Route de la Soie /// L’Ouzbékistan, entre plaines et cités mythiques

Je roule sur la plaine ouzbèke, parmi les champs de coton, entre Samarkand et Boukhara. Si la traversée du sud du Tadjikistan (voir "La route du Pamir") fait partie des itinéraires les plus élevés en altitude au monde, la route est maintenant plate comme la main. Cela tombe bien, puisque en plein milieu de l’été, la chaleur est devenue intense.

Les Ouzbèkes ne sont pas habitués à voir des cyclistes. Les voitures ralentissent souvent à ma hauteur et les passagers engagent la conversation. Ils paraissent encore plus surpris que je ne parle pas leur langue, ni même le russe, alors que chacun l’apprend encore à l’école.

Sur le bord de la route, tout le monde m’interpelle. Les enfants bien sûr, les vendeurs de melon, mais aussi les jeunes filles qui travaillent au champ, ou les hommes qui construisent une bâtisse quand je traverse un village. Et si j’ai l’impolitesse de me concentrer sur la chaussée et garder mes deux mains sur le guidon pour mieux négocier les trous dans l’asphalte (on se croirait presque au Québec), alors le sifflement ou les cris se font plus insistants, voire teintés de colère. L’accueil de l’étranger est une tradition ancestrale, et elle exige un minimum de réciprocité. Alors je me sens comme un vrai politicien en campagne, à constamment faire un signe de la main, un hochement de tête ou un sourire à toutes les personnes croisées en chemin.

Le sud de l’Ouzbékistan se traverse rapidement. Deux jours pour rejoindre Samarkand depuis la frontière tadjike, puis deux jours pour atteindre Boukhara, puis une demi journée pour atteindre la frontière turkmène. Je passe presque autant de jours dans les villes qu’à traverser les campagnes et à visiter les merveilles de Tamerlan qu’à rouler dans les plaines asséchées. C’est parfait car ici, les villes sont de véritables joyaux.

Explorer tranquillement ces cités centenaires est un grand plaisir. Samarkand d’abord. La ville la plus intimement liée à la Route de la Soie, dont la richesse a suivi le florissant commerce avec la Chine, l’Inde, la Sibérie et l’Occident. Samarkand, pillée par Gengis Khan comme tant d’autres cités de la région, puis qui renaît et devient la capitale de l’un des plus grands empires de l’histoire, sous Tamerlan que tout le monde nomme ici Timur. Les plus grandes mosquées d’Asie centrale, un foisonnement de médersas et de mausolées, des coupoles turquoise qui signalaient aux caravaniers qu’ils approchaient de LA cité, et un bazar animé et souriant qui invite à la flânerie.

Avec plus de 40 degrés, il n’y a pas beaucoup de touristes en été. Et il vaut mieux visiter tôt le matin. Alors dès 6 h, je fais le tour du Registan, la monumentale place centrale de la ville. Suivant les conseils du Lonely Planet, je demande au gardien de me laisser entrer avant l’ouverture officielle des portes à 9 h. Avec son cellulaire, il appelle son supérieur, qui négocie d’une voix endormie. Et pour quelques dollars nous avons le site en entier pour trois cyclistes, avec la belle lumière matinale. Je peux même monter en haut d’un minaret par un escalier qui n’a pas dû être rénové depuis Tamerlan.

Mais en fait, je préfère Boukhara. Plus intime, moins de céramique colorée reflétant la toute puissance du soleil (et du souverain de jadis); à la place, des briques de terre évoquant les déserts environnants. La chaleur est devenue carrément étouffante. En milieu de journée, avec l’impression de marcher au centre d’un gigantesque four, pas question pour moi d’aller me taper des visites. Une chance qu’à vélo, il y a un minimum de ventilation qui aide à supporter la chaleur. Alors j’attends le soir pour flâner, tout comme les Ouzbèkes qui se rassemblent autour du Lyab-i-Khaouz.

C’est l’une des dernières places anciennes de Boukhara à avoir gardé son agencement. Au centre, un grand bassin qui tempère un petit peu la chaleur pendant tout l’été. L’eau est un élément essentiel dans l’architecture musulmane. Descendants d’hommes du désert, les Ouzbèkes en ont toujours célébré l’importance et la nécessité. De part et d’autre du bassin, une mosquée et une médersa. Et quelques mûriers plantés eux aussi au XVe siècle, qui continuent de dispenser leur ombre protectrice aux passants accablés de chaleur.

Le soir, les gens sortent et la place s’anime. À plus de 35 degrés, je ne trouve pas qu’on puisse parler de fraîcheur, même relative. Mais le soleil brutal n’est plus là et tout le monde en profite. Demain, nous repartons et il me reste à franchir le désert du Karakom, au Turkménistan. Une autre frontière déjà; les pays défilent…