Le canot d’Armand

«5000 ans qu’on occupe ce territoire, me dit Armand Niquay, un aîné de Manawan, au campement Matakan, une presqu’ île posée sur l’immense lac Kempt. Un jour, une femme anglaise est venue ici ramasser des pointes de flèche et les a envoyées à un musée. Maintenant, le gouvernement dit qu’il n’y a plus de preuves que les Atikamekw étaient là il y a des milliers d’années. »

Tout en me causant, Armand occupe ses mains à confectionner un petit canot d’écorce. Un miniature, mais fait en tous points pareil aux grands. Il n’a même pas besoin de penser à ce qu’il fait, ses mains connaissent la musique par coeur: elles ont déjà aplani la feuille de bouleau du printemps, celle qu’on gratte délicatement pour faire apparaître des dessins en relief. Et elles ont fait la petite structure avec des tiges de cèdre, bien souples, pour la courbure du bateau. Le bûcheron d’autrefois fait désormais dans la dentelle.

«Ushuaïa, l’émission de télé française, ils sont venus ici pour filmer le campement. Et les Français ont commencé à arriver pour vivre une aventure d’Indiens. Depuis, on leur explique d’où on vient et on leur montre qu’on est fiers d’être Atikamekw. On leur montre les inscriptions gravées sur la falaise il y a 300 ou 400 ans, même si on ne les comprend plus parce qu’on a conservé la langue parlée, mais perdu l’écriture. »

Le petit canot d’écorce est en train de prendre vie sous ses mains puissantes. Il coud la feuille d’écorce sur la structure de cèdre avec de la ficelle faite en racine d’épinette. Pas de colle, pas de clou. Tout est fait comme autrefois quand on se fournissait sur les «rayons» de la nature. Tout y était. Et on savait arrêter avant l’épuisement des stocks.

«Même Cyrille Chauquet, celui de Mordu de pêche, il a fait son émission d’ici même. Ça a attiré beaucoup de pêcheurs de la région et même de plus loin. On a sorti des belles truites mouchetées qu’on a grillées sur le feu, avec de la bannique.»

Armand dépose un peu de gomme d’épinette sur les jointures du canot, pour l’étanchéité, exactement comme sur les grands. Comme sur celui de 28 pieds que la communauté avait construit en 2001, pour la commémoration de la Grande Paix, le 300e anniversaire du traité signé entre la France et les nations autochtones. Douze jeunes Atikamekw avaient embarqué et ramé, de Trois-Rivières à Montréal. Et le National Geographic avait suivi l’expédition.

La communauté, à Manawan, est en pleine prise de conscience: après l’acculturation forcée vient la nécessité de se réapproprier sa culture et son espace. «Le défi, m’explique Thérèse Niquay, directrice des services communautaires pour le Conseil des Atikamekw, c’est d’encourager les jeunes à se former ailleurs puis à revenir ici pour aider à développer les activités. La seule façon de nous en tirer, c’est de revenir à nos traditions.»
Justement, le camp Matakan est fait de tout ça: espace, culture et tradition.

Repères: le camp Matakan est situé à 80 km au nord de Joliette, dans Lanaudière et accessible par bateau depuis Manawan. On y trouve un chalet de bois rond et trois tipis, pouvant accueillir 18 personnes maximum. Le forfait offert par Tourisme Manawan comprend le gîte, le couvert et diverses activités de découverte: pêche, randonnées, ateliers, canot, etc. Tarif: 310$ par personne pour 3 jours et deux nuits. Disponible jusqu’à la fin septembre.
Info: 1 877 971-1197 ou www.tourismemanawan.com.
Tourisme autochtone Québec : www.tourismeautochtone.com