Présenté par Tourisme Gaspésie
Destinations

Aventures automnales

Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.

À la découverte d’un fleuron

  • Crédit Simon Diotte

Dans l’arrière-pays de Charlevoix, sur le rebord du cratère météoritique, loin des foules et des zones de villégiature, court un sentier presque mythique, la Traversée de Charlevoix. Long de 105 km, son raid de sept jours représente un défi aussi physique que psychologique. Surtout en famille. Récit d’une aventure mémorable en août, commentaires de mon adolescente rebelle inclus.

Jour 1 : de la route 381 à L’Écureuil

Distance : 4,2 km

Dénivelé : +41 m, –53 m

Je le savais. Le véritable défi d’un tel voyage, c’est l’organisation. Comme nous avons choisi l’option – de luxe ! – de faire transporter nos bagages, nous devons départager la nourriture dans les boîtes et glacières de façon qu’elle arrive à bon port au moment voulu. La bouffe devra nourrir tous les participants, soit mes deux frères, mon neveu de 11 ans, l’amie Isabelle, ainsi que ma douce et mes deux filles, Romane, 12 ans, et Marion, 10 ans. Sans oublier la chienne Éva, un labrador. De ce nombre, seulement ma famille nucléaire accomplira la traversée au complet ; nos complices nous quitteront à mi-parcours.

Gérer nos victuailles a exigé deux heures au chef-lieu de la Traversée de Charlevoix (TDC). Peut-être que finalement, la formule en autonomie – la plus populaire chez les randonneurs – est plus facile : pas de tataouinage. Le revers de la médaille : tous les bagages, incluant sept jours de boustifaille, seraient sur les épaules.

Vers 15 h, notre bataillon se met en branle. Mes filles sont un peu anxieuses (« On n’était pas anxieuses, on se préparait à vivre l’enfer ! » explique Romane) quoiqu’elles ne le laissent pas trop paraître. Sept jours dans le bois nous attendent, avec hébergement de chalet en chalet. Sur le plan de la charge physique, elles ne craignent rien ; l’inquiétude provient de l’absence de wifi pendant une semaine. Tomberont-elles en manque dès le deuxième jour ?

La randonnée débute par un sentier d’approche de 4 km sur un chemin de gravelle. Le premier chalet, L’Écureuil, se trouve à quelques pas du lac à l’Écluse, où nous faisons trempette. Nos yeux ne se lassent pas de ce cadre spectaculaire révélant le pic de l’Aigle en arrière-fond. La déconnexion s’amorce.

Jour 2 : de L’Écureuil à La Marmotte

Distance : 14,4 km

Dénivelé : >390 m, –784 m

Après une nuit orageuse, le soleil brille de tous ses feux en cette deuxième journée. Sur papier, ça s’annonce une étape pépère. Nous passerons de la ceinture du cratère météorique jusqu’à son rebord – une descente continue interrompue par quelques remontées.

Nous partons à 9 h. La chienne Éva marque la cadence. Les enfants la serrent de près. Les adultes traînent derrière, heureux que la marmaille ne leur colle pas aux fesses. Éva fait une excellente gardienne, et ses gages se limitent à quelques croquettes. La rivière du Gouffre, que nous suivons, déborde ; ses cascades constituent la trame sonore de notre pérégrination. De façon périodique, nous prenons une pause pédicure dans les ruisseaux sauvages.

La piste dégringole en altitude. J’imagine à quel point les skieurs s’en donnent à cœur joie en hiver. Tout se passe bien jusqu’à ce qu’un de mes frères ressente une douleur à la jambe. Je ne savais pas encore, à ce moment-là, qu’une bonne portion des randonneurs s’enfarge dans le jour 2. Les articulations mal entraînées souffrent le calvaire dans la descente de 700 m de dénivelé, surtout avec le poids d’un lourd sac sur le dos.

« Certaines semaines, presque un tiers de randonneurs abandonnent après cette étape charnière. C’est là qu’on voit ceux qui ont pris la randonnée à la légère », constate Justin Verville Alarie, directeur général de Sentiers Québec-Charlevoix, organisme gestionnaire de la TDC. Mon frère ne s’en remettra pas complètement au cours du voyage. Aux troisième et quatrième jours, il progressera tranquillement dans le sentier, supporté par ses bâtons.

Après avoir contemplé les flancs du mont des Morios, nous arrivons à 16 h au chalet La Marmotte, à un jet de pierre du lac Boudreault. Sans perdre une seconde, nous nous jetons à l’eau puis trempons nos orteils dans l’onde. Soudain, les femmes se mettent à hurler : le lac regorge de sangsues qui apprécient les pieds féminins. Sauve qui peut ! Nous battons en retraite vers la décharge du lac Boudreault, en contrebas de notre tanière, un spa nature sans sangsue. Les rayons du soleil se faufilent entre les branches et nous réchauffent. Que demander de plus, alors que nous attendent un spaghetti et une soirée de perséides ?

Jour 3 : de La Marmotte à La Chouette

Distance : 17,8 km (comprenant le mont La Noyée)

Dénivelé : +844 m, –635 m

Comme nous le noterons tout au long du raid, la TDC ne se distingue pas par ses panoramas remarquables. Puisqu’il s’agit à l’origine d’une piste de ski, le sentier circule essentiellement en forêt, s’enfonçant dans le creux des vallées plutôt que sillonnant les crêtes de montagne.

Pour les randonneurs, c’est un irritant. Justin Verville Alarie en est conscient. « Des subventions nous ont permis en 2020 de réaliser d’importants travaux d’entretien sur l’entièreté de la piste. Suivra, à moyen terme – si nous obtenons le financement –, le déplacement de quelques segments du sentier d’été afin d’aller chercher le maximum de points de vue », annonce-t-il.

Cela ne veut pas dire que le sentier n’en vaut pas la peine. C’est dans la durée et dans l’immersion en nature que l’aventure prend tout son sens. N’empêche, des points de vue, il en existe un peu partout : ruisseaux, rivières, montagnes à l’horizon. Ce qui est notamment le cas sur le sentier de La Noyée, une boucle de près de 10 km qui se greffe à la TDC. De là-haut, nous avons dominé Charlevoix dans sa totalité, le fleuve continûment dans notre champ de vision.

Nous parvenons à 16 h 40 au chalet La Chouette, dont la véranda fait face à un étang peu profond et peu propice à la baignade de même qu’à une montagne. Un cadre vraiment… chouette ! Au pied du balcon, une bleuetière regorgeant de gros fruits satisfait notre goût d’aliments frais.

Jour 4 : de La Chouette au Geai bleu

Distance : 19,6 km

Dénivelé : +587 m, –948 m

Les touristes de la demi-traversée, incluant la chienne Éva, nous quittent. Ne restent que la tribu Diotte-Cloutier et Isabelle, qui nous accompagnera jusque dans les Hautes-Gorges. Nous savons que ce ne sera pas facile, car les premiers kilomètres n’ont pas été entretenus depuis des lustres (ce qui a été fait depuis).

Le tracé nous fait passer du bassin versant de la rivière du Gouffre à celui de la rivière Malbaie. Vers midi, nous parvenons à un chemin. Suivront 5 km de caillasse. Nous rattraperons le retard pris en matinée, néanmoins je devine que la gestion de temps ne sera pas aisée. Nous pénétrons à 13 h dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie.

Une fois sur le pont des Érables, dans la superbe vallée glaciaire de la rivière Malbaie, la fatigue se ressent. Il est déjà 14 h 30 et il reste encore 6 km à faire. Ma fille de 12 ans, Romane, manque de gaz. À chaque pause se déclenche une crise de larmes. « Je ne pleurais pas juste parce que j’étais fatiguée, mais parce que je pensais aussi à des affaires tristes », dira-t-elle après coup. Je me suis senti, l’espace d’un très bref instant, comme un père cruel. « J’espère que oui », soulignera Romane. Heureusement, cette dernière partie de la journée ne présentera aucune difficulté.

Sur un cap rocheux, notre abri pour la nuit surplombe la rivière Malbaie, qui fait à cet endroit un méandre à l’équerre. Une pente à pic nous mène à l’eau fraîche. Un vrai p’tit coin de paradis. La bonne humeur revient au galop.

Jour 5 : du Geai bleu au Coyote

Distance : 15,7 km

Dénivelé : +626 m, –259 m

Dieu merci, cette journée sera courte, selon les standards de la Traversée : seulement 15,7km. Si nous avions un autre 20 km au programme, j’aurais redouté une rébellion de l’ado. « Mes lectures préférées sont justement des histoires de gens qui se révoltent contre un État totalitaire », réplique Romane. Je l’ai échappé belle !

Ma douce moitié et Romane sont raquées de la veille. Marion, 10 ans, est toujours hop la vie (c’est la plus solide du groupe), et pour ma part, je suis impatient de reprendre la marche. C’est la preuve que la Traversée s’empare de mon esprit, ensorcelle mon corps. La connexion avec les montagnes dépasse les cinq barres sur mon réseau cérébral.

La carte du parc ne me laissait rien espérer de cette étape. Elle indiquait un seul point de vue. Surprise : ce fut la plus belle journée du périple. Ça commence par un tronçon longeant la rivière Malbaie, qui à ce niveau s’écoule à un rythme endiablé, l’écume frangeant les flots. Puis nous suivrons sur 8 km un ruisseau chantant composant un fabuleux décor. Les petits fruits sauvages comblent nos papilles. Dommage que nous soyons nuls en champignons, car le sentier en abritait des géants, dont une surabondance de champignons homards qui auraient bonifié nos repas si nous avions su comment les cuisiner.

Nous arrivons à 16 h 45, surpris que ce 16 km nous ait pris autant de temps. Unique conclusion possible : nous nous sommes empêtrés dans le décor. Légère déception : le chalet du Coyote ne possède pas le charme des précédents. Il se situe platement en forêt, sans proximité d’un lac. Bref, tout un contraste avec les merveilleux panoramas de La Chouette et du Geai bleu. Nous compensons cette déception en nous lançant dans un marathon de lecture. « À quatre sur un canapé deux places ! » ajoute Romane. Ah, le bonheur en famille !

Jour 6 : du Coyote à L’Épervier

Distance : 19,7 km

Dénivelé : +626 m, –259 m

Nous appréhendons ces 20 km. Par chance, cette étape n’entre pas dans la catégorie difficile. Son défaut : sa monotonie. Forêt, forêt, forêt. Nous ne verrons pas un lac, à mon souvenir, et mon appareil photo aura pris congé. C’est la journée « introspection ». Tout au long de la randonnée, les filles pensent à ce qu’elles manquent : les restaurants, le sofa douillet, etc. Moi, je songe plutôt à ce qui ne me manque pas : les messages textes toutes les deux minutes, les courriels professionnels, les comptes à payer, etc. Une semaine sans stress, sans rien à penser que marcher.

Pour notre ultime nuitée, nous profitons du chalet L’Épervier et de sa rivière à l’eau glaciale. Tant que l’obscurité nous environnera, un pic-bois picossera le revêtement extérieur du bâtiment, ce qui résonnera dans la cabane. Pas de doute, voilà le piciforme de la chanson de Beau Dommage. Manifestement, ce satané volatile nous envoie un message.

Jour 7 : de L’Épervier à la douche

Distance : 10,3 km

Dénivelé : +296 m, –355 m

La dernière randonnée prend la forme d’un 10 km sans rien de notable. Si ce n’était que nous effectuons la TDC, ce n’est pas une étape où nous irions marcher. Par contre, les skieurs l’apprécient, dit Justin Verville Alarie. C’est compréhensible : la topographie est parfaite pour le ski vu la série de courtes descentes.

Nous apercevons la voiture, qui a été déplacée à Mont-Grand-Fonds par le personnel de la TDC, et cela marque l’aboutissement de notre périple. Je suis triste de franchir le fil d’arrivée, mais toute bonne chose a une fin… et ce n’est qu’un « au revoir ». Ah oui : quand même, un repas au restaurant et un vrai lit ne seront pas de refus.

Des projets dans les cartons

La Traversée de Charlevoix tâche de diversifier son offre en raison de l’augmentation de la demande. Le directeur général de l’organisme que la gère, Justin Verville Alarie, rêve de plateformes de camping afin de pouvoir proposer une alternative à l’hébergement en chalet. « Le camping permettrait aux randonneurs d’y aller à leur propre rythme, en sautant des étapes par exemple », estime Justin Verville Alarie.

 

BILAN DES CLOUTIER-DIOTTE

Marion, 10 ans

J’aimerais repartir en longue randonnée, mais accompagnée par un chien. Compris, p’pa ?

Romane, 12 ans

C’était correct. Ça aurait pu être pire ! (Un commentaire passablement positif pour une ado !)

Irène, 47 ans

Un défi physique et psychologique. À refaire un jour.

Simon (auteur), 44 ans

La plus belle aventure familiale qu’on puisse vivre.

EN BREF

Un raid de 105 km dans l’arrière-pays charlevoisien.

ATTRAIT MAJEUR

Un parcours de longue randonnée avec nuitées en chalets et service de transport de bagages.

COUP DE CŒUR

Pas d’internet pendant une semaine !

traverseedecharlevoix.qc.ca