Pistes dans pinèdes recherchent randonneurs québécois
Sur la rive ontarienne du lac Témiscamingue se déploie le réseau de l’Ottawa Temiskaming Highland Trail, tenu à bout de bras par d’irréductibles amants de la nature. Ces sentiers peu fréquentés traversent de magnifiques pinèdes et multiplient les points de vue sur les immensités du Bouclier canadien et ses étendues lacustres. Goûtez à la randonnée à la mode ontarienne.
Murray Muir stationne sa camionnette le long du chemin Roosevelt, à 11 km de la Transcanadienne. Nous sommes près de Temagami, dans le district du Timiskaming (nord-est de l’Ontario), réputée pour ses innombrables lacs et ses forêts anciennes de pins rouges. À partir de la route, l’entrée du sentier est à peine visible, derrière une affiche de l’Ottawa Temiskaming Highland Trail (OTHT). Pas d’employé à chemise brune pour collecter des droits d’accès et vous suggérer un parcours. Sur les 12 km de notre randonnée, nous ne croiserons aucun autre randonneur, malgré une météo parfaite de juillet.
Nos guides pour la journée sont Vicky et Murray Muir, bénévoles de la première heure de Nastawgan Trails, ce groupe qui a mis sur pied les 141 km de l’OTHT. Avec une poignée d’autres randonneurs dévoués, ce couple dans la soixantaine réalise l’essentiel de l’entretien des sentiers. Chaque été, ils ajoutent quelques emplacements de camping et y assemblent des tables de pique-nique apportées en canot. Sans eux, ce réseau n’existerait pas.
Distanciation physique garantie !
L’OTHT est un réseau de sentiers qui se parcourt sur plusieurs jours en autonomie complète avec camping sous la tente ou par sections en excursion à la journée. Si vous avez le goût de vous délecter du chant des oiseaux, des rayons de soleil qui percent au travers d’arbres centenaires ou d’une baignade improvisée à partir d’un cap rocheux, c’est pour vous. Kilomètre après kilomètre, aucune activité humaine en vue.
Soyez prévenu : vous vous demanderez à plusieurs reprises si vous êtes perdu. Sur un rocher, la piste au sol disparaît. En sous-bois, le sentier n’est pas toujours visible sous les branchages, mais il est bien là. Les membres de Nastawgan Trails sont à leur affaire : à chaque randonnée, ils rafraîchissent ces traits de peinture bleue ou blanche qui servent de balises sur des troncs d’arbres.
L’accès est gratuit (un don à Nastawgan Trails est apprécié). Il faudra cependant se préparer. Pas besoin de GPS ni de boussole, car les cartes mises à notre disposition sur le site nastawgantrails.org sont suffisamment précises. On peut aussi se procurer le livre Discovering Wild Temiskaming et son supplément de 20 pages, qui contiennent des descriptions détaillées pour des sorties à la journée. Ne vous gênez pas pour passer un coup de fil à Vicky et Murray Muir. Hospitalité ontarienne oblige, ils se feront un plaisir de vous renseigner et même de vous conduire jusqu’à un point d’accès.
Sur les hautes terres de Temagami
Le bruit assourdissant de la scie à chaîne de Murray marque le début de notre randonnée. Nous sommes en plein été et la dernière corvée d’entretien date du printemps dernier. Plusieurs arbres sont tombés sur la piste. « C’est bruyant, ça pue et c’est dangereux », s’excuse-t-il au moment de crinquer sa petite machine. Mais pas question pour ce travailleur de laisser un arbre mort en travers du chemin.
Pour nous en mettre plein la vue, Vicky et Murray nous emmènent sur les boucles Rib Mountain Side Trails (carte 2 – Johnson Lake à Friday Lake). En 15 minutes, nous atteignons le lac Friday et son camping élémentaire : trois emplacements, une table de pique-nique et un rocher en guise de plage. Les latrines, c’est la forêt à proximité. Par la suite, le sentier grimpe. Nous atteignons une magnifique érablière à pleine maturité.
Avant de continuer, un bref retour en arrière s’impose, car ce sentier a une histoire singulière. En 1989, des manifestants s’enchaînent à des arbres près du village de Temagami, protestant contre les coupes amorcées dans des peuplements de pins centenaires. Les images circulent dans les médias, le gouvernement est dans l’embarras. La solution de Queen’s Park : la création du Temagami Land Use Plan, qui réserve une petite partie de la forêt à l’usage exclusif des randonneurs. C’est la naissance de l’OTHT.
Pendant dix ans, des bénévoles défricheront, à la sueur de leur front, les pistes de l’OTHT, qui forme un long parc linéaire à l’abri de l’exploitation forestière. Sur une bande de 30 m de chaque côté du sentier, aucune coupe n’est permise. Jamais le sentier n’est partagé avec des véhicules motorisés, assurant la quiétude des bourlingueurs dans les pinèdes.
L’ascension se poursuit en douceur. « Ici, la piste est telle que nous l’avons découverte : battue par un orignal. Ç’a été un cadeau pour nous ! » dit Vicky Muir. Nous atteignons des sommets rocheux parsemés de grands pins. Mousse et bleuets abondent au sol. Peu après, nous longeons une longue et profonde crevasse dans la roche du Bouclier canadien. C’est l’attrait le plus inusité de notre parcours. Je me promets de revenir un jour explorer le fond du précipice.
La pause du midi a lieu au milieu d’une talle de bleuets mûrs, avec vue sur le lac Cliff. Le tracé de l’OTHT emprunte les sommets plutôt que les vallées, explique Vicky Muir. Loin des cours d’eau, il y a plus de vent, moins de moustiques et le regard porte plus loin.
L’humus en guise d’épice naturelle
La marche se poursuit sur un long promontoire surplombant le lac Rib, avant de s’enfoncer à nouveau en forêt. Infatigable, Murray traîne sa scie à chaîne sans broncher. Ici et là, il nous montre quelques plantes comestibles : oseille des bois, thé des bois, thé du Labrador et quatre-temps.
Coup de cœur de la journée : le concombre sauvage (médéole de Virginie), que les anglophones appellent Indian cucumber-root. Les talles sont rares. On reconnaît la partie aérienne de la plante à ses deux étages de feuilles. Murray me montre comment cueillir la racine, en enfonçant les doigts dans l’épais humus du sous-bois.
« C’est vraiment délicieux », m’assure Murray, croquant la racine blanche à pleines dents. Je propose de retenir ma petite récolte pour la laver dans l’eau du lac au retour. « La terre aussi est savoureuse », répond-il pour remettre amicalement à sa place le citadin que je suis. La racine de la médéole a un goût doux qui rappelle celui de la coriandre. L’expérience gustative n’est nullement affectée par les particules d’humus restées accrochées…
Notre journée se conclut par une rafraîchissante baignade au lac Friday en compagnie d’un couple de huards.
Leçon de toponymie
Le mot Ottawa dans le nom du sentier ne fait pas référence à la capitale du pays, mais plutôt à la rivière des Outaouais, qui se nomme Ottawa River dans la langue de Doug Ford. L’OTHT débute à peu près là où la rivière s’élargit pour devenir le lac Témiscamingue, face à la municipalité québécoise de Ville-Marie. Il se termine sur la rive ontarienne en face du parc national d’Opémican du côté du Québec.
Repères
Comment s’y rendre
De Montréal (environ 700 km), on rejoint le Temiskaming ontarien plus rapidement par Ottawa et les routes 17, puis 11. Le trajet par l’Abitibi est plus long. Si on se trouve déjà dans le Témiscamingue québécois, il suffit de contourner le lac par Notre-Dame-du-Nord.
Service de navette
-Murray et Vicky Muir, 705-648-3310
-Northland Paradise Lodge, à Temagami,
northland-paradise.com
EN BREF
Un sentier de longue randonnée de 141 km qui parcourt le Temiskaming, le pendant ontarien du Témiscamingue québécois.
ATTRAIT MAJEUR
La grande nature sauvage du Bouclier canadien.
COUP DE CŒUR
La dégustation de concombre sauvage avec son humus !
Nastawgan Trails