À vélo au coeur du vrai monde

«Je suis aventurier, conférencier, écrivain et… retraité. En 2010, j’ai publié un ouvrage, Rouler au cœur du monde (Bertrand Dumont éditeur) dans lequel je relate mon périple à vélo. Actuellement, je pratique la simplicité volontaire et je relaxe à mon chalet − mon
petit cinq-étoiles dans les bois − en attendant de repartir.»
www.reneouellet.net

«Rame, rame, rame donc, le tour du monde nous ferons…» À sept ans, à mon école de Matane, je chante. Assis sur une chaise, une rame à la main, je voyage. Le rêve, la liberté, l’aventure m’envahissent, ne font qu’un avec moi. Chaque jour, face à la mer, à son immensité, à sa force, je renais  et je voyage, juste à la regarder.

Au début de ma vie d’adulte, j’œuvrais dans le domaine du marketing. Le travail, l’argent, le mariage, la surconsommation m’ont fait peu à peu dévier de cette liberté, de cette aventure. J’étais alors pris dans l’engrenage du capitalisme, là où les valeurs humaines de base sont vite oubliées.

Un beau jour, à 47 ans, à la suite de mon divorce, je décide de m’offrir le tour du monde, un rêve que je caresse depuis longtemps. Pour avoir la possibilité d’être libre, de découvrir, d’échanger, d’apprendre, de goûter et de vivre chaque instant, dans le but de connaître réellement les gens, et par le fait même de mieux me connaître, je décide de voyager à vélo. Ce moyen de transport naturel, écologique et économique est à la hauteur de mes aspirations.

Trop vieux pour un tour du monde à vélo?
Plus le jour du départ approche, plus les questions et les recommandations fusent de toutes parts. «Que vas-tu faire en cas d’accident? Comment vas-tu traverser les pays dangereux ou en guerre? Et si on te volait ton vélo?» Le plus difficile est alors de faire abstraction de l’avis des autres. Notre système est organisé pour qu’on se suive comme des moutons. C’est plus
sécuritaire, et surtout plus facile à contrôler.

En guise d’entraînement, installé dans mon chalet près de la rivière Matane, je vis la simplicité volontaire. Je coupe mon bois à la main, me lave dans la rivière, me déplace à pied ou à vélo. Pour les gens qui m’entourent, l’équation est simple: si je pars et que rien ne m’arrive, c’est que je suis chanceux; si une tuile me tombe sur la tête, on me l’aurait bien dit. D’un côté comme de l’autre, il n’y a pas place à l’aventure. Chose certaine, si j’avais écouté tout le monde, je serais encore devant ma carte!

En août 2000, sans tambour ni trompette, je quitte Matane. Bien que je puisse faire du camping sauvage, je privilégie de monter ma tente sur des terrains privés, afin d’être en contact avec les populations locales. Souvent, on m’invite à partager un repas, à laver mon linge ou à coucher dans une chambre. À d’autres occasions, on m’offre l’hospitalité pour
plusieurs jours. Le soir de Noël 2000, à Veracruz, au Mexique, j’entre acheter de la nourriture dans un magasin: la famille m’invite pour réveillonner; je les quitte cinq semaines plus tard. En Iran, un des plus beaux pays que j’ai traversés, je reçois tellement de fruits, de fromage et de chapatis que je dois en jeter.

Un peu partout, comme au Nicaragua, au Chili ou en Afrique du Sud, je commence à donner des conférences. C’est en Inde qu’un jour, dans une petite école primaire privée, je reçois le plus beau cadeau de mon voyage. Après une cérémonie de bienvenue où une élève me marque le front d’une poudre rouge, je prononce une autre conférence. Pour me remercier, la propriétaire, une très belle Indienne vêtue d’un magnifique sari, dans un geste gracieux rempli de gratitude, m’offre une rose. Ouf! Un grand sourire et un merci seront mes marques de reconnaissance.
Seul sur la route, je réalise que je suis privilégié de pouvoir partager, offrir, recevoir, être en contact avec l’émotion, la sincérité, l’amour et la chaleur humaine. Bref, de «rouler au cœur du monde». Je suis conscient que, loin des forfaits touristiques, il faut croire en l’aventure et sortir des sentiers battus afin d’être plus près des gens ordinaires. En fait, le simple fait de rouler à bicyclette me rapproche des gens qui, partout dans le monde, ont le cœur sur la main.
Le 9 octobre 2005, après avoir parcouru 80 000 km et traversé 60 pays à vélo, je reviens chez moi. Je m’installe à mon chalet, remets mes vieux vêtements, allume mon poêle, puis ouvre la télévision. Aux nouvelles, on critique le gouvernement, les systèmes d’éducation, de santé… Rien n’a changé! Je la referme en me disant que la vie est beaucoup plus simple qu’on ne le pense, que nos valeurs fondamentales sont trop souvent oubliées, que ce qu’on voit à la télé n’est pas la vraie vie, et que la vraie richesse du monde, ce sont tous ces humains bons, hospitaliers, sympathiques. Désormais, je n’ai qu’une envie: repartir et rencontrer encore une fois le vrai monde.•