L’aventure sur deux roues
Ce qui devait être une autre journée au bureau pour François Parisien en 2010 a finalement transformé à jamais sa manière de pratiquer son sport. Parti rouler avec deux de ses coéquipiers dans le coin de Sutton, dans les Cantons-de-l’Est, le cycliste professionnel d’alors s’est fait sauvagement attaquer par un chauffard qui venait de volontairement les frôler. « Nous avons été en mesure de le rejoindre et de l’interpeller. C’est là qu’il s’est précipité sur moi et qu’il m’a flanqué de coups de poing », raconte celui qui s’est retrouvé à l’hôpital, victime d’une commotion cérébrale.
Traumatisé par cet événement, le premier Québécois à avoir gagné une course World Tour développe une peur bleue des routes québécoises et nord-américaines – un ennui majeur lorsque son travail consiste à avaler plus de 30 000 kilomètres par année! Loin d’être dégoûté par le sport cycliste, François improvise fort heureusement une solution. Désormais, c’est sur les chemins de garnotte qu’il s’entraînera.
Son apprentissage en a été un graduel. « Je savais qu’il y avait un paquet de chemins de terre battue autour de chez moi, à Bromont. J’ai commencé par les emprunter à tâton, en me disant qu’ils connectaient forcément quelque part. De fil en aiguille, j’ai découvert des routes tranquilles où on croise peu de circulation », affirme celui qui agit dorénavant comme descripteur de courses cyclistes et directeur des opérations chez Powerwatts.
Partir à l’aventure
Si François Parisien était un précurseur à l’époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Au Québec comme partout ailleurs, nombreux sont les cyclistes qui délaissent le confort du bitume afin de mieux emprunter les chemins de traverse. Tannés d’être soumis aux contingences des routes (trop) achalandées, désireux de conjuguer la pratique du vélo avec autre chose que la performance, ils découvrent une nouvelle manière de rouler avec, à la clé, des points de vue dont ils ignoraient l’existence. Et des sensations inédites.
C’est le cas de Jean-Sébastien Greffe. Depuis quelques années déjà, cet ancien coureur amateur et cycliste montréalais se risque là où les chemins de poussière sont rois. Ses coins préférés : les coins de Labelle et d’Oka, dans les Laurentides. « Je voulais vivre autre chose et rouler d’autres routes que celles que je connais. Il y a, derrière cette tendance, une volonté de revenir à plus de simplicité et de polyvalence », estime-t-il.
Un avis que partage Alexis Pinard, coorganisateur de la Classique des Appalaches qui comprend plusieurs kilomètres de routes non asphaltées. Selon lui, les cyclistes se libèrent des œillères de la performance, de la course à l’armement de l’équipement et du dictat du kilométrage. « On a longtemps dit que le cyclisme sur route est le nouveau golf, mais nous sommes maintenant rendus au-delà de cette phase de découverte. Les gens recherchent des expériences avec de la valeur ajoutée », pense-t-il.
Regard sur la bête
Cet engouement pour les routes de terre coïncide avec l’arrivée sur le marché de machines adaptées à ces territoires : les vélos de garnotte, ou gravel bikes. Pas un vélo de cyclotourisme, ni un de cyclocross, ce nouveau venu est un engin conçu pour en baver. Plus lourd qu’un vélo de route, sa géométrie relâchée de même que ses axes traversants (thru axles) lui confèrent davantage de confort et de stabilité. Ses pneus plus larges (700×28, voire 700×33), ses petits développements et la présence de freins à disques en font une monture tout à fait adaptée aux vicissitudes de la gravelle.
N’allez toutefois pas croire que le vélo fait le cycliste! La preuve : il est tout à fait possible de rouler sur des chemins de garnotte avec un vélo de route chaussé de pneus étroits (700×23) et de bien s’en sortir, comme l’a fait François Parisien pendant plusieurs années. « Et je n’avais pas plus de crevaisons! », s’exclame-t-il. « Le gravel bike permet une meilleure adhérence à la route, certes. Mais, le cycliste doit tout de même apprendre à rouler différemment, à devenir un meilleur pilote. »
Une réalité due à la configuration même des chemins d’arrière-pays. Pensés pour accueillir un trafic limité, ils traversent vallées et buttes, offrant un véritable défi physique à ceux qui s’y aventurent sur deux roues. Surtout, leur surface en terre battue tantôt tapée, tantôt graveleuse et ponctuée de trous est redoutable pour qui ne s’y est jamais aventuré. C’est pourquoi le cycliste doit apprendre à se décrisper, à absorber les chocs avec ses bras et à accepter que sa roue avant « flotte » davantage. « C’est définitivement plus raide que de rouler sur du bitume », prévient Alexis Pinard.
Pratique à définir
Vous désirez rouler sur des chemins de garnotte? Il vous faudra vous armer de patience. Car, même si des milliers de kilomètres de chemins de traverse sillonnent le Québec, ces derniers sont, par définition, peu fréquentés – donc peu connus. Résultat : l’information facilement disponible sur le sujet est rare et peu accessible. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas.
« L’important c’est de s’armer d’une mentalité d’explorateur… et d’un cellulaire! », soutient Jean-Sébastien Greffe, qui ne s’aventure jamais hors bitume sans le précieux objet. Selon lui, la meilleure solution pour découvrir les meilleurs chemins de garnotte d’une région consiste de se faire guider par des cyclistes locaux.
Peut-on se fier à l’application sociale Strava, où sont enregistrées les sorties réalisées par d’autres cyclistes? « Non, puisqu’elle n’indique pas l’état des routes, juste l’itinéraire emprunté », souligne-t-il. À moins bien sûr de connaître des adeptes, préférablement fiables, de gravel bike sur la plateforme…
François Parisien a toujours fonctionné avec Google Maps et Google Earth, deux outils qui « font des miracles ». « C’est ce que les professionnels utilisent pour reconnaître des parcours », indique-t-il au passage. Reste que la meilleure des options est, selon lui, de se lancer dans le vide. « Dans l’optique où tu roules pendant plusieurs heures, ce n’est pas grave si tu te perds. Au contraire : ça fait partie de l’expérience. »
Cet événement, qui en est à sa quatrième édition en 2018, est unique en son genre. « C’est simple : c’est la seule course de vélo qui comprend des chemins de garnotte au Québec! », explique Alexis Lepage, le dynamique confondateur de la Classique. « C’est aussi une des seules qui met en valeur le formidable potentiel cycliste de Victoriaville et de ses environs. »
Le volet compétitif n’est pas piqué des vers. Le parcours, d’une longueur de 130 kilomètres, dépasse allègrement les 2700 mètres de dénivelé positif et compte pas moins de 45 km sur terre battue. Pour bien s’achever, les participants grimpent le mont Arthabaska, une ascension de 2,6 km à 7 % de pente, en moyenne. « C’est probablement une des courses d’un jour les plus difficiles en Amérique du Nord », assure Alexis.
Heureusement, le commun des mortels qui n’a pas envie d’en découdre avec les Hugo Houle et Antoine Duchesne de ce monde (deux participants des éditions passées) peut se rabattre sur les parcours de Gran Fondo. Au menu : un défi digne de ce nom, des points de vue magnifiques et de la bonne bouffe, question de bien conclure l’expérience.
Cette année, la Classique des Appalaches aura lieu le 16 septembre, juste à temps pour la fin de la saison cycliste. On se voit sur la ligne de départ?
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