Affreux, sales et méchants


«Allez-vous survivre à l’apocalypse?»
martèle dans un porte-voix un jeune homme à la casquette délavée.

Pressés dans un tunnel noir, nous sommes 250 participants fébriles à attendre le départ. Dans quelques minutes, nous aurons à parcourir 5 km parsemés d’une quinzaine d’obstacles avec plus de 300 zombies à nos trousses. Ma vie ne tient qu’à trois drapeaux fixés à ma taille: si je franchis la ligne d’arrivée avec au moins l’un d’eux, je suis vivant; sinon, je suis mort, ou plutôt mort-vivant. Le défi est considérable: à peine 20 % des compétiteurs terminent l’épreuve «en vie».

Lorsqu’on m’a proposé de couvrir la course Run For Your Lives, j’ai trouvé l’idée absurde. Des adultes déguisés vont jouer à la tague avec moi? N’importe quoi!

Mais maintenant que je me trouve dans ce tunnel noir, je suis nerveux. Je ne veux pas mourir. Bondissant sur place pour libérer mon agitation, je me répète à moi-même: «Ils ne m’auront pas, ils ne m’auront pas!»

3, 2, 1… Sauve qui peut!

Une trentaine de minutes plus tard, j’arbore une coupure sous l’œil gauche et je franchis la ligne d’arrivée avec deux drapeaux. Je n’en reviens pas, j’ai réussi! Je me pavane fièrement parmi tous ces sans-drapeaux aux yeux ébahis devant mes deux fanions, et qui m’interrogent sur ma prouesse. «Pas facile, mais je les ai eus!» L’idée d’une telle course m’avait laissé indifférent, et voilà que je me prends pour Chuck Norris.

Qu’elles se nomment Run For Your Lives, Spartan Race, Tough Mudder ou Rebel Race, les courses à obstacles ont la cote, en Amérique du Nord et en Europe. En 2013, rien qu’aux États-Unis, elles ont attiré deux fois plus de participants que les marathons, soit 1,5 million de coureurs de plus. On vend de la souffrance avec des bains de glace, des chocs électriques, des barbelés, des flammes et même des fanatiques qui vous pourchassent. S’enliser dans la misère et la boue n’a jamais été aussi agréable. Mais pour quoi faire?

L’entraide dans l’adversité

«J’ai hâte de dire à mes amis marathoniens que j’ai participé à une course qu’ils n’ont jamais faite», m’explique Tracy, de Buffalo, qui en est à sa première expérience du genre. Elle n’a rien d’une athlète; en fait, elle ne court même pas: elle est surtout fan de The Walking Dead, une télésérie qui se déroule en pleine apocalypse zombie. Elle et ses amis voulaient simplement vivre une expérience semblable à leur émission favorite.

De façon générale, les organisateurs de ce genre de raid notent que de nombreux participants en sont à leur première course. Ils s’inscrivent souvent en groupe, parfois entre collègues de travail, pour s’encourager. Personne ne pousse dans le dos de l’autre et un véritable sentiment de camaraderie prévaut entre les coureurs, «qui sont aussi fiers d’avoir surmonté un obstacle que d’avoir donné un coup de main à leur pro­chain», me confient Caroline Martel et Kevin Bégin, qui ont pris part à la dernière course Prison Break, à Bromont.

La plupart du temps, les participants ne se soucient d’ailleurs guère de gagner; tout ce qu’ils veulent, c’est terminer l’épreuve. Ainsi, Tough Mudder, dont la devise est «On n’a­bandonne aucun homme derrière», ne se considère même pas comme une course: c’est un défi non chronométré de 16 à 20 km, à disputer en équipe.

Des costumes à l’image de leur tribu démarquent aussi couramment les groupes. La musique rythmée par un D.J. accompagne les départs, et la fin des exploits est récompensée par une bière. L’atmosphère est aussi festive que boueuse, et on pourrait parfois se croire en plein carnaval. Dans un tel climat, il est difficile de se sentir intimidé par le super-athlète à sa droite quand celui à sa gauche est déguisé en banane…

Courir pour le plaisir

Depuis cinq ans, de plus en plus de Nord-Américains adoptent la course à pied, souligne Jean-Yves Cloutier, entraîneur, concepteur des programmes d’entraînement du marathon de Montréal et coauteur du livre Courir au bon rythme. En 2008, le marathon montréalais ne comptait que 8018 inscriptions; en 2013, celles-ci dépassaient 30 000, un record. Selon lui, cette hausse est aussi attribuable à la participation massive des femmes dans ce sport. «On ne court plus pour les mêmes raisons que dans les années 1980, dit-il. Nous sommes beaucoup moins compétitifs, on court surtout pour le plaisir. Je crois que ces courses à obstacles arrivent juste au bon moment et elles viennent compléter cette philosophie de course récréative», ajoute-t-il.

De leur côté, les réseaux sociaux ont aussi grandement contribué à catapulter ces événements au premier plan. Les photos de guerriers boueux qui envahissent les pages Facebook ne font que nourrir une plus grande curiosité. «Ça nous a pris des années avant d’avoir 4000 participants au demi-marathon du Tour du Lac Brome, note Jean-Yves Cloutier. Mais en quelques mois, Tough Mudder a réussi à attirer plus de 7000 personnes à Bromont.»

C’est après avoir vu une photo qu’une amie a publiée sur Facebook que Mathieu Mallette Gamache, un Montréalais de 25 ans, s’est inscrit à sa première course. Aussitôt, il a eu le coup de foudre. Depuis, il a participé à plus de 17 événements. «J’avais déjà couru un demi-marathon, mais ça m’ennuyait, dit-il. Quand je fais une course à obstacles, je ne pense pas à courir, je pense plutôt à me rendre au prochain obstacle.»

Andréanne Gendron, étudiante au cégep de Jonquière, abonde dans ce sens. La course traditionnelle ne l’enchantait pas, mais avec les courses à obstacles, elle a réalisé qu’elle avait du potentiel: elle a ainsi changé son entraînement et a terminé première chez les femmes au Spartan Sprint.

Entraînement sur mesure

Ceux qui participent pour la première fois à de telles courses attrapent souvent la piqûre de l’entraînement, ou encore, ils apportent des modifications à leur programme d’exercices. Devant cette demande croissante, le kinésiologue Mathieu Drugeon, entraîneur chez Extra Entraînement, a ainsi ouvert des classes supplémentaires taillées sur mesure pour les besoins de ces coureurs nouveau genre, qui envahissent de plus en plus les parcs de Montréal. Et comme le CrossFit* est à la mode, plusieurs adeptes veulent mettre leur entraînement à l’épreuve.

L’engouement pour les courses à obstacles ne plaît cependant pas à tous. Dans un blogue de triathlon, on peut lire de nombreux commentaires qui les ridiculisent. Marc-André Bédard, athlète de biathlon olympique, n’est pas de cet avis. «Il faut savoir choisir parmi ces courses, car certaines sont plus sérieuses que d’autres.» En 2011, celui-ci a participé à sa première course, la Spartan Beast, à Killington, au Vermont, avec 20 km à franchir et 25 obstacles dispersés en montagne. «Je ne m’étais pas préparé à ça, à part mon entraînement de biathlon, dit-il. Au final, cette course aura été la plus difficile que j’ai faite, mais un des meilleurs moments de ma vie, c’était indescriptible!» Marc-André a même terminé premier et détrôné le roi des courses à obstacles, Hobie Call.

L’année suivante, Claude Godbout, la copine de Marc-André, également athlète de biathlon, a remporté la première place chez les femmes et a empoché une bourse de 10 000 $. Les organisateurs n’ont pas tardé à tenter de greffer ce couple d’élite à leur série de courses en lui offrant un contrat. En s’associant avec des athlètes, ceux-ci désirent faire des courses Spartan un sport professionnel, me confie Marc-André. La cofondatrice, Selica Sevigny, ne me cache pas sa motivation: «On veut en faire un sport olympique!»

Qu’on soit olympien ou télézard (patate de divan), les raisons de participer à ces courses varient autant que les coureurs eux-mêmes: se mettre en forme, perdre du poids, relever un défi, sortir de sa zone de confort, jouer comme un enfant, sentir qu’on touche à un «sport extrême» ou, tout simplement, s’éclater en costume et hériter d’une bière à la fin. Mais qu’importe, bouger est bon pour la santé. Et pour ma part, je suis du même avis que mon ami Dominic, qui m’a accompagné à toutes les courses durant ce reportage: «C’est beau de voir qu’à notre âge, on l’a toujours, l’affaire.»

J’imagine que c’est un peu ça, vaincre la crise de la quarantaine? •

* Le CrossFit (ou entraînement en parcours) est un programme multidisciplinaire
qui combine des exercices de force athlétique, d’haltérophilie, de gymnastique
et de sports d’endurance.

Ce reportage a été rendu possible grâce à VIA Rail (viarail.ca), au Hampton Inn
& Suites, à Barrie, en Ontario (hamptoninnbarrie.com), et au Best Western Plus Merrimack Valley, à Haverhill, au Massachusetts (bestwesternmassachusetts.com).

La course qui en fait voir
de toutes les couleurs

Aucun obstacle, aucune limite de temps, aucune compétition. En fait, la seule et unique finalité de la course Color Me Rad, c’est que ses participants la fassent avec le plus de couleurs possible sur le corps, pour la photo! Complètement ridi­cule? Pas du tout, et les organisateurs l’ont bien compris: au lieu d’ériger de coûteuses structures pour attirer les foules, ils n’ont qu’à fournir aux participants une paire de lunettes mauves, un chandail, des sachets colorés et un bon conseil: leur suggérer de se vêtir en blanc de pied en cap. Je l’avoue, j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à réaliser le parcours de 5 km: la journée était ensoleillée, les rires des jeunes et moins jeunes fusaient de toutes parts. Et surtout, j’ai rapporté d’excellents clichés pour mes albums souvenirs.  (Dominic Guérin)


Les courses
Run For Your Lives
Distance: 5 km sur terrain plat
Nombre d’obstacles: + ou – 15, avec plus de 300 zombies qui vous pourchassent
Degré de difficulté: difficile
runforyourlives.com

Rebel Race
Distances: 5 et 15 km sur terrain plat
Nombre d’obstacles: + ou – 25 pour le 5 km
Degré de difficulté: facile
rebelrace.com

Spartan Race (Beast, Sprint…)
Distances:  5, 10, 20 ou 42 km en montagne
Nombre d’obstacles: + ou – 15 par tranche de 5 km
Degré de difficulté: de moyen à très difficile
spartanrace.com

Tough Mudder
Distances:  de 16 à 20 km sur terrain plat
Nombre d’obstacles: + ou – 25
Degré de difficulté: moyen/difficile
toughmudder.com

Prison Break
Distances:  5 km sur terrain plat
Nombre d’obstacles: + ou – 15, avec plus de 100 policiers qui vous pourchassent
Degré de difficulté: moyen
prisonbreakrace.ca

Xman Race
Distance:  7 km en montagne
Nombre d’obstacles: + ou – 25
Degré de difficulté: moyen/difficile
xmanrace.com

Autres courses se déroulant au Québec : le Défi Vikings (ledefivikings.com); la Totale bouette (totalebouette.ca); le Bootcamp-Race (bootcamp-race.ca).
Pour plus d’info: iskio.ca