Entretien avec les «Buveurs d’air» – Le plus vieux club de marche de France (2e partie)
«Buveurs d'air», ainsi se nommaient eux-mêmes ces excursionnistes qui partaient de Marseille pour explorer la nature sauvage qui le cernait, en cette fin du XIXe siècle: Alpes, Sainte-Beaume, Sainte-Victoire, Alpilles et… calanques.
En canotier et chapeau à voilette (ces dames y étaient non seulement admises, mais aussi bienvenues!), ils célébraient les beautés de la nature, conjuguées à l'humanisme et l'entraide, en passant leur dimanche en toute convivialité. Le pique-nique, à la mi-journée, était aussi l'occasion d'échanger nougats, choux à la crème (spécialité de l'équipe des «Choux-crémistes») ou sucreries diverses.
Chanceux que nous sommes! La photographie existait déjà et représentait, pour ces marcheurs infatigables, de précieux témoignages sur une époque qui exaltait la forme physique en prévision des guerres qui s'annonçaient à l'horizon.
Ces pionniers du plein air défendaient aussi un régionalisme politique autant que culturel en associant à leurs escapades la célébration de l'«essor provençal». Le poète Frédéric Mistral, l'un des plus fervents intellectuels de cette Provence du début de siècle, participa quelquefois à leurs escapades dans l'arrière-pays.
Aujourd'hui, rien n'a changé, pour ainsi dire: le club se donne toujours pour mandat d'organiser des sorties en pleine nature et l'«essor provençal» figure encore au frontispice de l'association bénévole. «C'est Paul Ruat, libraire sur la Canebière (l'artère principale de Marseille) qui est à l'origine du club», m'explique Michel Ricard, l'actuel président des Excursionnistes marseillais. Celui-ci annonçait ses randonnées dont il publiait les récits, sur une ardoise dans sa vitrine. S'y joignait qui le voulait; la voiture à cheval menait tout ce beau monde vers les sentiers de Provence. L'association était née, presque par hasard.
Quelques années plus tard, le club était reconnu d'«utilité publique», tant était saluée son action pour la valorisation de l'effort physique et pour la défense du patrimoine marseillais sous toutes ses formes (environnement et culture). Entre deux-guerres, l'association comptait près de 12 000 membres et le «Bal des Excurs» s'imposait comme un événement annuel couru.
«Les Excurs étaient de solides marcheurs et de sacrés escaladeurs (selon l'expression du cru), raconte le président. Aujourd'hui, l'association propose aussi des sorties en familles ou pour débutants pour maintenir le membership et être capables de financer nos frais.»
De solides marcheurs et des défenseurs de l'environnement avant l'heure, puisque c'est aux Excurs qu'on doit d'avoir manifesté, pour la première fois, contre la destruction annoncée du site de Portmiou par une carrière en 1910! Quelques 600 personnes s'étaient rassemblées dans la calanque pour exiger l'abandon du projet. La carrière a pourtant vu le jour – détériorant du même coup le site naturel exceptionnel de Portmiou et menaçant aussi celui d'En Vau – mais la mobilisation aura démontré l'attachement inconditionnel des Marseillais pour leurs calanques.
En 1923, un Pamphlet poétique est édité par les Excursionnistes marseillais, Les calanques en péril, suivi par la création d'un Comité de défense des calanques. Pour la première fois, la protection patrimoniale concernait un territoire naturel. Bien sûr, la question législative, cruciale, prendrait bien plus de temps à se mettre en place…
Extrait de «Calanques en péril», 1923:
"Lorsqu'un pays a le bonheur de posséder des sites de ce genre – et il ne saurait en posséder beaucoup – il se doit à lui-même de les garder comme des trésors", dixit M. Poucel, vice-président de la Société des Excursionnistes marseillais.