Surfin’ Montréal
Vous les avez peut-être déjà aperçus près du pont de la Concorde, ces hommes-grenouilles qui tiennent leur long instrument de plaisir sous le bras; ces planches de surf sur un toit de voiture, dans le Vieux-Montréal; ou ces valeureux surfeurs, extraterrestres entre tous, qui trimbalent leur planche à bicyclette.
«Ça devient un rituel, avec le lever du soleil, raconte Joëlle Gagnon, 28 ans et adepte du surf de rivière depuis 2005. Je règle mon réveil à 5 h du matin, j’enfile mon wetsuit et je descends attendre un de mes amis qui passe me prendre à 5 h 15. J’apporte le déjeuner et lui le café, et on part ensemble vers Habitat 67.»
Au petit matin, le fleuve est inondé de la lumière du soleil, sorti de son terrier à l’est, loin derrière le Casino de Montréal. C’est le moment choisi par plusieurs surfeurs aguerris pour aller danser sur une idyllique vague issue des derniers soubresauts des rapides de Lachine. «Je viens surfer avant chaque journée de travail, dit Hugo Lavictoire, 33 ans, directeur de Kayak sans frontières, une école de kayak et de surf de rivière. Il y a deux ans, on était deux ou trois à venir ici à 6 h du matin; maintenant, on est une quinzaine.»
Baptême de fleuve
Après un survol de l’équipement, nous descendons derrière Habitat 67, où le tumulte et les remous du Saint-Laurent nous rappellent qui fait la loi par ici. Après tout, Montréal doit son existence aux rapides de Lachine, qui freinèrent jadis la progression des navires français, beaucoup plus imposants que ma petite planche de surf.
Quelques exercices plus tard, c’est le moment de me lancer. «En mer, c’est toi qui es statique, tu attends la vague et elle te prend au passage, m’explique Hugo; en rivière, c’est différent: tu dois descendre dans le courant et aller chercher une «vague statique.»
Nous marchons donc sur la rive, une cinquantaine de mètres en amont de cette fameuse vague statique. De là, le moniteur se laisse dériver dans le puissant courant (environ 8000 m3 d’eau/seconde). Le défi est double: d’une part, s’enligner exactement à l’endroit où se trouve la vague, ce qui implique une marge de manœuvre de quelques mètres à peine; d’autre part, pagayer très fort avec ses mains au moment d’arriver dans la vague, pour attraper le contre-courant et demeurer sur la vague.
Je n’ai qu’à suivre les indications du moniteur qui m’attend en surfant, comme s’il était né sur la crête de la déferlante. Il m’observe descendre le courant et me fait des signes pour m’aider à m’enligner. Arrive le moment crucial où je dois pagayer le plus fort possible pour rester sur la vague stationnaire: couché sur ma planche, je sens l’énorme bouillon masser mes jambes. L’environnement sonore m’absorbe, comme si je tombais dans les chutes du Niagara. Une fraction de seconde plus tard, la surface lisse et verdâtre de la vague glisse ses tonnes d’eau sous moi: ça y est, je surfe! Je tourne la tête: Hugo, toujours debout sur sa planche, me regarde crier de joie et sourire à pleines dents.
Surf pour tous
Après trois tentatives, j’aurai réussi à surfer sur la vague deux fois et à me mettre à genoux une seule fois, mais je ne serai pas parvenu à me lever sur la planche. Qu’à cela ne tienne, l’expérience est électrisante. On se sent connecté aux éléments et à la puissance du fleuve. «Le feeling sur la vague est difficile à expliquer, avance Hugo. Adrénaline, liberté, effet de vitesse… Le meilleur rapprochement que j’ai pu faire, c’est une pente de poudreuse éternelle en planche à neige. Tu peux surfer tant que tu ne tombes pas: 5, 10, 20 minutes! Et quand tu tombes, tu ne te fais pas mal, comme dans la poudreuse.»
L’engouement pour le surf de rivière grandit chaque année. À Montréal, il n’est pas rare de voir défiler une centaine de personnes pendant une belle journée d’été. «Dans un cours de dix personnes, il y en a huit qui vont vraiment triper, et il y en a toujours un qui va s’équiper et qu’on va revoir souvent, constate Hugo. Les deux autres vont décrocher à cause de la peur de l’eau ou de leur mauvaise forme physique.»
Comme il n’y a qu’une vague, une file d’attente se forme parfois, près d’Habitat 67, même si une règle tacite veut qu’on demeure un maximum de deux minutes sur la vague. «Je ne suggère pas aux gens d’y aller par un dimanche après-midi ensoleillé de juillet», conseille Joëlle Gagnon.
Montréal, capitale du surf de rivière?
Quand on parle du potentiel de l’activité, Hugo Lavictoire ne manque ni d’idées ni d’enthousiasme. Il souhaite un jour voir une série de vagues artificielles créées dans le but d’établir un parc de surf de rivière. «En Californie, les gens vont surfer avant le travail et il y a des programmes de sport-études, exactement comme avec le hockey ici. Pourquoi ne pas faire la même chose avec le surf? Les gens viendraient à Montréal non seulement pour pratiquer l’activité, mais aussi pour assister au phénomène.»
«Quand je surfe à l’étranger, les gens me trouvent bonne pour quelqu’un qui vient de Montréal!» dit Joëlle Gagnon, qui retourne chaque année dans le Sud pour assouvir sa soif de vagues, car le surf de rivière demeure pour elle une manière de garder la main en attendant de retourner à la mer. «Je ne pensais jamais surfer ici, c’est un rêve devenu réalité, lance-t-elle. J’ai toujours dit que Montréal était la plus belle ville du monde, mais qu’il y manquait la mer. En même temps, en mer, ça peut être calme comme un lac pendant la semaine où tu t’en vas surfer, même à Hawaï. Je suis allée au Salvador en janvier dernier, et pendant la moitié du séjour, aucune vague n’était assez bonne pour être surfée. Pendant ce temps-là, je pensais à mes amis qui surfaient à Habitat 67…»
Le directeur de la Ville de Montréal vient d’apprendre l’existence de cette activité sur son territoire. Le stationnement qu’utilisent les surfeurs, géré par la Cité du Havre, n’est ouvert que durant l’été. Quant à la clique d’eau vive, elle ne pratique le surf de rivière que depuis trois ans, au risque de récolter une contravention pour stationnement illégal si elle vient surfer à un autre moment qu’en juillet ou août. Mais tant qu’il n’y a pas de glace, quelques surfeurs irréductibles fréquentent le site d’Habitat 67. Et le redoux exceptionnel de janvier 2007 leur aura même permis de surfer en plein hiver…
Repères: Location d’équipement de surf
La Cordée : 1 800 567-1106 ou 514 524-1106 ou https://www.lacordee.com
Cours et initiation
Kayak sans frontières : 514 595-SURF ou https://www.ksf.ca