No Wi-Fi Train

Ligne Senneterre – Montréal, 717 km. Durée estimée: 12h. Durée réelle: 15h et des poussières. Aucune connexion Internet.

Ce train-là vous parle de plein air et d’aventure. Il vous raconte des récits de pêche, des histoires d’ours et de forêts denses où se fraient des rivières.

Ce matin, sur le coup des 9h, le train s’est ébranlé dans un soupir plaintif au creux de l’Abitibi Nord. Dans le wagon, on a senti comme un soupir collectif de contentement. Comme la joie d’un enfant qui coiffe enfin la casquette du conducteur de locomotive.

Deux femmes Algonquines, mère et fille semble-t-il, ont adressé des bye bye rieurs et volubiles à la parenté restée sur le quai. En s’agitant, leurs poignets ont fait teinter des bracelets de perles où pendaient des breloques d’argent.

À Clova, on a vu monter, gaillards, des clients de pourvoiries, la besace pleine de dorés gros comme ça et d’un brochet, grand comme un homme, qui s’était battu à la loyale avant d’emporter sa prise au fond du lac. Le poisson a survécu; le pêcheur a sacré sa déception au fond de sa chaloupe. Mais le brochet géant a pris sa place dans le wagon.

Sur le coup de midi, à Parent, ont embarqué des villégiateurs ragaillardis par une semaine de beau temps passée sur les sentiers. Mais une petite pluie fine s’est mise à battre la chamade sur la vitre, tandis que les conversations allaient bon train entre les passagers. Une bonne année de bleuets, petits mais pleins de saveurs… Le festival western de Saint-Tite, c’est pour la semaine prochaine…

En début d’après-midi, on a senti l’odeur acre de La Tuque avant d’apercevoir ses cheminées d’usine de pâte et papier. Le wagon s’est pincé le nez frénétiquement.
Hervey Jonction, arrêt, tout le monde descend. On attend le 15h06 de Jonquière pour le raccordement. Les amitiés continuent de se tisser sur le quai, autour d’une cigarette, d’un café. Une fois, ils ont même embraqué un cercueil dans le compartiment réservé aux bagages et aux canots! Et une autre fois, pendant la chasse, on a même vu la dépouille d’un orignal!

Durant deux bonnes heures, le train a longé la rivière Saint-Maurice et ses canoteurs du dimanche. Éclaircie, bruine, passage nuageux, éclaircie. La météo a joué à cache-cache dans l’encadrement de la fenêtre.

Jusqu’à ce que la lumière décline vers la fin du jour. Les conversations se sont raréfiées, les rires se sont tus. Toute cette effervescence tapageuse du matin s’est convertie au fil des heures en morosité silencieuse. D’autant que dès l’approche de la grande région métropolitaine, la forêt avait disparu au profit des grandes avenues commerciales. Tim Horton, Wallmart, TD Canada Trust, Pharmaprix… La ligne Nord-Sud parvenue à son terme, était passée de la forêt boréale à la jungle urbaine.

À l’arrivée en gare, sitôt le train immobilisé, les passagers se sont évaporés en échangeant un salut rapide et discret, brouillé par l’heure tardive, la longueur du voyage et la hâte de rentrer à la maison.