérennité du SNQ. Cet argent servirait à soutenir les bénévoles et à mettre aux normes de nombreuses sections qui ont besoin d’amour.
Pour compléter le sentier, il manque à peu près 650 km de forêts à défricher, principalement en Outaouais, dans la région de Québec et dans le Bas-Saint-Laurent, où Rando Québec rencontre des écueils. L’organisme évalue le coût des travaux de raccordement à 15 millions de dollars.
Ce financement arriverait dans une période charnière pour le SNQ, dont la popularité monte en flèche depuis l’intrusion de la COVID-19 dans notre quotidien. Les randonneurs, confinés en terre québécoise, ont soudainement découvert cette infrastructure gigantesque qui passe dans leur arrière-cour. Certains l’ont même foulée dans son entièreté.
Ce fut le cas de Catherine Turgy à l’été 2020. Cette ingénieure amorçait l’Appalachian Trail aux États-Unis en mars 2020 lorsque la pandémie a bousillé son expédition. « Je suis retournée chez nous et j’ai réalisé que je pouvais vivre le même genre d’aventure, ici même au Québec, sur un sentier qui ne passe qu’à quelques kilomètres du chalet familial », raconte-t-elle. Cette trentenaire, qui est partie de Mont-Tremblant, a atteint l’extrémité est du SNQ 76 jours plus tard. Depuis, cette randonneuse est devenue une ambassadrice informelle du SNQ et participe régulièrement à des corvées d’entretien.
VERS UNE LABELLISATION
Rando Québec profite de ce vent dans le dos pour mousser un autre projet : faire reconnaître le SNQ comme un GRA, nouveau label de qualité actuellement en développement en collaboration avec la Fédération française de la randonnée pédestre (FFRandonnée), dont les représentants ont fait un saut au Québec en octobre 2022. GRA est un acronyme pour Grande randonnée aventure. « Cette reconnaissance positionnerait le SNQ au niveau international », soutient Grégory Flayol.
Le but est de structurer l’offre à l’intérieur des diverses portions du SNQ. Par exemple, la portion lanaudoise pourrait devenir un GRA à part entière. Loisir et Sport Lanaudière travaille justement à créer des connexions entre le SNQ et les villages, afin de faciliter la découverte du sentier. « Nous voyons la portion lanaudoise du SNQ comme l’autoroute sur laquelle se greffera une panoplie de services », précise Serge-Alexandre Demers Giroux, agent de développement plein air à Loisir et Sport Lanaudière. Avec cette labellisation à venir, Rando Québec cherche à enraciner davantage le SNQ. « Nous pensons que la population locale sera plus encline à s’approprier les sentiers de proximité plutôt que le concept global du SNQ. Nous croyons que les acteurs de l’industrie locale seront aussi plus portés à en faire la promotion par section », dit Grégory Flayol, également directeur général adjoint de Rando Québec.
CORRIDOR ÉCOLOGIQUE
L’autre grand chantier du SNQ, c’est la volonté de le transformer en un corridor écologique, un projet que Rando Québec mène avec la Société pour la nature et les parcs du Canada-section Québec (SNAP Québec). « Une bande protectrice de part et d’autre du SNQ permettrait de relier les espaces naturels entre eux. Cela deviendrait un chemin important pour la migration de la faune, dans un contexte de changement climatique », assure Grégory Flayol. La conservation de corridors naturels entre les habitats est considérée comme essentielle afin de préserver la diversité biologique.
Si ce projet se concrétise, Delphine Favorel, responsable des aires protégées du sud du Québec à la SNAP, voit là une occasion de rattraper le retard en aires protégées dans le Québec méridional. Moins de 8 % du territoire au sud du 49e parallèle était sous protection en décembre 2022, contre 16,75 % pour l’ensemble de la province. « Puisque le sentier passe autant sur des terrains privés que publics, nous devons trouver une formule unique pour le protéger. Nous entamons tout juste la réflexion en ce sens », indique la biologiste.
Les deux partenaires évoquent la possibilité d’une bande protectrice de 300 m de chaque côté du SNQ, à l’image de l’Appalachian Trail, mais la largeur de cette lisière pourrait varier en fonction des caractéristiques du terrain. « On pourrait l’élargir en vue de sauvegarder un milieu humide ou une espèce menacée ou la rétrécir à certains endroits pour respecter une propriété privée », propose Delphine Favorel. Les études sur le terrain ne font que commencer.
À l’heure actuelle, les coupes forestières grugent la forêt jusqu’à 30 m du SNQ. Les arbres encadrant le chemin pédestre deviennent ainsi plus vulnérables aux grands vents, comme ceux du dérécho de mai 2022, phénomène qui se multipliera dans les décennies à venir, en raison du dérèglement climatique. Depuis des années, Rando Québec réclame une bande d’au moins 100 m. « La reconnaissance du SNQ comme aire protégée contribuerait à la pérennisation de ces infrastructures », estime Delphine Favorel.
Toute cette effervescence suit de grandes avancées récentes. En 2017, le Sentier international des Appalaches-Québec (SIA-Québec) a rejoint le SNQ. En 2022, la section des Laurentides a été complétée par la création d’un tracé dans le parc national du Mont-Tremblant, un ex-trou noir dans la continuité du parcours. La pandémie, qui a accru la notoriété du SNQ, a contaminé une nouvelle génération de bénévoles, prenant la relève de la génération précédente qui s’essoufflait. « Nous avons également été proactifs en la matière, notamment en créant une page Facebook entièrement consacrée au recrutement de bénévoles et à l’organisation de corvées », mentionne Grégory Flayol.
Le SNQ n’a pas fini de nous faire marcher.
Le Sentier national dans le ROC
En 1971, le regretté Douglas Campbell, de la Canadian Hiking Association, et d’autres mordus de plein air expriment l’idée d’unir le Canada à travers un sentier reliant les océans Pacifique et Atlantique. En 1988, ce rêve commence à se concrétiser avec l’inauguration d’un premier tronçon à Ottawa. En 1990, la Fédération québécoise de la marche, maintenant Rando Québec, qui prend la portion québécoise sous son bonnet, inaugure plusieurs tronçons dans les Laurentides et Lanaudière.
Depuis, la section québécoise a progressé presque sans relâche, mais ailleurs au Canada, ce projet grandiose n’a jamais décollé. Si bien qu’aujourd’hui, la National Trail, comme on désigne ce sentier dans le Rest of Canada (ROC), n’a plus de porteur de ballon au niveau national. Aucun chapitre provincial ne planche non plus sur son développement.
Le Sentier national au Québec est devenu, par la force des choses, le Sentier national du Québec. « Le rêve n’est pas complètement mort dans le reste du pays, mais il est à l’agonie », affirme Grégory Flayol. Malgré de multiples démarches, Géo Plein Air n’a trouvé aucune information sur la National Trail hors des frontières québécoises.
Le succès du Sentier transcanadien (ST), une infrastructure multi-usage (vélo, rando, pagaie et même VTT) a totalement éclipsé le projet du Sentier national hors Québec. Désigné aussi comme le Grand Sentier, ce réseau qui s’étend sur pas moins de 28 000 km, cohabite avec le SNQ au Québec, où de nombreux tronçons sont à la fois certifiés SNQ et Sentier transcanadien, comme le réseau de la Traversée de Charlevoix. À la différence du SNQ, le Grand Sentier ne circule pas uniquement en milieu naturel ni seulement sur des pistes : il emprunte également des routes, des pistes cyclables et même des rivières…
L’épineuse question des droits de passage
Avec une longueur de 1650 km sur les 2300 km prévus, le Sentier national au Québec est complété à plus de 70 %. Cependant, Rando Québec frappe des nœuds dans plusieurs régions du Québec, ce qui fractionne le sentier en maints endroits. Le principal obstacle : les terres privées.
Les responsables régionaux du SNQ, souvent composés de bénévoles, doivent négocier des ententes de droit de passage à la pièce afin de permettre le déploiement du sentier. « Il suffit qu’un seul propriétaire refuse un droit de passage sur un tronçon pour que le sentier ne puisse voir le jour », déplore Roger Joannette, responsable du développement du SNQ dans l’axe des monts Notre-Dame, qui vise à relier Trois-Pistoles à Amqui, là où il connecterait au Sentier international des Appalaches-section Québec.
Les propriétaires invoquent de multiples raisons pour s’opposer au passage des randonneurs. « Les villégiateurs craignent de perdre leur quiétude, les propriétaires d’érablières – nombreux par chez nous – redoutent les actes de vandalisme, et les propriétaires de terre de bois s’inquiètent des feux de forêt », constate par expérience Roger Joannette.
Ce bâtisseur de sentier rêve d’un changement législatif au Québec qui empêcherait les propriétaires privés de bloquer l’accès au sentier, dans l’optique d’un libre accès à la nature, principe qui émerge un peu partout à la grandeur de l’Europe. Reste à voir si le Québec suivra cette vague dans le futur.