L’avalanche, cette menace méconnue
Sur la route 299, qui traverse le parc national de la Gaspésie et les monts Chic-Chocs, se dresse le sommet dénudé du mont Hog’s Back, une des montagnes gaspésiennes les plus fréquentées par les mordus des plaisirs hors-piste. L’accès y est facile, la vue, imprenable, et la neige, abondante. Mes frères et moi le dévalons chaque hiver. Bienvenue en pays d’avalanches.
Les cuvettes, qui ont des inclinaisons pouvant dépasser les 40 degrés, promettent des montées d’adrénaline aux adeptes de la glisse. Sauf qu’en plus des dangers inhérents à ce genre d’activité, il y a également le risque de se retrouver enseveli sous des tonnes de neige emportées par une avalanche. L’hiver, on peut d’ailleurs voir deux de ces coulées se répandant jusqu’en bordure de la route.
Même si les accidents se font de plus en plus rares dans l’arrière-pays gaspésien, où aucun décès n’est déploré depuis l’an 2000 et aucun blessé l’an dernier, le risque d’avalanche, lui, est omniprésent. Dans les 30 dernières années, les avalanches ont causé la mort de 32 personnes et en ont blessé 27 autres au Québec, selon les données de Bernard Hétu, de l’Université du Québec à Rimouski, et d’Alain Bergeron, d’Environnement Canada («Les avalanches au Québec: analyse des conditions météorologiques et des facteurs de terrain propices au déclenchement des avalanches», hiver 2006-2007).
Charlevoix, la région de Québec, la Côte-Nord et la Gaspésie connaissent de nombreux épisodes chaque hiver; quant aux adeptes des sports d’hiver, ils sont de plus en plus nombreux. L’équation est simple: «Plus les gens fréquentent les montagnes, plus ils risquent de se retrouver dans une avalanche», poursuit Dominic Boucher, directeur du Centre d’avalanche de La Haute-Gaspésie. Il ajoute toutefois qu’on peut réduire la probabilité de se retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Au Canada, on recense 16 décès par année en moyenne.
Diminuer les risques
Trois facteurs augmentent le risque d’avalanche dans cette partie du Québec. «Les conditions météorologiques, le degré d’inclinaison des pentes et les gens», explique Dominic Boucher.
Toute pente suffisament intéressante pour être skiée est susceptible de générer des avalanches. Il suffit que son inclinaison dépasse les 25 degrés et le risque est là, avec une zone de danger plus importante sur les pentes allant de 30 à 45 degrés. Pour l’essentiel, c’est quand la neige cède sous son propre poids qu’une avalanche est déclenchée. Il faut donc faire attention aux fortes accumulations, qui risquent de faire céder la couche de fond.
«Dans les Chic-Chocs, la pluie et les grands vents sont les plus importants facteurs d’avalanche», note Dominic Boucher. Avec la pluie se forme une croûte de regel; la neige qui continue de tomber dessus fera ensuite céder cette croûte. Quant aux vents, ils viennent souvent conclure une importante chute de neige. La couche de base supporte mal le surplus, et vlan! tant pis pour les randonneurs.
Le danger chaque saison
Chaque saison a ses risques propres. «Au printemps, la neige gèle la nuit et forme une croûte assez dure. Skier le matin est donc assez sécuritaire, mais plus la journée avance, plus la neige s’amollit et peut céder», poursuit Dominic Boucher, responsable d’organiser les sauvetages dans les Chic-Chocs depuis maintenant huit ans. Quand il n’y a plus de gel pendant la nuit, à la fin du printemps, les pentes se purgent et le danger augmente considérablement.
Les facteurs de risque sont donc identifiables. Une avalanche récente signale la vulnérabilité de la pente. Si les conditions météo changent radicalement durant la journée, s’il pleut, s’il y a de grands vents ou de fortes chutes de neige, il vaut mieux reporter sa sortie. En fait, «on peut négocier sa sortie en montagne en passant par une pente moins abrupte ou plus boisée», explique Dominic Boucher. Plus il y a d’obstacles sur le terrain, comme des roches, des souches, ou des arbres, plus le risque diminue.
Être enseveli n’est pas, non plus, la fin des haricots. «On peut se sortir soi-même d’une avalanche», selon Dominic Boucher. Une loi de la survie: ne jamais skier une pente en groupe. Si un accident se produit, au moins une personne pourra nous aider.
Skier près du sommet des pentes est également plus sécuritaire. Une avalanche commence lentement et augmente sa vitesse. On a donc le temps de réagir si la pente cède sous nos skis. «On peut rester en surface en surnageant, se ménager une poche d’air devant le visage, s’accrocher à un arbre ou derrière un rocher», conseille Dominic Boucher.
Surtout, une sonde, un émetteur et une pelle peuvent faire la différence entre la vie et la mort. Après 20 minutes sous la neige, les chances de survie diminuent de 50 %…
D’où l’importance de bien organiser sa sortie, pour éviter qu’on cherche dans le vide. «En mars 2003, les deux coulées principales de Hog’s Back ont cédé. Trois groupes ont été pris dans les débris neigeux», relate Dominic Boucher. Mais voilà, la confusion a été telle – aucun des groupes ne savait si tous les membres avaient emprunté le même chemin – qu’il a fallu sept heures de recherches intenses pour que l’équipe de secours se convainque que personne n’était enseveli. «Une confusion facilement évitable», conclut le spécialiste des montagnes gaspésiennes.
On ski hors des sentiers battus pour le sentiment de liberté et, disons-le, une certaine griserie associée au côté sauvage et parfois extrême de cette glisse. Mais la montagne a toujours le dernier mot. Aussi bien se préparer en conséquence…