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Planter ou couper des arbres ?
Après avoir entendu Justin Trudeau promettre la plantation de deux milliards d’arbres pendant sa campagne électorale, j’ai eu envie d’aborder ici le rôle des arbres dans la lutte aux changements climatiques. J’en ai eu plus envie encore lorsque Pierre Dufour, ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, a déclaré que couper plus d’arbres réduirait les gaz à effet de serre.
Beau paradoxe, n’est-ce pas ? Le gouvernement canadien plantera des arbres, et celui du Québec les coupera. Tout ça dans le même objectif : diminuer le carbone dans l’atmosphère. Mettons un peu d’ordre dans les racines scientifiques de ces deux discours.
La proposition du premier ministre canadien s’inscrit dans un mouvement mondial qui gagne en popularité. Entre autres, une étude de scientifiques suisses, publiée dans Science en juin dernier, affirme que la meilleure solution en vue de limiter le réchauffement climatique sous la barre du 1,5 oC est de planter 1000 milliards d’arbres. Peu après, l’Éthiopie a promis d’en planter 4 milliards et l’Irlande près d’un demi-milliard, et le Canada a emboîté le pas.
Voilà des chiffres impressionnants qui, s’ils sont atteints, mèneront à la séquestration de millions de tonnes de carbone. Car les arbres, pendant leur croissance, emmagasinent le carbone grâce à la photosynthèse. C’est donc une bonne chose, mais en proposant ces projets titanesques, a-t-on pensé au respect de la dynamique écologique des écosystèmes, ou à l’intégration des communautés locales ? La littérature scientifique met en garde contre le « colonialisme environnemental » de ces initiatives.
Cela dit, les arbres ne sont pas que réservoirs de carbone. En milieux agricoles, ils stabilisent les berges et filtrent l’eau s’écoulant des champs. En ville, ils captent les polluants et diminuent les îlots de chaleur ; la Banque TD a démontré en 2014 que la valeur des arbres urbains de Vancouver, Toronto, Montréal et Halifax correspond à 51 milliards de dollars en raison des services qu’ils offrent gratuitement aux citoyens. Le fait de planter des arbres dans le but de séquestrer le carbone fait oublier l’ensemble des bénéfices qu’ils fournissent aux collectivités et dirige les ressources de la plantation vers des milieux moins habités.
L’idée de couper des arbres pour stocker puis stimuler la séquestration de carbone n’est pas non plus saugrenue. Une forêt bien gérée présente des avantages tant économiques qu’écologiques, d’autant plus que les jeunes forêts poussent plus rapidement que les forêts matures, séquestrant dès lors davantage de carbone. Toutefois, plusieurs paramètres sont à prendre en compte pour que cette direction ait un sens. D’abord, dans le calcul de la captation et des émissions de carbone des forêts jeunes et des forêts matures, n’oublions pas de considérer que ces dernières ne sont pas statiques et qu’elles séquestrent encore beaucoup de carbone ; en outre, comme elles en emmagasinent de larges quantités dans les sols, une coupe peut libérer ce carbone, affectant le bilan final. Ensuite, on doit s’assurer que le bois récolté demeure effectivement un stock de carbone en étant employé, dans la construction par exemple ; le Québec s’est doté, il y a quelques années, d’une Charte du bois dans le but de stimuler l’utilisation de cette ressource dans la construction, et beaucoup reste à faire pour en exploiter le plein potentiel.
Respecter la dynamique socioécologique des forêts dans leur gestion s’avère aussi primordial. En effet, une forêt mature constitue non seulement une gamme d’habitats pour la biodiversité, mais, dépendamment de son emplacement, elle exerce des effets importants sur la connectivité écologique et l’hydrologie des bassins versants. Et c’est sans compter le fort consensus social qui réclame la protection de la nature. Ce serait donc se mettre des œillères que d’envisager la mise en valeur des forêts uniquement comme une danse entre la séquestration de carbone et la récolte de produits ligneux.
En somme, lutter contre les changements climatiques nécessite-t-il de planter des arbres ou d’en couper ? Les deux, évidemment. Mais le mieux serait probablement d’éviter les raccourcis scientifiques et la recherche de solutions miracles, et de reconnaître que l’ampleur du problème doit se refléter dans un ensemble complexe de réponses.
Jérôme Dupras est scientifique, professeur au Département des sciences naturelles de l’UQO, artiste et activiste.