L’Everest, à quel prix?
En date du 25 mai dernier, on déplorait la mort de 10 grimpeurs sur les versants de l’Everest, dont 4 du côté népalais (sud). L’une des victime, Shriya Shah, une canadienne d’origine népalaise perdait la vie le 20 mai en redescendant après avoir atteint le sommet, ainsi que ses partenaires, un Allemand et un Sud-Coréen.
Une tragédie qui relance la question du formidable engouement pour la haute montagne – et des risques croissants qui y sont mêlés. L’alpiniste québécois Gabriel Filippi, présent sur l’Everest pour guider la toute première expédition commerciale québécoise sur le toit du monde, a été mêlé de près à ce drame puisque, averti de sa mort, il s’empresse de contacter son chef d’expédition pour recueillir plus d’information. «À ce moment, on ne savait rien d’autre, sinon celle qu’elle avait atteint le sommet entre 13h et 15h et qu’elle était portée disparue depuis, explique Gabriel Filippi rejoint à Katmandou par Géo Plein Air. Il était très abattu par la situation, je lui ai donc proposé mon aide.» Ni une ni deux, l’alpiniste appelle le mari à Toronto pour l’informer de la situation et part à la recherche de renseignements auprès d’autres alpinistes présents sur place. L’un d’eux a bel et bien vu son corps sans vie, alors qu’il était en marche vers le sommet. De son sherpa, Gabriel Filippi apprend que, partie le 18 mai à 8h30 pm, elle marchait d’un pas lent bien qu’elle ait pris de l’oxygène d’appoint à un taux de 3,5 l/min (la majorité, selon lui, en prend à un taux de 2 l/min), des signes assez inquiétants sur son état de santé. Après 18 h de montée, elle atteint le sommet puis redescend vers le camp 4, et s’arrête au South Balcony (8350 m) après 7 h de marche. «Son sherpa change sa bouteille, elle en est à sa neuvième! explique l’alpiniste québécois. Ses sherpas l’assurent devant et derrière, elle est épuisée.» Après 100 m de descente, elle s’effondre à 8200 m d’altitude. Il faudra 6 sherpas pour la redescendre vers le camp deux (plus de 6000 m). Et c’est Gabriel qui informera son mari de son décès.
Ce drame ravive la question de l’accessibilité de l’Everest auprès de milliers de grimpeurs, dont beaucoup s’improvisent au-delà du bon sens. «En 1999, on était 15 sur l’arête sommitale, 100 m avant le sommet, explique Bernard Voyer rejoint pour l’occasion. Aujourd’hui, ils sont 150! ce qui multiplie considérablement les risques d’accident. À cette altitude, baptisée «zone de la mort», le manque d’oxygène dure depuis des heures et ses répercussions sur l’attention et la fatigue sont bien plus sévères. Et les bouchons de circulation sur cette arête peuvent compromettre grandement les secours auprès de grimpeurs en proie à de graves difficultés», explique Bernard Voyer.
Ce drame ravive aussi le débat sur l’oxygène d’appoint. Sans oxygène, l’alpiniste canadienne aurait-elle poursuivi son chemin au-delà de ses forces? Personne n'a la réponse, mais la question doit être posée.
L’Everest, à quel prix? Au plus offrant?
L’Everest, pour quoi? Pour le kick de se tenir au top du top?
Le déferlement d’émissions de télé et d’expéditions ultra-commerciales pour de riches désœuvrés en a fait le dernier lieu où être. Et être vu. Au point qu’on perd de vue l’essentiel : l’étique du montagnard, l’humilité, la communion.
L’Everest, et alors? Pour accrocher un certificat au mur? Ou pour faire entrer à l’intérieur de soi un peu de sa grandeur? 8848 m de grandeur. Et continuer quand même à se sentir tout petit.