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Aventures automnales
Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.
Incursion en Batiscanie
Nul ne sait de manière absolue ce que signifie Batiscan. Pour le découvrir, il faut aller à la rencontre de cette rivière et de son immense bassin versant convenant à la pratique d’une foule d’activités de plein air.
Batiscan ? On raconte que Samuel de Champlain aurait été le premier à mentionner cet étrange toponyme dans Des Sauvages, le récit de son premier voyage au Canada. « Du costé du Nort [du Saint-Laurent], il y a une rivière qui s’appelle Batiscan, qui va fort avant en terre, par où quelques fois les Algoumequins viennent », écrit le fondateur de Québec en 1603. Il décrit plus tard cette même rivière comme « agréable et poissonneuse », mais fait aussi référence à « un Capitaine sauvage appelé Batiscan ». Selon d’autres interprétations, cette dénomination aurait pour sens « vapeur » ou « nuée légère », « qui a des joncs à son embouchure », voire « viande séchée pulvérisée » en référence à un mets amérindien, le pemmican. Bref, ça va dans tous les sens.
Chose certaine, ce n’est pas en survolant le cours d’eau par l’autoroute 40, un brin à l’est de Trois-Rivières, qu’on élucidera ce mystère. C’est pourtant ce que font la vaste majorité des Québécois, qui se privent ainsi de découvrir la Batiscanie, un territoire de 4700 km2 correspondant au bassin hydrographique de ladite rivière. La Batiscan prend sa source très loin, soit au lac Édouard, près de La Tuque. Elle coule sur 188 km dans les régions de la Mauricie et de la Capitale-Nationale ; une dénivellation de 365 m sépare l’amont de l’aval, l’équivalent de deux Place Ville Marie, ou 84 étages. Cela signifie qu’elle est ponctuée de nombreux rapides, ce qui en fait une chouchoute auprès des canoteurs, surtout lors de la crue printanière.
À son point de chute avec le fleuve Saint-Laurent, dans la municipalité de Batiscan même, ses flots sont néanmoins vraiment calmes. Assez large, la rivière irrigue des terres agricoles fertiles qui font le bonheur des habitants du coin depuis 1666, date à laquelle la seigneurie de Batiscan commence à être exploitée. On s’immisce dans la riche histoire de cette contrée méconnue au site patrimonial du Vieux-Presbytère-de-Batiscan, qui comprend la maison, bâtie en 1816, où a demeuré le curé Wenceslas Théophile Fréchette de 1843 à 1875. Comme l’endroit borde le chemin du Roy, on y laisse son automobile au profit de sa bécane, puis on s’élance sur la Boucle de l’est, une des Véloboucles de la Mauricie. Profitez-en pour enjamber le pont de fer de la rivière Batiscan, à la surface grillagée… et duquel on aperçoit des joncs au loin. Tiens, tiens.
Nature et nourriture
Prochain arrêt : le parc de la Rivière-Batiscan, qu’on atteint après à peine quelques minutes de route par la 361. Fondé en 1979, ce parc régional est le fruit de la volonté de Sainte-Geneviève-de-Batiscan, de Saint-Narcisse et de Saint-Stanislas de mettre en valeur les derniers remous de la rivière. Cette section est fort bien préservée, comme en témoigne la dense forêt de conifères et de feuillus dans laquelle sont tracés 20 km de sentiers de randonnée balisés de niveau facile à intermédiaire ainsi que quelques pistes de vélo de montagne. « Nous faisons beaucoup d’efforts pour maintenir la nature à son état pur. C’est un défi constant, car le parc empiète largement sur des terres qui ne lui appartiennent pas en propre », explique Nicole Robert, directrice générale du parc de la Rivière-Batiscan.
Chacun des trois secteurs du parc est doté de sa personnalité propre. Le secteur Grand-Bassin, le plus au sud, est de loin le plus sauvage. On y trouve des sites de camping sans services et des hébergements rustiques isolés les uns des autres, comme je le constate en prenant possession d’une des quatre cabines de type lean-to (abris trois-faces) inaugurées à l’été 2020. Après une nuit bercée par les doux clapotements des flots, je pars à la découverte des secteurs voisins par l’entremise du sentier Le Doré. Celui-ci porte bien son nom, et on s’imagine sans peine pêcher à gué à plusieurs endroits dans le parc, qui vend d’ailleurs des appâts sur place. Outre du doré (ben oui !), on y taquine principalement de l’achigan, du crapet de roche et de la barbue de rivière.
En raison de sa via ferrata qui tutoie des rapides, de ses prêts-à-camper et de la centrale hydroélectrique quasi centenaire – ce site maintenant patrimonial a été construit en 1926 par la Shawinigan Water and Power Company –, le secteur Barrage est plus familial. C’est un peu le cœur du parc, l’endroit où les visiteurs d’un jour, soit les trois quarts des visiteurs du parc, garent leur automobile.
Le secteur Murphy, le plus au nord, intéressera quant à lui les campeurs en petit véhicule récréatif de même que les adeptes de kayak d’eau vive. « Au printemps, les eaux de la rivière gonflent, créant des rapides de classes III et IV », précise Nicole Robert. Le débit frise alors les 500 m3/s, selon les données d’une station hydrométrique installée tout près.
Jouer dehors creuse l’appétit. Ça tombe bien : au village adjacent de « Saint-Stan », la microbrasserie Le Presbytère fait office de point de chute idéal en fin de journée. On aime le bric-à-brac de bon goût qui tient lieu de décoration, dont cette petite reine rétro accrochée au plafond, de même que les bières brassées sur place. Mon coup de cœur va cependant aux burgers à saveur locale mitonnés avec originalité par la chef et copropriétaire Isabelle Dupuis ainsi que son équipe. De la viande et des condiments de la région coincés entre deux tranches de pain brioché, n’est-ce pas (un peu) comme un dérivé moderne du pemmican ?
Monsieur Batiscan
Une demie-heure de digestion voiture plus tard, nous voilà dans Mékinac , ce un secret bien gardé. Et pour cause : cette région enserrée au milieu de la Mauricie est éloignée de tout, en périphérie des gens pressés des grands centres. Pour s’y rendre, on parcourt obligatoirement un dédale de chemins de campagne tortueux, comme je le fais en me dirigeant vers Notre-Dame-de-Montauban. La route 352 épouse le tracé de la rivière Batiscan jusqu’à Saint-Adelphe, où j’oblique dans les terres vers Saint-Ubalde, capitale québécoise de la pomme de terre. Une halte à la boulangerie Pain Pain Pain s’impose. Une amandine plus tard, je file pleins gaz sur la 363, puis la 367, qui m’amène à destination non sans avoir renoué au passage avec la Batiscan.
Des sentiers de randonnée pédestre sont aménagés au cœur de Notre-Dame-de-Montauban qui forme, avec le hameau de Montauban-les-Mines, une localité de 750 âmes. Il suffit de battre la semelle quelques minutes pour contempler les chutes du Neuf, soit le lieu du neuvième portage que devaient jadis effectuer les colons arrivant de Saint-Stanislas. Hautes d’une vingtaine de mètres, celles-ci sont mieux connues sous le sobriquet de chutes du Cinq Dollars Canadien ; elles ressemblent à s’y méprendre à la déclivité qui figurait sur le billet de 5 $ de 1954.
En continuant à longer la Batiscan, on part à l’assaut du mont Otis. Ce dernier culmine à 5 km du parc des Chutes-de-Montauban, à moins d’emprunter la passe à Ti-Fred, un raccourci à flanc de cap rocheux qui soustrait environ 2 km à l’équipée. La piste, un tronçon du Sentier national, se poursuit ensuite jusqu’au lac Carillon, situé dans le parc naturel régional de Portneuf.
J’attaque plutôt le sommet de 325 m à partir d’un sentier d’accès aménagé par l’entreprise de plein air Exit Nature. On parle alors d’une boucle de 3,4 km. Pas de chance : une purée de pois vaporeuse recouvre la rivière lors de mon passage, ce qui me prive du point de vue réputé formidable tout en haut. Un phénomène courant, m’indique plus tard Jean-René Carpentier, propriétaire d’Exit Nature et puits intarissable d’anecdotes diverses sur le secteur. Ce travailleur plurifonction (« slasheur » étant le terme plus répandu) âgé de 65 ans – il a été tour à tour pilote de ligne, agent immobilier et vendeur de cellulaires avant de se recycler dans le tourisme d’aventure – tire profit de la Batiscan depuis une dizaine d’années. Son pain et son beurre ? Sous forme de forfaits personnalisés, des services de navette et de location de canot pour la descendre.
Pas question toutefois d’envoyer un néophyte de ma trempe sur les sections les plus rock’n’roll, comme celle des Portes de l’Enfer, propice au rafting, ou sur ses affluents, les rivières Jeannotte et des Éclairs. « Je te propose plutôt de canoter des kilomètres 102 à 78. C’est un segment de niveau débutant à intermédiaire dont la seule véritable difficulté est le rapide de la chute du Dix », détaille Monsieur Batiscan. Excellent choix : le lendemain, je passerai une journée mémorable sur les flots, allant même jusqu’à franchir ledit classe III sans chavirer. Surtout, je prendrai la pleine mesure d’un cours d’eau sauvage bordé de nombreux sites où piquer sa tente, comme à l’embouchure de la rivière à Pierre. De quoi donner le goût de pousser l’exploration plus loin. Ainsi naissent les aventures de demain.
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Encadré
Canot sur rail
De Montréal, pas besoin de prendre sa voiture pour canoter la Batiscan. Via Rail assure une liaison Montréal-Jonquière dont le tracé avoisine de larges sections de la rivière à partir de la station Hervey-Jonction, à Lac-aux-Sables, au nord-est de Saint-Tite. En échange de quelques dizaines de dollars supplémentaires, le transporteur ferroviaire permet d’embarquer des canots dans ses wagons. Les passagers peuvent débarquer avec leur paquetage où bon leur semble parmi les innombrables arrêts qui jalonnent le parcours. Unique prérequis : ne pas être pressé, Via Rail n’étant pas reconnue pour sa ponctualité…
En bref
La découverte de la Batiscanie, un fantastique lieu où jouer dehors.
Attrait majeur
La rivière Batiscan, fidèle à ses significations d’attribution multiples.
Coup de cœur
La rivière Batiscan (bis), dont la réputation auprès des canoteurs n’est pas exagérée, au contraire.