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Aventures automnales
Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.
Que légueront les milléniaux au plein air ?
Terminée, l’époque où les grands espaces et l’aventure étaient réservés aux barbus survivalistes. Le plein air est maintenant inscrit dans les cursus scolaires, l’équipement de pointe se consomme comme jamais alors qu’internet brise les frontières, permettant à des aventuriers de partout de se réunir. Les milléniaux – les 18 à 35 ans – profitent de ces changements. Oxygène s’est demandé comment.
Au pied des parois d’escalade de Val-David, le choc générationnel. Mon père, 70 ans, a ressorti des boules à mites le harnais d’escalade qu’il a utilisé pour la dernière fois il y a trois décennies. Et pour cause : son neveu, 29 ans, l’emmène grimper à l’occasion de son anniversaire. Le harnais est cousu à la main à partir de ceintures de voiture. Une pratique courante en 1975. « C’était l’époque de la débrouillardise, se rappelle mon père, Luigi Civitella. Nous étions fiers de fabriquer nos propres équipements, et c’était mieux que ce qui existait sur le marché. »
Ce temps est révolu. Les marques comme The North Face et Patagonia ont la cote, et les magasins regorgent de matériel d’aventure. Ayant accès à de l’équipement de pointe, les pratiquants du plein air s’équipent comme des pros. Les 18-25 ans profitent de cette tendance qui s’est accélérée dans les dernières décennies.
Professeur au baccalauréat en intervention plein air à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), David Mepham est bien placé pour remarquer les changements encourus dans les cohortes des futurs guides de plein air de 1990 à nos jours. « Les étudiants sont équipés comme des pros ! » relève-t-il.
Techno-fétichistes, les milléniaux restent branchés même quand ils vont en randonnée, sortent rarement en forêt sans vêtements spécialisés et ne lésinent pas sur la dépense quand vient le temps d’avoir la botte de marche la plus performante sur le marché. « Il y a 20 ans, les jeunes partaient en expédition avec des bas de laine troués », compare celui qui est également responsable du Laboratoire d’expertise et de recherche en plein air (LERPA) à l’UQAC.
Patrick Daigle, enseignant d’éducation physique au collège Jean-de-Brébeuf et formateur dans le domaine du plein air, note pour sa part un changement de mentalité profond : « La tendance, dans les années 1990, c’était d’être complètement autonome. C’étaient des hippies tripeux. » Aujourd’hui, la majeure partie des gens qui font du plein air recherche le confort, avance-t-il. Une tendance symboliquement représentée, dans les magasins de plein air, par des murs entiers remplis de nourriture lyophilisée destinée aux longues randonnées, ou encore par des matelas de sol de camping de plusieurs centimètres d’épaisseur.
« On assiste à une nouvelle ère de consommateurs du plein air qui ne sortent pas dans la nature en raison des bienfaits que ça leur apporte, mais plutôt pour suivre la mode. Ce qui est important, c’est la performance », ajoute Tegwen Gadais, professeur au Département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Montréal, dont les recherches portent surtout sur la pratique du sport en plein air.
Les principaux intéressés n’hésitent pas non plus à l’avouer : « Le plein air est toujours un gros facteur wow dans notre manière de nous présenter », observe Vincent Beauregard, 28 ans, ancien président du club plein air de l’Université de Sherbrooke. Pour lui comme pour bien d’autres, les petites randonnées en montagne au sein du réseau de la Sépaq ne sont plus suffisantes pour apporter satisfaction : il carbure aux expéditions en milieux isolés et aux séances d’escalade outre-mer.
Mais que s’est-il donc passé pour que la poignée de mordus de plein air survivalistes laisse place à une armada de consommateurs prêts à payer le gros prix pour vivre des expériences auxquelles leurs parents ne rêvaient même pas ?
Des héritiers de la première génération
Penser que les milléniaux changent la pratique du plein air est une erreur, croit Roger Boileau, professeur associé au Département d’éducation physique de l’Université Laval. « Ils sont plutôt les héritiers de la première génération à avoir développé la pratique, de 1970 à 1990 », dit-il. Et maintenant que la tendance est lancée, ils surfent sur la vague.
En tant qu’éducateur physique et sociologue du sport, Roger Boileau s’est particulièrement intéressé à l’évolution de la culture corporelle des Québécois. Il explique que c’est l’écriture du livre vert sur le loisir au Québec, Prendre notre temps, puis la création des parcs nationaux et des réserves fauniques qui ont démocratisé les activités de plein air à partir des années 1970.
Lorsque cette première génération a eu des enfants, elle les a habitués très jeunes à jouer dehors. Maintenant devenus adultes, les Y, comme on les désigne également, ont le plein air inscrit dans leur mode de vie. Les jeunes adultes profitent aussi des conditions de vie mises en place par leurs parents. « Il faut une bonne qualité de vie pour avoir des vacances, des temps libres et des loisirs », soutient quant à lui Tegwen Gadais.
Et des temps libres, les milléniaux en ont, si on se fie à toutes les statistiques : ils sont célibataires plus longtemps, étudient davantage et ont des enfants plus tard que leurs parents.
Le legs des Y
Sous le règne de la génération du millénaire, Roger Boileau estime que les activités de plein air vont continuer à se diversifier (quelles nouveautés seront introduites, après la planche à pagaie [stand-up paddle board] et le vélo à pneus surdimensionnés ?) et qu’on verra une intégration encore plus grande des technologies dans l’équipement. Il est d’avis que, étant donné la quantité limitée d’espaces verts à découvrir, les jeunes adultes pourraient rendre davantage possible le plein air urbain.
Les milléniaux repoussent aussi les limites qu’avaient leurs parents en utilisant les réseaux sociaux pour se rejoindre et s’inspirer, notamment. Il suffit par exemple d’une publication par 4000 Hikes, un site de plus en plus influent de par ses suggestions plein air, pour qu’une destination devienne tendance.
De l’avis de David Mepham, ceux qui étudient aujourd’hui en vue de devenir guides de plein air présentent une plus grande diversité d’âges et d’attentes, sont plus progressistes, plus ouverts d’esprit… Ils sont globalement plus aguerris, constate-t-il. Il voit dans ses étudiants actuels une intention différente : « Plutôt que d’axer sur l’emploi qui découlera de leur baccalauréat, ils se magasinent une expérience », par opposition aux mordus de plein air des débuts du programme de l’UQAC, qui cherchaient à faire fructifier des projets personnels très précis. C’est en raison de ces caractéristiques qu’ils ne peuvent pas simplement être étiquetés « friands de loisirs ». « Ils ont une expertise en plein air et veulent donner un sens à leur expérience », renchérit Tegwen Gadais en citant pour exemple tous les programmes d’intervention et thérapie par le plein air offerts dans divers cégeps et universités du Québec.
Et même les nostalgiques du plein air d’antan ne peuvent réellement résister à la vague. Alors qu’il revenait de sa journée de grimpe, ayant goûté le plaisir d’avoir de l’équipement d’escalade, mon père – qui a ouvert des voies d’escalade au Saguenay avec des bottines d’approche à caps d’acier et des coinceurs faits de roches – l’a admis : « Quel plaisir de grimper avec des souliers ajustés ! » Et sachez qu’il n’a pas eu la permission de grimper avec son harnais cousu à la main.