Une anse, un fjord et une vallée

Réputé comme l’un des plus beaux villages du Québec, L’Anse-Saint-Jean n’offre pas que des paysages de carte postale. Si la petite municipalité du Bas-Saguenay affiche fièrement son caractère maritime en été, elle devient résolument montagnarde en hiver. Bye bye hibernation : une nouvelle génération s’approprie les lieux et donne un coup de jeunesse à cet ancien royaume.

« C’est ici que ça se passe ! » me déclare Antoine Provost, chef guide à Mont-Édouard, alors que je mets mes peaux d’ascension sous mes skis avant d’entamer la montée du secteur du Sacré-Cœur et de découvrir la zone hors-piste de la station. Bien que la veille j’aie skié avec grand bonheur dans la partie damée de cette station de L’Anse-Saint-Jean, Antoine Provost considère que je n’ai pas encore goûté sa substantifique moelle.

Et pour cause : le domaine hors-piste de Mont-Édouard est un monde en soi. Comme une deuxième station qui se serait greffée à la première, plus conventionnelle, ouverte en 1991. Le terrain de la haute route englobe quatre autres sommets auxquels on accède seulement par un vaste réseau de pistes d’ascension. Les skieurs s’épivardent dans six secteurs de glisse, défrichés de manière écologique en préservant l’intégrité et l’authenticité de la forêt. À première vue, cette sous-station s’étend sur un territoire quatre fois grand comme la station aux 32 pistes.

Avant d’y cheminer avec mes peaux d’ascension, je ne me doutais pas de l’ampleur de ce domaine unique au Québec, qui rivalise en beauté et en qualité avec les versants gaspésiens, la mecque du ski hors-piste dans l’est de l’Amérique du Nord. Neige abondante, diversité de calibres et dénivelé allant jusqu’à 400 m, Mont-Édouard devient une destination privilégiée de ski à peau.

 

Crédit Simon Diotte

Le ski de montagne n’y est pas l’apanage des experts. J’ai grimpé puis dévalé les secteurs de la Vallée des Géants et du Sacré-Cœur sans craindre une seconde d’embrasser de trop près un végétal ligneux ; les pistes sont assez dégagées pour laisser de la marge de manœuvre. Quant aux pros, ils s’en donnent à cœur joie dans le secteur La Grive, sur le mont Laure-Gaudreault dont le sommet dépasse celui du mont Édouard et où se concentrent les lignes de pente les plus difficiles. « Du mont Laure-Gaudreault, on aperçoit, par beau temps, l’estuaire du Saint-Laurent et l’Acropole des Draveurs, dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-rivière-Malbaie », signale Antoine Provost.

Ce secteur expert, plus éloigné de la station, s’explore difficilement en une seule journée, à moins d’être Pierre Lavoie, que j’ai croisé dans un sentier d’ascension – l’athlète faisait ses cubes d’énergie en montant les pentes aussi vite qu’en télésiège. C’est pourquoi quatre refuges de montagne accommodent les maniaques de peau pour la nuit. J’y ai rencontré nombre de skieurs qui y passent littéralement leurs vacances. Pas pour rien que depuis le virage haute route entrepris en 2014, la petite station régionale est devenue le fer de lance du tourisme hivernal dans le Bas-Saguenay !

Pas pire épopée

Retour en arrière. Mont-Édouard a eu une histoire rocambolesque. Au tournant de la décennie 1990, face à la dévitalisation économique du village causée par le déclin de l’industrie forestière, la population locale veut mettre en valeur les hauts sommets de l’arrière-pays. L’idée de créer une station de ski devient une priorité.

Incapables d’obtenir l’appui des gouvernements, les Anjeannois prennent le taureau par les cornes et érigent une barricade sur la route 170. Les commerces entrent en grève. Puis, toujours excédés par la lenteur gouvernementale, des citoyens entreprennent de défricher la montagne illégalement. Quelques bûcherons se feront même passer les menottes ! Le mouvement citoyen est si fort que le gouvernement cède, et la station est inaugurée en 1991.

Crédit Simon Diotte

Une fois en activité, la station a pris du temps à se démarquer, malgré l’importance de son dénivelé (450 m) – le cinquième plus important au Québec – et la qualité de son domaine skiable. « Elle a été pendant longtemps une station régionale parmi d’autres », admet Gilles Arsenault, directeur du développement de la performance et du ski de fond à Mont-Édouard.

Tout a commencé à changer à partir de 2014 en raison de l’aménagement pensé en fonction de la haute route et de l’homologation, par la Fédération internationale de ski, de la piste Desjardins dans la catégorie super-G, deux éléments qui ont mis cette montagne et le village de L’Anse-Saint-Jean sur la mappe en hiver. Mont-Édouard a d’ailleurs remporté en 2019 le titre de station de ski de l’année, décerné par Canada Alpin.

Le succès de Mont-Édouard rayonne dans toute la communauté. Une nouvelle génération d’entrepreneurs s’y installe, étant maintenant capable de vivre du tourisme à l’année. Plusieurs entreprises témoignent de cette effervescence, comme la microbrasserie La Chasse-Pinte, qui a posé ses cuves dans un bâtiment qui a déjà servi de caserne de pompiers, et l’auberge Le camp de base, qui a revitalisé un motel défraîchi datant des années 1960. L’ex-motel et son restaurant sont devenus le point de rendez-vous des guides et des pèlerins-skieurs. « Sans la popularité de Mont-Édouard, il serait difficile de survivre en hiver », affirme Synthia Régelé, une des propriétaires de l’auberge.

Au-delà de la peau

Côté plein air, Mont-Édouard ne se résume pas au ski de haute route, au ski alpin et aux multiples possibilités de randonnées en raquettes (32 km de piste en montagne) : le ski de fond s’y taille une place de plus en plus enviable. Quatre boucles totalisant une dizaine de kilomètres complètent l’offre de la station. Les pistes, qui partent du chalet de ski alpin, séduisent. En outre de paysages magnifiques et d’une vue sur des versants escarpés de la vallée de la rivière Saint-Jean, les boucles jaune et rouge comptent des descentes qui procurent de belles frayeurs. Mont-Édouard ambitionne de doubler, voire tripler son réseau de ski de fond dans les années à venir, s’inspirant du succès de Mont-Grand-Fonds, mentionne Gilles Arsenault.

Crédit Simon Diotte

L’Anse-Saint-Jean jouxte les limites du parc national du Fjord-du-Saguenay, où se trouvent quelques pistes qu’on foulera autant en raquettes qu’en skis de fond hors-piste. Je me suis rendu au belvédère de l’Anse-de-Tabatière, qui surplombe le fjord du Saguenay et bénéficie d’un panorama sensationnel ; le sentier qui y mène fait 3 km aller-retour. Le secteur de la Baie-Éternité recèle quant à lui 30 km de pistes pour courte et longue randonnée avec nuitée en refuge.

Les fondeurs s’élancent aussi sur la piste multifonctionnelle qui traverse le village de part en part, suivant les méandres de la rivière Saint-Jean. C’est le meilleur endroit d’où admirer le fameux pont couvert sous tous ses angles de même que les nombreuses maisons ancestrales.

Un autre domaine skiable et raquettable est aisément accessible du village : la banquise du fjord du Saguenay, qui n’est pas réservée aux adeptes de la pêche blanche. Quel plaisir que de se balader sur le fjord, raquettes aux pieds, en contemplant le lever ou le coucher du soleil ! Du ski sans balise, sans côte, sans contrainte. À 6 h du matin, en compagnie des pêcheurs, j’avais l’impression de vivre un moment unique. Soyons fjord – s’cusez-le – de cette merveille !

Bonnes adresses

Auberge Le camp de base

Six entrepreneurs ont redonné vie à un motel des années 1960. Les dix chambres – incluant un populaire dortoir de style auberge de jeunesse – et le restaurant sont devenus le point de rencontre des skis bums. Avant la Covid-19, on y présentait parfois des spectacles.

aubergecampdebase.com

Les chalets du fjord

Des appartements qui jouissent d’une vue panoramique sur le fjord, à un jet de pierre du quai municipal, point de ralliement des amateurs de pêche sur glace… Que dire de plus ? À 16 km de Mont-Édouard.

chalets-sur-le-fjord.com

Rebelles des bois

Une boutique de belles affaires qui sont produites localement : affiches, bijoux, vêtements et plus encore. Difficile d’en sortir sans faire d’achat. Ma femme et mes filles ont capoté.

rebellesdesbois.com

La Chasse-Pinte

« On l’après-ski beaucoup. » Voilà le slogan mémorable de la bière Chasse-Neige, de la microbrasserie La Chasse-Pinte. On déguste ce brassin qui descend facilement dans le gosier (IBU 34, pour les connaisseurs) dans les restaurants locaux ou on l’achète à l’épicerie. La Chasse-Pinte est également propriétaire du Bistro de L’Anse, une institution locale qui ferme ses portes en hiver. La raison : la bâtisse que le petit resto occupe, un ancien camp de chasse de la famille Price, n’est pas hivernisée. « Mais nous planchons sur des projets dans le but de l’ouvrir toute l’année », lance Ève Breton Roy, directrice marketing de cette coopérative. À suivre.

chasse-pinte.com

Crédit Simon Diotte

Nuances de grains

Tout village qui se respecte possède maintenant sa boulangerie. Ici, dans ce qui était autrefois un presbytère, on fait le pain à l’ancienne, au levain et non à la levure commerciale. Surveillez les heures, car l’horaire varie grandement en hiver.

nuancesdegrains.com

Le Perchoir

Ce n’est pas à L’Anse-Saint-Jean mais à Saint-Félix-d’Otis, tout près, et y règne le même esprit de renouveau. Les propriétaires Maxime, Jessica et Iris ont rénové une vieille station-service afin d’en faire un gîte de quatre chambres à la décoration particulièrement réussie. De là, on profite d’une vue dégagée sur le lac Otis. Une cuisine commune favorise les rencontres et permet de s’accorder un congé de restaurants. Les hôtes proposent diverses activités de plein air guidées, comme du fatbike sur le fjord du Saguenay.

leperchoir.ca

Crédit Simon Diotte

En bref

L’Anse-Saint-Jean, un paradis hivernal

ATTRAIT MAJEUR

Le vaste et accessible ski de haute route de Mont-Édouard.

COUP DE CŒUR

La boucle rouge du centre de ski de fond de Mont-Édouard, qui débute par une très, très belle et sinueuse descente.

Hébergement fourni par Tourisme Saguenay–Lac-Saint-Jean