Qui a peur du vélo de montagne?

Un jour qu’ils en avaient assez de peiner pour trouver des sentiers fréquentables pour leur vélo de montagne, David Lauzon et ses potes montagniers se sont mis à les répertorier. Comme il s’agissait d’endroits non officiels ou embryonnaires, ils ne pouvaient pas vraiment en divulguer la localisation au grand public.

Puis, les interdictions d’accès se sont multipliées, les droits de passage se sont envolés, le développement urbain s’est accéléré et le nombre d’endroits où pratiquer le vélo de montagne a rétréci comme peau de chagrin. De nos jours, le besoin est tellement criant que des montagniers sont prêts à faire jusqu’à huit heures de route pour accéder à de bons sentiers… «On s’est donc dit que si on voulait encore pédaler dans des sentiers dans 15 ans, il fallait prendre notre sport en mains», explique David Lauzon, consultant en architecture technologique à son compte et actuel président de l’Association pour le développement des sentiers de vélo de montagne du Québec (ADSVMQ). Ainsi naquit, en 2004, cet organisme bénévole et sans but lucratif.

À l’époque, les planchistes à roulettes avaient leurs parcs urbains; les fondeurs, raquetteurs et randonneurs disposaient tous de leurs lieux de prédilection, mais les adeptes de vélo de montagne: niet, nenni, rien. «C’est pour ça qu’a été créée l’ADSVMQ: pour donner la place qui revient à ce sport récréatif agréable à pratiquer à l’extérieur, bon pour la santé et pour la nature», explique David Lauzon.

S’il est une activité de plein air qui a mauvaise presse, c’est bien le vélo de montagne. À entendre ses détracteurs, il ne serait l’apanage que de jeunes écervelés qui jouent à qui sautera le plus haut avant de labourer un maximum de sentiers. Sans compter les épithètes qu’on lui accole sans vergogne: «dommageable pour l’environnement», «dégradant pour les sentiers», «incompatible avec la montagne»…

«C’est sans fondement! assure David Lauzon. D’abord, l’impact du vélo au sol est toujours relié à des études citées par des environnementalistes, alors que la plupart des études sérieuses concluent que tant les randonneurs que les cyclistes engendrent des dommages à peu près équivalents sur les sentiers. Des études affirment même que l’impact du vélo est moindre, dans certains cas! Ensuite, il faut savoir que les problèmes de dégradation des sentiers sont avant tout liés à leur design.»

Ainsi, un sentier tracé en ligne droite dans le prolongement d’une ligne d’eau (par où celle-ci s’écoule) va rapidement s’éroder de lui-même parce que les eaux de pluie vont s’y engouffrer à la première précipitation, qu’il soit utilisé par des randonneurs, des cyclistes ou des marcassins.

Par la suite, il suffit qu’un vélo passe dans ce sentier encore humide pour qu’on accuse l’ensemble des montagniers d’être une communauté de rustres. «Plus que les traces de pas, les traces de vélo sont facilement repérables, durables et visibles, alors dès qu’un trou de boue se forme, les cyclistes écopent, même si le sentier était déjà endommagé», dit David Lauzon.

On l’aura compris, la solution passe par l’aménagement de sentiers suivant les règles de l’art, comme lorsqu’on construit une route. Et pour ce faire, rien de tel que les conseils émis par l’International Mountain Bike Association (IMBA) – que l’ADSVMQ est d’ailleurs en train de traduire.

«Idéalement, un sentier doit être étroit, sinueux, à sens unique et comporter un minimum de montées et de descentes, explique David. Il ne doit surtout pas comprendre de descentes en ligne droite qu’on dévale les deux freins dans le tapis: ça, c’est le vélo de montagne des années 80, et ça ruine les sentiers! Le degré d’inclinaison du sentier ne doit jamais dépasser la moitié du degré d’inclinaison de la pente sur laquelle il est tracé; sinon, les eaux de pluie emprunteront le sentier, alors qu’à l’inverse, elles le traverseront sans l’abîmer. Par exemple, 24 heures après une averse, nos sentiers d’East Hereford sont au sec! Enfin, il faut prévoir une bonne signalisation: ceux qui se perdent dès qu’ils empruntent les sentiers ne reviendront pas les utiliser.»

Une association proactive

À la fois consultante, militante, lobbyiste, experte en formation et en aménagement, l’ADSVMQ compte environ 1000 membres (surtout des cyclistes, mais aussi des propriétaires terriens), tous affiliés à la Fédération québécoise des sports cyclistes. De plus en plus sollicitée pour développer ou réaménager des sentiers de vélo de montagne au Québec, elle a ainsi quatre aménagements en cours dans les Cantons-de-l’Est (monts Gosford et Bellevue, gorges de Coaticook et East Hereford ), un à Québec (sentiers du Moulin) et un autre dans les Laurentides, où elle participe au développement du parc des Pays-d’en-Haut, un «parc éclaté» comprenant des terres du domaine public qui seront reliées par des sentiers de vélo non officiels traversant des terres privées. «Le projet est embryonnaire, mais la volonté de la MRC est là, dit David Lauzon. Reste encore à obtenir les droits de passage…»

Mais la volonté, justement, n’est pas toujours là. En général, dès lors que l’ADSVMQ propose d’aménager des sentiers dans un parc, elle se bute à un refus systématique des décideurs. Le plus drôle, c’est que d’un côté, elle réussit quand même à obtenir des fonds publics pour réaliser ses projets. «Le ministère des Ressources naturelles nous accorde régulièrement des subventions de type volet II, ce qui signifie qu’il reconnaît que notre travail contribue à mettre en valeur les forêts. Pourtant, ceux qui ont le pouvoir de nous accorder le droit d’aménager un sentier dans un parc nous le refusent!» s’étonne David Lauzon.

Selon lui, Parcs Canada serait à cet égard bien plus libéral. «Même si les gens de Parcs Canada sont plus pointilleux sur les règlements, ils font montre de beaucoup plus d’ouverture d’esprit par rapport au vélo de montagne: l’IMBA a déjà tracé des sentiers dans les parcs nationaux fédéraux et un projet est en cours dans le parc de Jasper, observe-t-il. Alors si c’est possible dans le reste du Canada, pourquoi pas ici?»

L’ADSVMQ doit faire face à grandes difficultés, dont changer les mentalités et faire valoir le vélo de montagne comme un sport en soi, au même titre que le ski de fond. «Ces deux activités ont d’ailleurs beaucoup en commun: le même type de personnes les pratiquent, avec le but d’aller jouer dehors pour faire de l’exercice. Dans l’État du vélo 2005, on relève d’ailleurs que les montagniers sont souvent des pères de famille professionnels qui consacrent leurs temps libres au vélo avant de rentrer sagement souper à la maison…» On est loin de l’image du jeune cycliste casqué et en armure, dont le seul but est de détruire la nature, une image souvent colportée à tort par certains détracteurs!

Le pire, c’est que le vélo de montagne est bon pour la nature, soutient David Lauzon. «Ça prend beaucoup d’énergie pour tracer son propre sentier à vélo, explique-t-il. Or, en donnant aux montagniers des sentiers bien aménagés et dignes de ce nom, ils iront naturellement les emprunter et n’iront plus se promener n’importe où en forêt; bref, à la base, il faut répondre aux besoins des adeptes.»

«Ce faisant, poursuit David Lauzon, on crée de nouveaux amants de la nature, qui vont grossir les rangs des adeptes de sports récréatifs et qui formeront davantage de militants pour préserver les parcs et les montagnes.» Sans compter que les adeptes de vélo de montagne ont l’habitude de bichonner leurs sentiers et que la culture du bénévolat est bien implantée chez eux. «On a peu de sentiers, alors on en prend soin!» Et même s’il en coûte de 5000 à 10 000 $ du kilomètre pour aménager un sentier, l’ADSVMQ réussit toujours à faire ses frais avec ses seules subventions, publiques ou privées.

Cela dit, il y a encore bien loin de la coupe aux lèvres. Et pour l’instant, David Lauzon ne se fait pas d’illusions. «On sent que ça bouge, mais il reste encore beaucoup de changements de perception à faire, c’est un travail de longue haleine», constate-t-il. Mais il garde espoir…

Suivez le guide!
Ça a pris des années de travail à l’ADSVMQ pour produire un Guide d’aménagement des sentiers de vélo de montagne, publié par la Fédération québécoise des sports cyclistes. Les adeptes du sport seront heureux d’y trouver d’innombrables conseils pour la conception et la réalisation de sentiers depuis des premiers contacts avec les acteurs politiques jusqu’aux questions d’entretien des sentiers, ceci, dans le respect des normes établies par l’association. Ce guide est disponible sur le site: www.adsvmq.org et dans les boutiques membres de l’ADSVMQ au prix de 35$.

De l’art de tracer un sentier

D’abord, on regarde attentivement une carte topographique pour envisager toutes les possibilités. Puis, on commence par créer une boucle accessible pour débutants, puis un sentier intermédiaire, une boucle pour experts, etc. Ensuite, on fait un plan général sur ordinateur et on part en forêt pour marcher, carte et GPS en main, en faisant bien attention où on passe. On favorise les crêtes situées assez loin des milieux humides pour faciliter l’écoulement de l’eau. On procède ensuite à un premier balisage en installant des rubans aux arbres puis, quand on est sûr du parcours définitif, on plante une série de petits drapeaux au sol, à l’endroit exact où passera le sentier, en évitant les creux où l’eau pourrait s’accumuler. Puis, on ouvre un corridor en coupant les branches qui nuiraient aux montagniers; on enlève les branches et tout ce qui jonche le sol. Ensuite, à l’aide d’un Pulaski (ou hache forestière, moitié hache, moitié bêche), on retire la couche organique du dessus du sol: c’est elle qui absorbe et garde l’eau, et il faut donc descendre jusqu’à la couche minérale pour faciliter le séchage rapide du sentier. Pour terminer, on ajuste les pentes à son goût et on effectue les changements d’inclinaison nécessaires pour maximiser le drainage du terrain. Idéalement, on favorise les pentes moyennes et on fait monter et descendre le sentier avec une inclinaison d’environ cinq degrés pour que l’eau s’écoule sans emprunter le sentier. Enfin, parfois, on «renaturalise» un sentier après l’avoir fermé parce qu’il était mal aménagé. On le couvre alors de fougères et on laisse la végétation repousser.

Le top 5 des sentiers de David Lauzon

Parc de la Gorge-de-Coaticook (Cantons-de-l’Est)

Un des endroits les plus connus au Québec. Sentier de près de 18 km pour intermédiaires et avancés, très exigeant, intense et technique, avec beaucoup de relance et peu d’occasions de repos. Virages en épingle à cheveux, sauts, racines et belles descentes. Payant.

Repères: 400, rue Saint-Marc, Coaticook. Info: 1 888 LAGORGE (524-6743) ou www.gorgedecoaticook.qc.ca

Circuits frontières, East Hereford (Cantons-de-l’Est)

Le bébé de David Lauzon et de l’ADSVMQ, et ils en sont très fiers. Pas moins de 30 km de sentiers simple trace (single track) aménagés en trois ans, très fluides, pour les montagniers débutants et intermédiaires. Ces sentiers s’ajoutent à un réseau de parcours déjà connus, dont certains grimpent sur les plateaux du mont Hereford (860 m). «Ces sentiers répondent à un grand besoin de parcours pour débutants et intermédiaires», dit David. Un modèle à suivre pour recruter de nouveaux adeptes. Gratuit.
Repères: Accès derrière l’église, rue de l’Église, East Hereford.

Info: 819 844-2463 ou www.municipalite.easthereford.qc.ca

Mont Gosford (Cantons-de-l’Est)

À l’intention des adeptes intermédiaires et experts, une dizaine de kilomètres de sentiers très techniques, sur un terrain joliment et naturellement accidenté. Le tout est tracé dans la Forêt habitée du mont Gosford, un concept qui tente de réconcilier les intérêts divergents de ceux qui veulent «profiter» des lieux: randonneurs, montagniers, écologistes, chasseurs et même l’industrie forestière. Payant.
Repères : Mont Gosford, 901, rang Tout-de-Joie, Saint-Augustin-de-Woburn.

Info: 819 544-9004 ou www.montgosford.com

Parc Dufresne, Val-Morin (Laurentides)

«As-tu fait la wall ride?» est la question qu’on se fait toujours poser ici, en référence à ce passage particulièrement bien aménagé d’un sentier qui s’élève contre le flanc d’un gros rocher. Sinon, ce parc est un excellent endroit où s’initier, vu la variété et le grand nombre de sentiers pour débutants. Payant.

Repères: Centre de plein air Far Hills/Val-Morin (parc Dufresne, secteur Val-Morin): 5966, chemin du Lac-La Salle, Val-Morin. Info: 819 322-2834 ou www.val-morin.ca/parc

Sentiers du Moulin (Québec)

Un autre bébé de l’ADSVMQ. Plus de 15 km (en progression) de sentiers techniques très intéressants à rouler, beaucoup de défis et d’accidents de terrain (on franchit parfois des ponts vissés dans le roc). Très fréquenté par de nombreux montagniers qui ont développé un fort sentiment d’appartenance. Plusieurs clubs s’y entraînent. Payant.

Repères: 99, chemin du Moulin, Lac-Beauport. Info: 418 849-9652 ou www.sentiersdumoulin.com

Pour en savoir plus

-www.adsvmq.org: site officiel de l’ADSVMQ.
-www.allezy.net: tout, tout, tout sur les sentiers de vélo de montagne au Québec (cartes, directions, tarifs, etc.). Un must.
-www.fqsc.net: site de la Fédération québécoise des sports cyclistes.
-www.imba.com/canada: site de l’IMBA Canada.

À quand du vélo légal sur le mont Royal?

C’est un débat récurrent qui divise autant les randonneurs et les cyclistes montréalais que les anglos et les francos l’ont été lors du dernier référendum: doit-on permettre le vélo de montagne sur le mont Royal? David Lauzon croit que oui. «Il n’y a pas de problème de vélo de montagne au mont Royal, il n’y a qu’un problème d’utilisation anarchique des lieux par les usagers, que ce soit les marcheurs, les cyclistes ou ceux qui allument des feux de camp. Il n’y a pas de circuit balisé, et la plupart des sentiers qu’on voit aujourd’hui ont été créés par des marcheurs n’importe où, n’importe comment. Puisque ces sentiers ne sont pas répertoriés, les gens ne savent pas où aller, alors ils continuent de marcher n’importe où, ce qui aggrave l’érosion.»

La solution? Créer des sentiers réservés aux randonneurs et d’autres – au moins un – pour les montagniers. «Tous les grands centres urbains ont besoin de sentiers de vélo de montagne. Tous ceux qui se sont penchés sur la question en sont venus à la même conclusion: il faut aménager des sentiers pour répondre aux besoins des adeptes du vélo de montagne; même les Amis de la montagne sont d’accord avec ça!»

Mais pour que les cyclistes hors-la-loi ne se sentent pas l’envie d’aller tracer leurs propres sentiers sur le mont Royal, il faut toutefois leur en donner pour leur argent, soit un minimum acceptable de parcours aménagés avec du défi, des montées, des descentes, un brin de difficulté, des couloirs assez étroits… Vu la popularité évidente que susciteraient de tels sentiers, il faudrait en outre songer à d’autres sites, fussent-ils plus techniques, sur l’île de Montréal. «Calgary l’a fait dans son parc olympique, certaines villes ont aménagé des sentiers sous une autoroute… Près de l’échangeur Turcot, par exemple, on pourrait créer une boucle de 10 km, ou alors on pourrait tracer un parcours technique à l’extérieur du nouveau Taz.» Après tout, n’est-ce pour retirer les planches à roulettes des rues qu’on a créé – avec succès – tant de skateparks, un peu partout dans le monde urbanisé?