Présenté par Tourisme Gaspésie
Destinations

Aventures automnales

Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.

Le Mississippi dans la mire

  • Photos Gaétan Matte

Deux Québécois ont pagayé, sous la canicule, de Chicago jusqu’à La Nouvelle-Orléans, réalisant un rêve de longue date. Un voyage marquant à tous les égards. Récit.

____

Il y a de ces rêves qu’on transporte toute une vie. On ne sait trop d’où ils viennent ni pourquoi ils refont surface à l’occasion. Depuis ma vingtaine, l’idée de descendre le fleuve Mississippi m’habitait. Est-ce que je voulais m’impressionner moi-même ? Me donner des airs d’aventurier ? Avec la soixantaine qui s’entamait, je pensais toujours à ce projet fou. Mais pour le réaliser, je croyais la date de péremption dépassée.

C’était sans compter les hasards de la vie. Lors de l’édition 2017 du Défi kayak Desgagnés Montréal-Québec, j’ai fait la connaissance de Joseph Marc Laforest. Au cours d’une discussion, j’ai évoqué le grand fleuve. Il m’a pris au mot, si ce n’est au piège, car Joseph Marc voulait tenter l’aventure, formulant le souhait que nous passions à l’action.

Avant d’enclencher la préparation venait l’étape délicate de convaincre Nancy, ma conjointe, de me laisser partir pour un aussi long voyage. D’autant plus qu’elle croyait mon rêve utopique. Après deux jours de silence radio sur le sujet, elle a donné son accord, à la condition de procéder à nos préarrangements funéraires – tout pour nous donner confiance ! C’est ainsi que pendant 51 jours, en août, septembre et octobre 2019, Joseph Marc et moi avons descendu le Mississippi en kayak, un périple de 2300 km en commençant sur la rivière Illinois, à Chicago.

Le choix de l’embarcation s’imposait d’emblée : mon kayak tandem d’expédition de 22 pi (7 m). L’autre décision inhérente à notre voyage concernait notre campement : tente ou hamac ? Ce dernier s’est mieux qualifié pour éviter l’humidité du sol et les bestioles rampantes.

Malgré tous nos efforts pour voyager léger, nous avions à propulser une embarcation qui dépassait les 250 kg, incluant le poids des pagayeurs. Hors de l’eau, c’est plus de 100 kg que nous portions. Or, rien n’est prévu en vue de faciliter les accostages pour les petites embarcations, autant sur l’Illinois que sur le Mississippi, d’où l’importance d’une bonne condition physique. Ma longue pratique du yoga, et plus récemment de la callisthénie, m’a grandement aidé à répondre aux exigences du défi et, au besoin, à compenser une baisse d’énergie de mon partenaire – tout de même en forme malgré sa décennie d’avance sur moi. En revanche, je ne connais aucun entraînement qui prépare à passer six ou sept heures par jour dans un kayak. Courbatures garanties.

L’épopée de Martin Trahan, ce canoteur québécois qui a traversé les États-Unis d’ouest en est, a constitué un élément stimulant dans notre planification. Au cours de nos recherches, nous avons aussi appris l’existence des River Angels. Ces personnes, prêtes à apporter du soutien aux pagayeurs, nous ont fourni une aide essentielle sur le Mississippi. Avant notre arrivée dans certaines villes, j’exprimais notre besoin auprès du groupe Facebook Mississippi River Paddlers et, chaque fois, de l’assistance nous était proposée.

 

Première étape : la rivière Illinois, 550 km en 16 jours

Mais pourquoi partir de Chicago et non de la source du fleuve, dans l’État du Minnesota ? D’abord, parce que nous pouvions rejoindre cette ville plus facilement à partir de Québec. Ensuite, pour le défi de ne pas s’offrir le Mississippi d’emblée. La perspective de démarrer notre aventure en plein centre-ville et de pagayer à travers un canyon de gratte-ciel nous séduisait.

Après l’enchantement de ce décor architectural, nous avons éprouvé un choc dans la zone industrielle de Chicago : pollution, rivage bétonné, bruit extrême et pilotes de remorqueurs de barges peu sympathiques. Nous devions prendre notre place, chercher longtemps afin de trouver un site pour dormir.

Convaincus de la singularité de notre entreprise, quelle surprise, le troisième jour, de rencontrer Stefan Von Aulock, un Américain parti de chez lui en même temps que nous. Lui, il avait plutôt entamé sa navigation sur la rivière Des Plaines, un affluent de l’Illinois. Cet ingénieur de 31 ans, en remise en question professionnelle, cherchait l’inspiration sur l’eau. Tout comme nous, il voulait atteindre le Mississippi, mais avec des moyens rudimentaires : un canot de 12 pi (3,70 m) payé 40 $ qui prenait l’eau.

Muni de maigres provisions – des pommes et un énorme chou vert –, Stefan s’est vite rendu compte que ce type d’exercice réclame un carburant plus substantiel. Il s’est mis au diapason de notre alimentation, surtout végétarienne et autrement plus copieuse. Et nous lui avons rendu service en l’aidant à en finir avec son interminable chou !

Une chimie s’est installée entre nous trois. Nous avons voyagé ensemble pendant 41 jours. Il faut croire qu’il prenait plaisir à se retrouver avec les « two French Canadians ». Toutefois, plus lent que nous et davantage confronté à l’effet du vent et des vagues provoquées par les barges, Stefan pagayait plus longtemps avant de nous rejoindre en fin de journée.

Pour notre bonheur, la nature reprenait par moments ses droits et nous permettait d’observer des pygargues à tête blanche, des hérons, des aigrettes et des pélicans. Mentionnons aussi cette curieuse espèce volante qui nous attaquait en surgissant hors de l’eau : la carpe asiatique. Toute une sensation lorsque ces carpes vous effleurent le visage !

Le passage des écluses représentait toujours un défi. Si nous avons dû patienter quatre heures avant de franchir la première, les trois suivantes étaient fermées durant la journée en raison de réparations. Comme il s’avérait non sécuritaire, voire dangereux, de pagayer de nuit, cela nous a donné l’occasion de faire la connaissance de personnes des plus avenantes.

À la première, un grand-père qui attendait ses fils a accepté de charger le kayak dans sa remorque à cheval, afin de nous amener au bas de l’écluse. La deuxième fois, Rick, en vacances dans le coin avec sa conjointe, nous a aidés à sortir le kayak de l’eau pour trouver un lieu de portage dans les environs. Chris Rush, le gérant de l’installation, est alors venu nous voir. Dans son pick-up, nous avons réalisé une recherche en ce sens. N’obtenant aucun résultat, il a donné l’ordre d’ouvrir l’écluse pour nous laisser passer. Sympa et inespéré !

S’ajoutent à cela toutes sortes de délicates attentions, comme ces cafés et muffins qui nous attendaient au réveil dans une marina, gracieuseté d’on ne sait qui, comme cette invitation à souper venue d’une famille de campeurs, ou encore, cette proposition à trinquer que nous avons reçue afin de profiter d’une pause sur une plage par un beau samedi après-midi. Ça ne se refuse pas. La gentillesse spontanée des gens a donné au mot « accueil » tout son sens.

 

Deuxième étape : le Mississippi : 1750 km en 35 jours

Nous ne le savions pas, mais la ville d’Alton, sur le Mississippi, abritait la dernière marina où nous avons pu faire escale pour une nuit et installer nos hamacs. Mis à part Memphis, on ne trouve pas d’endroits propices aux arrêts pour de petites embarcations comme la nôtre. Accoster dans la boue, dans les vagues, sur le béton, dans les roches, avec des escarpements à gravir, voilà des aléas qui exigeaient prévoyance et prudence afin de ne pas fracasser le kayak ou encore, nous blesser.

Nous avons appris à lire les mouvements du fleuve de manière à faciliter notre propulsion, et avons constaté la vitesse très variable du courant. Nous avons aussi développé l’habileté à repérer des rivages sablonneux et fermes, pour nos haltes en pleine nature. C’est le genre de chose qu’on acquiert rapidement après s’être enfoncé les pieds dans la glaise à quelques reprises au sortir du kayak ! Ce n’est pas pour rien qu’on surnomme ce fleuve le « Big Muddy ».

Notre première impression, en nous glissant sur le Mississippi, a été de réaliser que nous venions d’entrer dans les ligues majeures. Les mouvements et les contre-courants de l’onde rendaient le contrôle de l’embarcation parfois hasardeux. Mais la totale, nous y avons goûté au confluent du Mississippi et de la rivière Missouri. Mike Clark, notre contact à Saint-Louis, nous avait avertis que nous allions vivre toute une expérience à cet endroit. Ouf ! Il n’avait pas menti ! Pendant quelques minutes, nous nous sommes retrouvés à la merci des flots. Ne nous restait qu’à demeurer calmes, à tenter de nous redresser… et à essayer d’apprécier le moment malgré tous ces clapotis et tourbillons.

Memphis nous attendait à l’étape suivante, une pause de deux jours qui était bienvenue, parfaite pour découvrir la ville, reposer nos muscles et soigner nos courbatures. Nous avons profité du chaleureux accueil de Dale Sanders ainsi que de l’hébergement de Tom Roehm, en plein centre-ville. Soulignons au passage que Dale Sanders est, à 82 ans, la personne la plus âgée à avoir descendu le Mississippi d’un bout à l’autre. Un homme phénoménal et énergique. À Memphis, nous avons même apposé nos signatures sur le Paddlers Wall of Fame, rien de moins !

En entreprenant le deuxième mois du voyage, nous avons dû puiser en nous l’endurance. La fatigue accumulée et la routine menaçaient notre motivation. Mon mantra : me dire encore et encore « Hey, Gaétan, tu es sur le Mississippi avec ton kayak. C’est la première et la dernière fois que tu passes ici ».

Les barges constituaient elles aussi une excellente façon de nous garder dans le moment présent, si on tient à la vie, s’entend ! Avec les grandes crues de l’hiver et du printemps, plusieurs bouées avaient été emportées. Régulièrement, avec ces barges qui se pointaient devant ou derrière nous, sans repères, nous devions deviner où se situait le chenal pour leur passage.

Pour les pilotes de ces barges, il est peu habituel de rencontrer des voyageurs comme nous, microscopiques sur cette masse liquide. En 2019, seulement une trentaine de braves ont descendu le Mississippi. D’ailleurs, sur toute la portion parcourue du Mississippi, nous n’avons croisé qu’un seul autre aventurier.

Le ravitaillement a constitué une source de préoccupation importante. Les épiceries ne se trouvent jamais à proximité du fleuve. Puis comment s’arrêter en laissant le kayak en sécurité ? C’est ici que les salvateurs River Angels du Mississippi, contactés via leur groupe Facebook Mississippi River Paddlers, entrent en jeu. Leur coup de main s’est avéré indispensable au bon déroulement de notre expédition. Le voyage aurait été difficilement réalisable sans leur contribution.

Après 51 jours d’aventure et 2300 km, nous avons finalement atteint La Nouvelle-Orléans. Aucune haie d’honneur ne nous attendait à notre arrivée, mais il y avait une foule de touristes en plein Quartier français pour nous voir galérer dans les roches, aucune zone de débarquement n’étant prévue pour les petites embarcations.

Voilà une sensation curieuse, d’ailleurs, de nous promener en ville le lendemain sans le kayak ni même devoir nous en préoccuper. Un vide. Sans doute un certain deuil de toute cette attention que nous recevions. Notre embarcation s’est révélée une carte de visite extraordinaire pour amorcer les conversations et susciter des encouragements. Dur retour à l’anonymat…

Je suis revenu de ce voyage en étant habité d’un sentiment d’apaisement intérieur, lequel s’est doucement estompé malheureusement. Mais ce qui demeure gravé à jamais, c’est ma reconnaissance envers toutes ces personnes qui nous ont accueillis ou aidés sans jamais rien demander. Nos voisins américains, dont on ne comprend pas toujours les choix politiques, m’ont donné toute une leçon de vie sur l’ouverture aux autres et l’hospitalité.

J’éprouve tellement de gratitude à leur égard, de même que pour Joseph Marc, puis Stefan, compagnons de ce voyage. Merci, Nancy, d’avoir eu confiance – chaque coup de pagaie me rapprochait de nos retrouvailles. Je me sens privilégié d’avoir concrétisé mon rêve. Vive le retour à la vie normale, où prendre une douche me paraît un luxe !

La routine

Nous nous levions à 5 h 45 et partions à 6 h 30, au soleil levant. Cela nous permettait de devancer un tant soit peu la chaleur et le vent. En moyenne, nous passions sept heures sur l’eau, parcourant de 60 à 75 km par jour.

Une cure minceur assurée!

Sur le Mississippi, j’y ai laissé une partie de moi-même, car j’ai perdu environ 9 kg durant ce périple, sans m’en rendre compte sur le coup. Les efforts quotidiens combinés à la canicule, laquelle a duré plus d’un mois, avec ses 33 à 37 °C, ont contribué à cet amaigrissement.