Odyssée appalachienne

En ce petit matin de février, le froid vous scie comme une lame tranchante. Les gradins montés pour l’occasion devant l’école de Saint-Pamphile sont passablement désertés; rares sont ceux qui ont poussé l’audace jusqu’à sortir du lit pour assister, dès 8 heures, au départ du contre-la-montre du 120 milles (192 km avec 8 chiens), sans doute la course la plus attendue de l’Odyssée appalachienne, qui compte 7 catégories de courses de différentes distances. On l’aura compris: cette compétition oppose des créatures qui n’ont que faire du froid… mieux, qui performent avec la baisse des températures: des chiens de traîneau.

La fièvre des courses
Tout autour du point de départ, ça jappe fort, ça trépigne d’impatience, ça attend son tour. Prendre le départ d’une course, pour ces alaskans d’apparence frêle mais d’une incroyable endurance, c’est la plus grande récompense qui soit. Meneurs de chiens et assistants extirpent les 12 chiens de leurs box et les attèlent à chacun des traîneaux, à quelques mètres à peine de la ligne de départ. Le go est lancé, au micro, suivi d’un ordre du musher et dans la foulée d’une formidable traction de tout l’attelage. Un rituel qui se répète inlassablement toutes les deux minutes chrono.
Les alaskans ne sont pas seuls à démontrer leur nervosité avant le départ; chaque concurrent qui s’engage dans cette compétition ouverte aux hommes et aux femmes est conscient du défi qu’elle représente: il aura à courir durant huit heures non-stop avant un arrêt de quatre heures, arrêt bien nécessaire pour qu’humains et bêtes récupèrent, avant de reprendre le rythme effréné de la course. La «120 milles» durera en tout un peu moins de 20 heures et conduira les attelages à travers 5 municipalités de la MRC de L’Islet, à l’extrême est de la région de Chaudière-Appalaches. Cinq villages chargés, en cette fin de semaine spéciale, d’une intensité extravagante et inhabituelle: Saint-Pamphile, où ont lieu départ et arrivée, Saint-Adalbert, Saint-Marcel, Tourville, puis Saint-Omer.
À mesure que s’écoulent les heures et que progressent les attelages, les points d’observation se remplissent de spectateurs: simples curieux, amateurs ou professionnels du traîneau à chiens. Parce que, mine de rien, cette compétition, qui se tient pour une quatrième année en 2010, s’enorgueillit d’être une des plus difficiles du genre à l’est de l’Amérique du Nord. À sa première édition en 2007, l’événement avait déjà réussi à rassembler 80 concurrents du Québec, avides de se mesurer ailleurs qu’au nord des États-Unis ou en Ontario. «L’Odyssée appalachienne représente pour certains grands mushers un entraînement de taille en vue de courses plus difficiles, comme la Yukon Quest », explique son président, Jean-François Labonté. D’ailleurs, au départ du 120 milles, on remarque certains noms qui ont fait leurs preuves dans le petit monde de la compétition en traîneau à chiens du Québec: Martin Massicotte, originaire de Saint-Tite, Daniel Bourrassa, de Lanoraie, ayant tous deux pris part à la Yukon Quest, ou encore Amélie Aubut, de Pont-Rouge (arrivée 2e à l’épreuve du 60 milles après une autre femme, Marie-Ève Drouin). Quelles que soient leurs expériences respectives, les 115 concurrents de la course de 2009 prennent l’Odyssée bien au sérieux, s’efforçant de mesurer l’effort selon l’itinéraire, d’anticiper les problèmes et de finir avec autant de chiens qu’au départ. Cette année-là, le vainqueur du 120 milles est un Ontarien de South River, Rene Marchildon (12 h 17 min), suivi de près par Martin Massicotte (12 h 26 min) et André Longchamps (13 h 05 min).

Un peu plus qu’un sport
Le monde du traîneau à chiens de compétition a l’habitude de se retrouver, hiver après hiver, au départ des nombreuses courses faisant ou non partie du circuit officiel. Si certaines sommes d’argent importantes sont bien souvent à la clé – permettant ainsi aux vainqueurs de continuer à s’entraîner – c’est à la passion que carburent tous ces amoureux du traîneau. Une passion qui semble, selon toute apparence, se porter autant sur les chiens que sur l’aspect compétitif du sport. D’ailleurs, le président fondateur de l’Odyssée appalachienne semble lui-même mû par cet engouement extrême. La jeune trentaine, Jean-François Labonté est de tous les départs, de tous les points d’observation, de tous les appels radio. Son staff de bénévoles a été rodé, durant les années précédentes, à toutes les situations possibles. Rien n’a été laissé au hasard: balisage des sentiers totalisant plus de 200 km, passage des motoneiges la nuit précédant la course pour damer la neige, fermeture des routes pour le passage des traîneaux, patrouilles de sécurité, etc. Sans une méchante dose de passion, tout ça serait sans doute resté dans le domaine du rêve. Pour Jean-François, l’Odyssée représente un peu plus qu’une compétition inscrite au programme officiel: «Cet événement nous permet de célébrer le sport du traîneau à chiens et les valeurs qui lui sont associées: l’endurance, l’harmonie avec la nature, le respect de l’environnement.» Croyez-moi: si vous aviez vu, comme moi, le dernier concurrent du 120 milles arriver en pleine nuit glaciale après 22 heures de course, vous n’auriez aucun doute sur les capacités d’endurance et de courage que l’expérience requiert autant des meneurs que des chiens. En outre, l’organisation encourage les spectateurs à se rendre en raquettes ou en skis aux points d’observation afin de ne pas perturber les attelages et de maintenir l’aspect «plein air» de l’événement.

Le plein air, Jean-François y croit pour sa région, une région quelque peu reculée des grands centres urbains (à environ quatre heures de Montréal) et que ce type d’événement contribue à dynamiser. «Nous tenions à inclure à travers un même événement les cinq municipalités du sud de L’Islet, histoire d’en finir avec les barrières et les guerres de clocher», explique Jean-François, qui travaillait au bureau de développement touristique de la MRC avant que celui-ci ne soit fermé, par manque de fonds. Le maintien de ce genre d’événement de plein air, qu’il soit ou non compétitif, fait plus pour les mentalités et le dynamisme local que bien des subventions injectées ça et là dans des projets de développement.


Cette année-là, malgré le froid piquant de la fin de semaine, l’Odyssée a fait sortir le monde à l’extérieur, a réuni ceux de Tourville avec ceux de Saint-Adalbert, dans une commune et formidable effusion. À quelques foulées du Maine, on se serait cru dans une de ces compétitions internationales où les chiens valent des fortunes et sont considérés comme de véritables athlètes. Une effervescence qui donne à la région un coup de fouet revigorant.

Repères : En 2010, l’Odyssée appalachienne a lieu du 12 au 14 février. Huit catégories de courses sont au programme: 120 milles, 60 milles, 30 milles et 2 X 10 milles, 4 milles (4 chiens) avec, en nouveauté cette année, une course 2 X 25 milles et une autre 2 X 10 milles (6 chiens pure race). Animations prévues: nuit en tente prospecteur, randonnée aux flambeaux, sculpture sur neige, ski équestre, etc. Info: 418 356-2047 ou www.odysseeappalachienne.ca
Quelques hôtels sur place, dont le Gîte Anne-Belle à Saint-Pamphile où logent certains compétiteurs. Info: 418 356-1325

Tant qu’à y être… ne passez pas à côté!
Parc régional des Appalaches
Un beau territoire avec notamment deux monts, Sugar Loaf et Grande Coulée, et des phénomènes naturels à observer: eskers, cascades, tourbières, etc. On y pratique la randonnée en raquettes (120 km de sentiers aussi faits pour la randonnée pédestre), on peut y dormir en refuge, en chalet ou en camping. Également en été: circuits canotables, pistes cyclables et location d’embarcations nautiques. Info: 1 877 827-3423 ou www.parcappalaches.com
Parc nature de Tourville
Uniquement ouvert de mai à la mi-septembre pour la randonnée pédestre (10 km de sentiers), le kayak, le camping et l’observation ornithologique.
Info: 1 800 278-3555
Pourvoirie Daaquam
En dehors de la saison de la chasse et dans certaines zones (à l’écart des motoneiges), on peut participer à une expédition en traîneau à chiens (un ou deux jours) avec coucher en tente prospecteur ou en refuge. Info: 418 244-3442 ou www.daaquam.qc.ca.