Au nord de nous-mêmes

  • Au point de départ de l'Expédition transboréale. Photos Marie France L'Ecuyer

À l’hiver 2023, un duo d’aventuriers a entrepris la première traversée intégrale du Québec, de la borne frontalière 720, en Montérégie, au cap Anaulirvik (aussi appelé Wolstenholme), dans la passe Sallualuk (également appelée Digges) – un périple de 2960 km, à vélo et en ski, réalisé en 91 jours. Dans le premier d’une série de deux articles, notre collaborateur livre le récit de la portion vélo de l’expédition.

L’idée était simple. Sur la carte, le tracé formait une ligne presque droite d’une extrémité à l’autre du Québec. Simon-Pierre Goneau en avait rêvé pendant des années. À l’hiver 2020, il avait bien tenté de le concrétiser, seul et en fatbike, sur le réseau routier nordique québécois puis sur des pistes de motoneige. Pendant un mois, il avait pédalé jusqu’à la rivière au Phoque, l’affluent le plus au nord-est de la baie James. C’est là que, le cœur gros comme le vent venu du large, si près de la baie d’Hudson qu’il lui aurait suffi d’une ou deux journées additionnelles pour en toucher les glaces, il avait pris la décision de virer de bord en raison des conditions plus difficiles qu’anticipées et de l’incertitude liée à la COVID-19. Mais on n’abandonne pas si facilement les rêves qui nous habitent. Il s’était bien juré de revenir en ce même lieu, plus tôt que tard, et de poursuivre résolument vers le nord.

L’étrange évanescence du territoire

Le Québec est grand. La France y entre trois fois, nonobstant la désobligeante formulation de Voltaire ; en effet, 1,668 million de kilomètres carrés sont tout sauf « quelques » arpents de neige. Québec signifie, en langue algonquienne, « l’endroit où les eaux se rétrécissent », et ces eaux sont celles du Saint-Laurent, Magtogoek, « le chemin qui marche » en langue algonquienne. L’histoire du Québec est celle du Canada de la vallée du Saint-Laurent, et cet enracinement premier, pour ne pas dire primordial, ne se reflète nulle part ailleurs mieux que dans la géographie mouvante d’un Nord mal compris, mal défini, mal habité.

Incroyablement, avant nous, personne n’avait rallié les deux extrémités du Québec correspondant à ses frontières modernes, qui remontent à 1912. Bien sûr, d’autres l’avaient fait dans des portions considérables, à commencer par des membres des nations autochtones nordiques ainsi que des Inuits. Des Européens et des Canadiens avaient abordé le territoire par ses rivières et ses océans, du Saint-Laurent à la baie d’Hudson. Dans les années 1980 et 2010, des groupes l’avaient skié par l’intérieur des terres jusqu’à Kuujjuaq, un itinéraire que j’avais également suivi à l’été 2018 à vélo et en canot. Demeurait cependant encore la traversée intégrale. Mais que valent des points définis par des juridictions ? Un symbole, peut-être. Et qu’est-ce qu’un pays s’il ne repose pas sur un investissement symbolique dans sa géographie ?