Nord du Lac Saint-Jean: l’hiver apprivoisé

Bel après-midi d’hiver au nord du lac Saint-Jean, pas loin de là où s’arrête la route. Ciel bleu sur neige blanche. Dans le champ en arrière de la maison, une quarantaine de chiens de traîneau profitent du soleil. Certains font la sieste. Soudain, l’un d’eux aboie, suivi d’un deuxième, et c’est l’explosion! Ça jappe. Ça saute. Ça tire sur sa chaîne. C’est que Gilles Granaal, leur maître et propriétaire de l’entreprise Aventuraid, vient de faire son apparition avec un traîneau, puis deux, puis trois. Et tous veulent chasser les fourmis qu’ils ont dans les pattes.

«C’est moi le meilleur! Prends-moi!» jappe l’un d’eux quand je passe à côté, un harnais à la main. «Non, moi!» aboie son voisin. Désolé, mais c’est le vétéran Ulysse que je m’en vais chercher. Première étape: passer le harnais à ce mastodonte; deuxième étape, l’amener au traîneau. En fait, c’est plutôt lui qui me tire pendant que j’essaie de suivre, comme s’il avait peur que je change d’avis juste avant de l’atteler. Trois autres chiens me remorqueront ainsi jusqu’au traîneau pour compléter l’attelage.

Formule chien
Se prendre pour un vrai musher (meneur de chiens) n’est pas compliqué. Il suffit de se tenir debout, un pied sur chaque patin à l’arrière du traîneau, et de laisser les quadrupèdes suivre la piste. Chaque traîneau est équipé de deux freins sur lesquels reposent les pieds du conducteur. Un frein ralentit l’attelage par friction sur la neige dans les virages ou les descentes, tandis que l’autre immobilise le traîneau en plantant deux pics dans la neige.

Et nous voilà rapidement sur la rivière gelée, véritable autoroute de neige. Les chiens prennent leur vitesse de croisière. Le paysage défile à toute allure, à une vitesse grisante, mais pas stressante. Dans la forêt où les sentiers sont plus sinueux, Liska se retourne et aboie dans ma direction tout en courant: «Arrête de ralentir, espèce de musher du dimanche!» Et moi de répliquer: «Allez, Liska!» J’ai l’air de dire: «Ça suffit le niaisage!» Elle reprend sa course. Bien sûr, elle a raison, du moins au début de l’excursion, sauf que c’est moi le chef et je ne veux pas qu’elle l’oublie.

Le soleil décline doucement. Notre convoi canin sort de la forêt pour déboucher sur un lac, gelé bien sûr. Les ombres s’allongent sur la neige, mais nous arrivons rapidement à une petite cabane sur une étroite péninsule. Les chiens se sont arrêtés et halètent. Nous leur ôtons leur harnais et les attachons à un câble fixé au sol, comme des bateaux à un quai.

La cabane est rustique, mais très confortable et rapidement chauffée au poêle à bois. Nous ne veillerons pas tard. Les chiens, dehors, encore moins. Peu après avoir mangé et bu, ils s’enroulent sur eux-mêmes et leurs paupières commencent à tomber. Rien de mieux qu’une bonne nuit de sommeil afin de reprendre des forces pour la course du retour le lendemain matin.


L’hiver au trot
Si les chiens sont mes soldats, la jument Lady, elle, est plutôt ma compagne de randonnée. On ne lui donne pas d’ordre; on l’invite à tourner, et elle s’exécute très poliment. «En équitation hivernale, le risque est que le cheval glisse, m’explique Mélanie Dallaire, guide équestre et propriétaire de la Chevauchée du Nord, qui monte Hidalgo. Il est donc encore plus important d’avoir une bonne position sur le cheval pour lui simplifier la tâche, surtout en montée et en descente.»

Dans la forêt, à mi-parcours, on fait un arrêt à une «aire de repos» où est installée une tente prospecteur. Ballot de foin pour les chevaux; biscuits et chocolat chaud, préparé sur feu de bois, pour les humains. Se balader à cheval en hiver, c’est adopter un rythme lent et paisible, à l’image de la forêt qui semble dormir sous son manteau blanc.
Mais trêve de contemplation, après m’être fait tirer et porter, il fallait bien que je marche un peu. Et me voilà donc en train de suivre Alain Blais, guide d’interprétation de la nature, à travers les arbres. Pas de sentiers ici, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Girardville et de la fin de la route – asphaltée. Après cela, il ne reste qu’un large chemin de terre et de cailloux surtout emprunté par des camions chargés de bois.

Alain semble suivre un sentier que lui seul peut voir, une piste qui nous conduit à un camp de trappeurs… sans trappeurs. Tentes prospecteur-chambres, tente prospecteur-salle commune, tipi, bécosse, abris d’entreposage, Alain a tout bâti de ses mains avec l’aide de sa conjointe, Céline Marceau. Tous les deux ont ouvert le Domaine de la rivière Mistassini, un centre de villégiature à Girardville, mais pour vraiment s’échapper dans la nature, rien ne vaut ce camp au bord de la Mistassini, séparé de l’eau par un mince rideau d’arbres.

Et on n’y fait pas que dormir! Nous voilà donc partis explorer les environs guidés par Alain. Encore une fois, les rivières gelées nous servent de routes. Direction, la chute Blanche. Officiellement, c’est une des plus belles du Québec. Officiellement? Peu importe. À moitié gelée et vue d’en bas, là où la rivière forme un petit lac avant de reprendre son cours, elle est spectaculaire. Pas la plus haute, mais toute en paliers bouillonnants. Nous montons sur le côté, nous redescendons, puis passons sur des bras d’eau gelés. Alain nous la fait admirer sous toutes ses coutures.

Nous reprenons notre randonnée vers l’amont sur la Mistassini gelée. Petit détour sur une colline. La vue sur la région et sur la forêt boréale depuis le sommet est superbe. En descendant de l’autre côté, nous rattrapons un autre sentier de glace, mais plus étroit et plus sinueux que la Mistassini. Un coin de pays pour amoureux de la forêt.

À notre retour, un feu crépite au milieu du camp. Céline nous attend et nous accueille dans la grande tente commune pour une collation. Elle profite de ce repos après l’effort pour me montrer comment «tisser» un capteur de rêves. Cet objet en forme de toile d’araignée dans un cerceau de bois est censé piéger les mauvais rêves jusqu’au matin, lorsque les rayons du soleil les brûlent. Très souvent symbole de la culture amérindienne pour les Blancs, il n’a pourtant jamais été très répandu chez les Premières Nations du continent nord-américain, explique Céline. Du moins, jusqu’à récemment. Les touristes et autres visiteurs auraient contribué pour beaucoup à sa popularité.

Je n’ai toutefois pas eu besoin d’un capteur de rêves cette nuit-là. Malgré la simplicité des lieux, les «chambres» sont très confortables: lits superposés avec matelas et sacs de couchage chauds, ainsi qu’un poêle à bois. Le silence est inclus dans le forfait.

Aire de glace
Ce matin, en revanche, la Mistassini n’est pas silencieuse. Ici, en aval du camp, ses cascades grondent au milieu des plaques et des blocs de glace. C’est comme si l’autoroute de neige et de glace sur laquelle nous progressions avait subi un tremblement de terre. Nous suivons Alain pour emprunter le chemin sécuritaire. La rivière est temporairement devenue un parcours à obstacles sur le chemin du retour à la civilisation.

Justement, au lac Saint-Jean, la civilisation ne semble pas chercher à nier la glace; elle se l’approprie. À Roberval, dès que la glace est assez épaisse sur le lac au début de l’hiver, nombreux sont ceux qui viennent s’installer au Village sur glace. Pensez à un terrain de camping hivernal où les caravanes ont cédé la place à plus de 300 maisonnettes, parfois très charmantes. De même, on y retrouve un casse-croûte, une mairie ainsi que des activités, dont l’«habituel» miniputt sur glace et un anneau sinueux de un kilomètre pour le patinage. On peut également faire une plus longue promenade jusqu’à une petite île avoisinante en marchant sur la banquise. Le Village sur glace est surtout un lieu où se rencontrent les gens de la région, mais le visiteur peut passer la nuit dans une des tentes prospecteur à louer.

Ceux qui recherchent la solitude peuvent poursuivre leur chemin jusqu’à Saint-Gédéon où se trouve l’Igloft, une maisonnette assez particulière. On doit marcher plus de 20 minutes sur la banquise (on peut aussi y aller en skis ou en raquettes) pour se rendre à cette maisonnette, une sorte de véranda confortablement aménagée pour deux personnes, avec futon, table, poêle à bois, coin-cuisine, toilette et surtout une vue panoramique sur la banquise du lac Saint-Jean jusqu’à l’horizon. Exception faite de la température, c’est un peu comme si on vivait dehors.
Ce n’est pas tout: à l’extérieur, juste à côté de la porte d’entrée, est installé un bain scandinave rempli avec l’eau du lac, mais chauffée. C’est l’endroit parfait pour admirer le coucher de soleil, croyez-moi! Et une fois que la nuit est tombée, c’est le temps de se promener sur la banquise. Malgré les lueurs des villes dispersées autour du lac, le ciel étoilé s’offre en spectacle du zénith à l’horizon, dans toutes les directions.Ici, les constellations se sont redessinées. Plus d’Orion ni de Taureau, mais plutôt la Mistassini lactée, le Chien de traîneau et le Cheval. Je pense que je vais aller me coucher.

Repères:
Destination boréale, regroupement des entreprises touristiques de la région de Girardville: www.destinationboreale.com
Aventuraid: traîneau à chiens, parc à loups Mahikan (dont l’appel aux loups) et activités écotouristiques quatre saisons: www.aventuraid.qc.ca
Blogue d’un des guides d’Aventuraid sur le traîneau à chiens, les chiens d’Aventuraid et les dessous complexes de la constitution d’un attelage: alces-atim.blogspot.com
Domaine de la rivière Mistassini et camp de la chute Blanche: www.domainedelarivieremistassini.com
Chevauchée du Nord: 418 258-3712 ou [email protected]
Village sur glace de Roberval: www.villagesurglace.com
Igloft de Saint-Gédéon: www.igloft.com.