Ski de fond… de réservoir
Chaque printemps, le réservoir Baskatong – une mer intérieure des Hautes-Laurentides – est vidé de ses eaux et se transforme en immense terrain de jeu éphémère pour fondeurs. Notre collaborateur s’y est rendu, et il a hautement apprécié. Même s’il y a touché le fond.
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Le 1er avril 2013, je reçois un appel de Pierre. «Ça y est, c’est le temps ou jamais, amène-toi!» Sans aucune autre forme de procès, j’agrippe mon équipement de ski de fond et prends la route, direction le réservoir Baskatong.
Alors que je file sur la route 117, je ne peux m’empêcher de penser quel jour nous sommes. Et si c’était un poisson d’avril? Il faut préciser que les petites bêtes à nageoires abondent dans ce réservoir, où on trouve notamment du brochet, du doré, de l’esturgeon et de la ouananiche. Un cours d’eau fertile pour le canular d’avril.
Lors d’une virée à vélo dans les Hautes-Laurentides, en septembre
dernier, Pierre m’avait fait part du trip qu’il se tapait annuellement en skis de fond (skate), tout au fond du réservoir, alors que ce dernier est littéralement vidé en prévision de la crue printanière.
Pour la petite histoire, le réservoir Baskatong est né dans les années 1920. Au départ, il n’y avait ici qu’un hameau, une rivière et un plan d’eau de petite dimension, le lac Baskatong. Le réservoir a été créé en 1927 avec la construction du barrage Mercier, qui a inondé le territoire sur une superficie de 329 km2, formant une véritable mer intérieure. Aujourd’hui, sa profondeur atteint les 96 m et ne compte pas moins de 2800 km de berges.
J’arrive donc sur les lieux en fin de journée, juste à temps pour admirer cette gigantesque étendue d’eau gelée avant la noirceur. La nuit venue, je dors d’un sommeil fort perturbé, agité par un cauchemar récurrent dans lequel je skie paisiblement quand, tout à coup, je suis emporté par les flots.
À mon réveil, le mercure affiche -15 ˚C, avec des vents de plus de
60 km/h. Je vous fais grâce du refroidissement éolien. Avant de partir, Pierre résume l’état des lieux: «Ce ne sont pas les conditions idéales, j’ai plutôt l’habitude de skier à une température au-dessus du point de congélation, dit-il. De plus, cette nuit, il a neigé et les grands vents ont balayé cette petite bordée, laissant la banquise intacte sur une grande superficie tout en formant des lames, par endroits.»
Bref, nous voici sur la banquise, au fond du réservoir, après y avoir accédé facilement grâce à une douce pente, comme si nous visitions un cratère. Pierre voit que j’observe, effaré, une rivière qui coule, alors que je suis encore hanté par mon cauchemar. Il tente de me rassurer:
«Ne t’inquiète pas, le réservoir est vide! Et la banquise s’est déposée directement au fond…
– Ah oui, et c’est quoi cette rivière qui coule, juste ici?
– C’est la rivière d’origine, c’est normal qu’elle s’y trouve… Je te le répète: on est au fond du réservoir; la rivière, on n’a qu’à l’éviter.»
Nous nous mettons donc en route, et le charme opère dès les premières poussées, dans ce décor lunaire qui s’étend à perte de vue. La glisse est bonne et un grand sentiment de liberté s’empare de moi. Habitué à suivre un sentier préalablement tracé et à progresser en file indienne, je réalise que skier ici est une tout autre expérience. On a le loisir de choisir sa trajectoire – en évitant toutefois la rivière – et de skier côte à côte sans rencontrer personne. Enfin presque.
«Qui c’est, cette silhouette, là-bas au loin?
– C’est Marcel, il vient à notre rencontre.»
Marcel est aussi un riverain, il s’adonne au pas de patin avec le même plaisir que Pierre. Il se joint à nous, et nous poursuivons notre équipée.
Nous skions ainsi pendant deux bonnes heures. Les yeux écarquillés, je ne me lasse pas de la beauté des lieux. La banquise, lorsqu’elle a atteint le fond, s’est fracturée à quelques endroits. Ces immenses pièces de glace se chevauchent, donnant du relief à un environnement plutôt plat. Mais ce n’est pas tout: dans les années 1920, juste avant que le territoire soit inondé, on a procédé à la coupe de plusieurs arbres. Les souches, laissées sur place, forment ici et là de petites saillies.
Quant au village de Baskatong, qui a été démantelé avant que son site soit noyé sous l’eau, on raconte que les restes des poteaux des anciennes clôtures y refont parfois surface, plus tard au printemps. À la pointe à David, une presqu’île qui s’avance devant l’emplacement du village, il paraît même qu’on peut voir les piliers d’un ancien pont, quand le niveau de l’eau est à son plus bas.
Pour l’heure, me voici de retour à la voiture, et tandis que j’y range mes skis, je fais part à Pierre de mon désir de revenir l’an prochain, tant l’aventure m’a plu. Transi, il me répond: «Pas de trouble. Et je tâcherai de choisir une journée ensoleillée et moins froide…» •
Repères
Pour accéder au réservoir, on peut notamment passer par Le Village Windigo, à Ferme-Neuve, où on loue des condos et des chalets très bien équipés, directement sur les berges. L’endroit est idéal pour du ski in, ski out, mais aussi pour déguster une cuisine régionale savoureuse, dans une fort belle maison en bois rond. La bavette de biche et la caille farcie au foie gras, entre autres, sont succulentes.
819 587-3000, 1 866 946-3446 ou lewindigo.com