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Dans les méandres de club de canot-camping Les Portageurs
Plus vieux et plus important club du genre au Québec, le club de canot-camping et d’eaux vives Les Portageurs entame sa 57e saison cet été avec une passion toujours aussi contagieuse pour le canotage. Plongée dans les méandres de ce vénérable club qui n’a pas pris une ride.
Juin 2017. Nous sommes 71 nouveaux adhérents du club. Une année record. Probablement parce que le quinquagénaire club a décidé d’investir Facebook afin de se faire connaître et de recruter. « Le 150e anniversaire du Canada, pays construit par le canot, suscite également un engouement renouvelé pour ce mode de transport ancestral », avance André Francoeur, le président du club. Et peut-être les clichés de Justin Trudeau sur l’eau, vêtu de la fameuse veste à franges de son père, y ont-ils pareillement contribué ?
Toutefois, on ne devient pas Portageur en un seul clic sur Facebook. Chacun des aspirants membres doit suivre dans Lanaudière un stage d’initiation de deux jours comprenant une journée de formation en lac et une autre dans les remous de la rivière L’Assomption. C’est là que nous verrons si nous avons l’étoffe des vrais Portageurs !
« Le stage assure non seulement que tous les nouveaux possèdent les connaissances de base pour s’aventurer en rivière, mais il les familiarise aussi avec les us et coutumes du club », explique David Lavoie, 35 ans, notre formateur du week-end. Car les sorties des Portageurs ne sont pas organisées par des guides professionnels, comme le ferait un pourvoyeur d’aventure, mais par les membres eux-mêmes, les chefs de sortie, qui invitent d’autres membres à les suivre dans leurs pérégrinations sur les flots.
« En partant en groupe, nous profitons de l’encadrement de gens d’expérience. C’est beaucoup plus sécuritaire et ça simplifie de beaucoup la logistique », explique André Francoeur, Portageur depuis 2003, quand son ancienne gang a délaissé le canotage pour d’autres activités en famille. « Ma femme et moi, nous voulions rencontrer des gens qui partageaient la même passion. C’est ce que nous avons trouvé ici », se souvient ce canoteur de 51 ans.
C’est justement pourquoi nous aspirons à devenir Portageurs. Ma douce moitié et moi avons déjà fait de la descente de rivière, mais sans panache et en improvisant les techniques. Résultat : nous avons déplacé les roches dans les rapides plutôt que les esquiver ! Notre but est maintenant d’apprendre les manœuvres en côtoyant des sommités de l’aviron. De quitter le statut d’amateurs et de devenir de dignes successeurs de Louis Jolliet ! « Nous sommes toujours prêts à prodiguer des conseils aux gens qui cherchent à s’améliorer », affirme Daniel Saint-Pierre, 55 ans, membre hyperactif depuis 1996.
Au menu de notre stage d’accueil : les nœuds, le coup en J, l’écart, l’appel en décroché, le coup en godille, l’appui et le crochet. Ces deux dernières techniques nous éviteront une trempette en eau froide le lendemain lors de notre classe en rivière, alors que l’eau submergeait rapidement notre canot. « Vous avez gardé votre calme », nous félicitera David Lavoie, fier de ses élèves. De quoi bâtir notre confiance. Après ce week-end formateur, de l’eau avait coulé sous les ponts, et notre bagage de connaissances s’était enrichi. J’étais déjà gonflé à bloc en vue d’une prochaine aventure.
L’apprentissage du canotage, remarquent les vieux de la vieille, se fait aujourd’hui à la vitesse supérieure, gracieuseté des canots fabriqués en Royalex et en T-Formex, matériaux qui encaissent les coups sans broncher. « Leur résistance pardonne les erreurs de débutant, ce qui permet la prise de risques et l’accélération de la maîtrise des techniques », explique Nicole Lachaine, 60 ans, infirmière-enseignante à la retraite, membre depuis l’an 2000.
Les embarcations sont également plus manœuvrables. « On voit désormais des canoteurs intermédiaires dévaler des R3 – sections contenant de hautes vagues irrégulières, des trous et des rouleaux – alors que par le passé, ces rapides étaient l’apanage des experts », constate Daniel Saint-Pierre. Les mœurs du club n’obligent cependant personne à se jeter dans les passages impétueux. « Quand vient le temps de franchir un obstacle, vous avez le choix de portager ou de confier votre embarcation à un expert », indique Nicole Lachaine. Bref, chacun y va à son rythme.
DE GRANOS À FOODIES
Les mœurs et les coutumes évoluent, même dans un club si vénérable. Dans les années 1960 et 1970, les Portageurs à la barbe broussailleuse partaient en expédition à la dure pendant des semaines, se levant à l’aube puis avalant chaque jour le plus de kilomètres possible. Leur menu : du gruau, des noix et des mouches noires.
Aujourd’hui, pas question de souffrir en canot. Les Portageurs ne passent plus leur temps éternellement sur l’onde, et côté nourriture, c’est du trois étoiles Michelin (ou presque). « Nous avons la réputation d’être un club très gourmet. Nous mangeons mieux dans le bois qu’à la maison ! » affirme André Francoeur. Preuve de ce fétichisme de la nourriture : le club organise annuellement une sortie gastronomique où la bonne bouffe prévaut sur la conquête de rivières. C’est la sortie la plus courue de l’année.
Autre tendance : les familles sont plus présentes que jamais. Daniel Saint-Pierre a toujours portagé ses enfants, aujourd’hui adultes, dans les activités du club. « Je crois que j’ai ouvert la porte », note cet ébéniste. André Francoeur, son bon ami, a suivi, lui aussi avec ses deux enfants, maintenant âgés de 13 et 9 ans, désormais d’intrépides canoteurs. « Ma femme a souvent allaité dans le canot », se rappelle-t-il. Dans un grand nombre de sorties, un pictogramme « famille » indique que les enfants sont les bienvenus. « C’est incroyable comme les jeunes s’amusent loin de leurs bébelles électroniques », remarque Daniel Saint-Pierre, qui parle en connaissance de cause : il est l’organisateur de la sortie annuelle réservée aux ados.
UN NOM TROMPEUR
Malgré leur nom, les Portageurs ne sont pas friands de… portages. Trop d’effort ! « Ce nom vient de l’époque où la fragilité des canots nous contraignait à contourner les rapides. Mais aujourd’hui, la descente, c’est notre passion, notre raison de vivre. Certains membres font même des sauts de chute. Résultat : nous ne portageons qu’en dernier recours », reconnaît Denis Labonté, membre depuis plus de 20 ans. Conséquemment, les eaux calmes intéressent peu ces accros de l’aviron.
Les Portageurs abordent également les rapides à leur manière. « Nous ne les traversons jamais en ligne droite », nous explique David Lavoie au cours du stage initiatique. Oh que non, ce serait un sacrilège, comme de boire un grand cru dans un verre de plastique. Un Portageur digne de ce nom surfe sur les vagues, remonte le cours d’eau en utilisant la force du contre-courant, puis recommence. Lors de mon initiation sur la rivière L’Assomption, chaque rapide devenait un terrain de jeu sans fin.
Chez les Portageurs, les anecdotes de dessalage remplacent les bonnes vieilles histoires de pêche autour du feu. Genre : t’en souviens-tu quand on a fait la rivière Mistassibi Nord-Est en 2010 ? Si vous ne voulez pas perdre le fil des conversations, vous devez être un expert en hydrographie et en géographie. Regroupez quelques Portageurs ensemble, et à eux tous, ils connaîtront toutes les rivières du Québec.
L’équipement n’est pas en reste. Les canots, c’est leur dada. Les Portageurs analysent les embarcations comme d’autres parlent de voitures, les entretiennent méticuleusement comme d’autres minouchent leur Mustang de collection, certains modèles prisés ne se fabriquant plus.
Les vrais mordus possèdent une flotte d’embarcations, un par type d’aventure : en solo, en duo ou encore en expédition. Leurs canots comprennent tout ce qu’il faut : sacs de flottaison, selle, cale jambe et genouillères. On est loin du bateau dépouillé au chalet de famille. Toutefois, qui veut faire partir du club n’a pas à posséder une formule 1 de l’eau vive. Même que Stéphane Néron, 41 ans, membre depuis l’an 2000, recommande aux néophytes de ne pas en acheter un. « C’est en prenant de l’expérience que vous serez en mesure de choisir l’embarcation qui vous conviendra le mieux. J’ai fait l’acquisition de mon premier canot après plusieurs années au sein des Portageurs », dit cet ingénieur en informatique, propriétaire de cinq esquifs. Certains locataires louent des canots tout équipés, incluant le matériel servant à les accrocher sur le toit de la voiture.
Puisqu’on s’évade en canot dans le but de décrocher du stress quotidien, la vie professionnelle est rarement un sujet de conversation entre Portageurs. « Je côtoie certains des membres depuis des années, et je ne sais même pas ce qu’ils font dans le vie », confie Daniel Saint-Pierre. Bref, on n’adhère pas à ce club dans l’intention de développer son réseautage professionnel ! « Quand je suis sur l’eau, j’oublie tout le reste », observe Stéphane Néron.
Mais d’autres types de rencontres sont possibles. Qui sait, en devenant membre, vous allez peut-être tomber follement amoureux de ce sport, vous faire un nouveau groupe d’amis ou encore trouver l’âme sœur, même si le club n’est pas une agence de rencontres. « Le club a eu beaucoup d’enfants », rigole Daniel Saint-Pierre, qui en sait quelque chose, ayant fait la connaissance de sa conjointe dans le club. La rivière mène parfois à des rives insoupçonnées.
LE MÊME ESPRIT DEPUIS 50 ANS
Frank et Judith Philpott, âgés de 77 ans, ont été membres des Portageurs dans les années 1970 et ont effectué un retour en 2017, après une longue absence en raison du travail et de la vie familiale. « Ce qui m’impressionne, c’est qu’on y retrouve la même ambiance que dans les années 1970, le même esprit de camaraderie », s’étonne Franck, toujours en grande forme, lors d’une pause sur les rives de la rivière L’Assomption.
LES CLASSIQUES
Le club Les Portageurs compte quelques classiques, dont la descente, sur 43 km, de la rivière Malbaie, dans Charlevoix. « Nous y allions même à l’époque de la drave, en dévalant les rapides entre les pitounes », raconte André Francoeur, le président du club. Il s’agit d’une rivière-école, où le niveau de difficulté augmente progressivement. Parfait pour apprendre.
SOS RIVIÈRE GATINEAU
Les Portageurs sont à l’origine du Festival d’eau vive de la Haute-Gatineau, qui réunit chaque année un millier de passionnés sur une section de la rivière Gatineau menacée par le développement hydroélectrique.
En bref
Le club de canotage et de canot-camping Les Portageurs a été fondé en 1963 aux abords du lac Ouareau. Il compte au-delà de 300 membres, un nombre constant depuis des années.
portageurs.qc.ca
Repères
Sorties
Bon an mal an, il y a une centaine d’activités au calendrier, de la sortie de quelques heures sur un cours d’eau à proximité de Montréal jusqu’à la longue expédition aux confins du pays, sans oublier les stages et des formations accréditées.
Organisation
Le club ne possède pas d’autobus et ne loue pas de canot. Les membres possèdent, pour la plupart, leur équipement, font du covoiturage et partagent la tâche des repas. Tout se prépare par internet ou au local du club dans La Petite-Patrie, à Montréal, où ont lieu les rencontres hebdomadaires.
Niveau
Toutes les activités de canotage sont classées selon leur niveau de difficulté. Le chef de sortie peut refuser d’inclure un néophyte dans une sortie difficile, histoire qu’il ne devienne pas un boulet pour le groupe ou un danger pour lui-même.