Ski et chaleur humaine

La grande Traversée de la Gaspésie en skis de fond, c’est pas juste en prendre plein la gueule côté paysages. C’est un direct au cœur reçu des Gaspésiens, qui ont le sens de l’accueil inscrit dans leur code génétique.                                                          

Sous la lueur des réverbères du stationnement du Gîte du Mont-Albert, des flocons dansent dans la nuit des Chic-Chocs au rythme de tam-tam ensorcelants. Descendant de nos autocars après une longue journée de route, nous progressons vers la source de cet appel tribal: une bande d’allumés à l’enthousiasme contagieux frétillent et scandent des mantras euphoriques autour d’un feu de joie. Nous sommes devant les démiurges et prêtresses de la légendaire Traversée de la Gaspésie, alias la TDLG! Ce sont les Claudine Roy, Thierry Pétry, Isabel Richer, Sophie Faucher et Julie Payette, des Gaspésiens de souche ou d’adoption, qui turlutent leur joie de vivre et leur passion pour ce coin de paradis.

Devant plus de 200 disciples, fidèles et novices, ces radieux «crinqués» donnent le coup d’envoi de ce délire collectif d’une semaine qui déferle chaque année sur la péninsule gaspésienne. Avec sa kyrielle de distingués invités, de réputés animateurs, d’artistes, de musiciens, de journalistes, de comédiens, de conteurs et de conférenciers qui se joignent à la caravane et participent à la fête, la TDLG est un festival nordique unique, c’est le Lollapalooza du ski de fond au Québec! Et bien plus encore…

Du ski et encore du ski!
Certes, la qualité et la diversité des paysages de la Gaspésie contribuent à la renommée de la TDLG: magnifiques Chic-Chocs et autres chaînons formant l’extrémité septentrionale des Appalaches, sommets dénudés, escarpements vertigineux et vallées capitonnées, littoral dentelé de caps, promontoires ébouriffés de congères et anses gelées, banquise lumineuse qui joue les mirages au-dessus des flots turquoise. Cette abondance d’itinéraires possibles et la richesse de ces parcours skiables permettent aux organisateurs de varier le «menu» sans cesser de nous épater d’une année à l’autre. Quoiqu’on semble avoir adopté les Chic-Chocs comme point de départ et la ville de Gaspé comme fil d’arrivée, on peut s’attendre à une traversée qui passe soit par l’intérieur de la péninsule, la côte du golfe du Saint-Laurent ou celle de la baie des Chaleurs… ou encore, un heureux mélange de tout ça.

Durant cette intense semaine de vacances hivernales tout inclus version plus grande que nature, on se tape six journées de ski variant de 35 à 50 km. Nos hôtes proposent également des parcours plus modestes amputés de la moitié, voire des trois quarts de la distance initiale. Mais gare aux fameux «kilomètres gaspésiens», unités de mesure élastiques que la dynamique Claudine Roy, cofondatrice de la TDLG avec l’aventurier Thierry Pétry, et Julie Payette, notre astronaute bien-aimée, s’amusent à nous disséquer dès le cocktail de bienvenue! Qu’importe, puisque tous les circuits sont balisés et patrouillés par des «fermeurs» en skis, qui se régalent avec nous sur les sentiers, et par de sympathiques motoneigistes en quête de compagnie. Sans oublier les points de ravitaillement, où on peut faire le plein en eau, Gatorade, bouillon de poulet, fruits secs et noix, qui ponctuent les parcours à intervalles réguliers. En plus du sac à lunch bien garni qu’on nous remet tous les matins, c’est tout ce qu’il faut pour se redonner de l’énergie en route et se remonter le «Canayen»… euh… le Gaspésien!

Grâce à des partenariats forgés avec des propriétaires et gestionnaires locaux, la TDLG sert des itinéraires exclusifs et conçus sur mesure pour subjuguer le skieur. C’est ainsi que Thierry Pétry, grand habitué d’équipées tous azimuts et ineffable pince-sans-rire, a manigancé avec les autorités du parc national de la Gaspésie pour obtenir les clés du sommet du mont Albert . À n’en pas douter, cet aller-retour est tout un exploit en skis de fond! Et le spectacle de cette étrange colonie de pingouins multicolores et mésadaptés que nous avons offert aux caribous des alpages de givre, multipliant les culbutes, pirouet­tes et chutes dans l’arène de la Grande Cuve, était moins gracieux que… divertissant! Similaire exploit sportif inusité et spectacle insolite au sommet du mont Béchervaise, cette fois, station de ski alpin à l’orée de Gaspé, où nous avons dû effectuer un slalom géant en chasse-neige sur une piste damée sur fond dur! À l’arrivée au chalet de la base, les cuisses fumaient, les canapés aux poissons fumés fusaient et la bière coulait… c’est qu’on s’amuse aussi à la TDLG!


La caravane roule au quart de tour
La TDLG, avec ses 200 skieurs, 70 bénévoles, 20 journalistes, dizaines d’autres invités, membres de l’organisation, «Clô» (Claudine Roy) pis Tipet (Thierry Pétry), c’est aussi et surtout un trip collectif, une caravane! Ça se sent dès le départ de Montréal et de Québec, points de ralliement pour les participants, que nous sommes dans le même bateau, pour ne pas dire la même galère. Les autocars de la firme Orléans, fière commanditaire de l’événement, nous suivront tout au long de la traversée, nous cueillant à la sortie des sentiers pour nous conduire au village hôte, puis nous emmener au sentier de départ le lendemain, et ainsi de suite jusqu’au terme de l’aventure. Ces bus s’apparentent alors à des oasis de confort, et leurs chauffeurs à des compagnons de route et partisans enthousiastes.

Les défis d’ordre logistique sont de taille, mais la machine TDLG est bien huilée. Née en 2003 du désir de faire découvrir la Gaspésie en hiver d’une manière sensorielle, physique et responsable, d’abord comme étape extraordinaire de la Traversée des Laurentides (TDL) – cette classique annuelle de ski de fond hors-piste inaugurée en 1976 –, la TDLG s’est dotée il y a quelques an­nées d’une coordonnatrice des plus dévouées. Entourée d’une légion de contractuels qui lui prêtent main-forte durant l’événement, Hélène Francoeur mène la barque et prend place avec Claudine Roy et Thierry Pétry dans la timonerie de la galère TDLG.

En 2011, dans le cadre de cette neuvième traversée, la jeune femme et son équipe, secondées par de nombreux bénévoles locaux, ont accompli le tour de force de cantonner la ca­ra­vane pendant deux nuitées d’affilée dans le village de Petite-Vallée, bien connu pour son Festival en chanson. Imaginez, débarquer avec plus de 250 personnes dans un village qui compte moins de 200 ha­bitants l’hiver : la moitié de la communauté s’est retrouvée à héberger des skieurs et autres membres de l’organisation! Cette immersion gaspésienne a été la meilleure façon de s’initier à la culture de la région. Et puis, il fallait mettre sur pied un système de navettes pour cueillir et reconduire tout ce beau monde qui avait rendez-vous matin et soir à la Vieille Forge, nos quartiers généraux et théâtre du festival-phare… ce qu’on a accompli avec brio! Ce séjour est de­meuré pour la grande majorité des participants – l’auteur de ces lignes inclus – un des moments forts d’une semaine vécue à fleur de peau.

Les Gaspésiens : la clé du succès
Je n’oublierai jamais l’accueil que mes quatre frangines de sentier et moi avons reçu chez nos hôtes de Petite-Vallée, Myriam et Harry. Avec une chaleur désarmante, ils nous ont installés dans leur demeure en bord de mer, les filles au sous-sol et moi dans la chambre de leurs petits-enfants avec Ernest, Cookie Monster et toute la bande de Sesame Street, comme si nous étions des membres de la famille… Dès notre arrivée, alors que les skieuses se préparent pour la soirée et que je fais plus ample connaissance avec Myriam en partageant l’apéro, Harry arrive, tout en sueur, revenant d’une journée éreintante à patauger en motoneige dans plus d’un mètre de poudre fraîche (on avait reçu 70 cm dans les 36 der­nières heures!). Harry et son partenaire se sont même enlisés à plusieurs reprises, au point d’en sortir exténués. Tout ça pour nous préparer le parcours du lendemain, celui que les participants de la 9e édition ont encore sur les lèvres : le passage de La Craque jusqu’au lac du Clin… une cinquantaine de kilomètres de grosses misères, merveilles hivernales et grand bonheur! «Tu veux une autre bière, l’journaliste? Tiens! Tu vas en avoir besoin pour demain, parce que tu vas capoter! Maudit que c’est beau… mais c’est loin! Mais dépêche-toi, on va être en retard pour le souper!» me prescrit en rigolant, comme un vieil ami, mon hôte Harry.

Parlant de bouffe… qu’est-ce qu’on s’est régalé à la dernière TDLG! Parcourir plus de 200 km en skis de fond, ici, ça creuse l’appétit; et déguster 25 produits du terroir gaspésien que mettaient en vedette les sept soupers compris dans notre forfait, c’est goûter le pays pour vrai! Le déjeuner offert avant la dernière randonnée de la traversée, au Centre culturel Le Griffon, à L’Anse-au-Griffon, formidable projet communautaire qui remet en valeur une ancienne usine de transformation du poisson, ne faisait pas exception: une assiette garnie de salade aux crevettes et aux pétoncles frais, servie sur bagel tartiné de fromage à la crème. Avec le café impeccable et toute cette lumière océanique qui emplissait le bâtiment à la charpente vivante, c’était nous nourrir le corps et l’esprit pour mieux nous propulser jusqu’aux falaises de Forillon et la baie de Gaspé, étape ultime de la traversée.

Au quai de Grande-Grave, avant de franchir la baie et de compléter notre périple, Claudine nous propose de prendre le temps de nous re­cueil­lir, de réfléchir sur l’aventure que nous venons de vivre ensemble depuis le cœur des Chic-Chocs jusqu’ici. Pour nous aider et nous inspirer peut-être, l’évêque du diocèse de Gaspé nous rend visite et prononce un éloquent éloge à la vie auquel nous trinquons tous… un dé à coudre en plastique rempli de vin blanc à la main! Cul sec, une bouchée de capelan séché, puis nous chaussons nos skis une dernière fois. Sur la surface gelée de la baie, juste avant l’arrivée triomphale en ville où des centaines de personnes se sont rassemblées pour nous acclamer, nous sourions au souvenir de toutes les scènes vécues ces derniers jours. En skiant, nous turlutons bien haut notre joie et privilège de vivre. Dans la baie de Gaspé cet après-midi de février, nous flottons… de bonheur! •

REPÈRES
L’année 2012 a marqué la 10e édition de la TDLG, qui a eu lieu du 18 au 25 février sur le thème «10 ans de pur plaisir!» Classiques, coups de cœur et nouveautés étaient au menu de cette édition toute spéciale.

En 2013, la TDLG se déroulera du 16 au 22 février. L’arrivée à Gaspé coïncidera avec l’inauguration de L’Éveil collectif, oeuvre en forme d’arche du sculpteur Armand Vaillancourt. Parmi les invités de marque figurent cette année Isabel Richer et Julie Payette.

Renseignements sur le parcours, les conférences au programme, les différentes formules d’hébergement (occupation simple, double, quadruple ou dortoir) et les tarifs correspondants en cliquant ici.