Pour amateurs de randonnée hyperactive

C’est ma conjointe qui a insisté pour qu’on s’inscrive à la course. Depuis quelques années, elle ne veut plus courir sur l’asphalte. Trop dur pour les hanches et les genoux. Mais elle aime l’atmosphère entraînante des événements chronométrés. Elle s’est d’abord orientée vers les courses sur terre battue (Cross Country), mais ils ne sont pas si nombreux, en fin de compte. Elle a donc décidé d’essayer les parcours en sentiers de montagne (Trail Run), en principe beaucoup plus exigeants à cause des dénivelées, des passages étroits, des roches, des racines en saillie… et de la boue parfois, les lendemains de pluie.

Mont-Royal

Par bonheur, le sol est sec aujourd’hui. Mais dès les premiers mètres de l’ascension, je mesure l’intensité du défi.  En quelques foulées à peine, me voici déjà à bout de souffle. Le modeste parcours de cinq kilomètres pour lequel je me suis inscrit va me tuer, si je m’acharne. J’opte pour la marche… et constate aussitôt que les autres, autour de moi, font de même.  Quelques secondes de course quand ça redevient plus plat, et de nouveau la marche à chaque raidillon.

Après un demi kilomètre, une fois le pallier atteint, le sentier devient plus bucolique. De douces montées, quelques descentes, des virages serrés en sous-bois, quelques petits escarpements à escalader. Je reprends mon souffle et mon rythme. Et le plaisir de courir en nature, aussi. Puis c’est la longue descente au final. Je termine en pleine forme, dépassant à grandes foulées plusieurs autres coureurs qui ne se sont pas assez ménagés dans les premiers 500 mètres. Seizième au classement, sur les 120 inscrits du 5 kilomètres. Pas mal, pour un « p’tit vieux » de 65 ans !

« Le premier conseil que je donne à ceux qui commencent la course en sentier, c’est d’oublier la montre.  On ne vise pas à maintenir son rythme en termes de km/heure, mais en termes de pulsations cardiaques », explique Patrick Daigle, enseignant au Collège Brébeuf, qui organise depuis 11 ans une course d’initiation, le Tour du Mont-Royal Brébeuf, à la fin d’octobre. « Il faut savoir gérer son énergie, marcher s’il le faut quand ça grimpe, accélérer en descente. On ne poursuit pas la performance, mais la constance de l’effort. »

Xtrail

Un nouveau phénomène de masse

La course en sentier a certes toujours eu des adeptes. Mais elle n’a émergé que récemment dans les événements chronométrés. Le répertoire web Iskio.ca ne recensait que 16 événements de course en sentier en 2010, et 49 parcours possibles, en tenant compte des diverses distances offertes. On y retrouvait 94 événements et 310 parcours en 2016. Et le nombre de coureurs à avoir franchi la ligne d’arrivée dans ces événements chronométrés est passé de 1 629 à 21 939 pour la même période, une multiplication par un facteur de 13,5 en six ans. Et encore, j’ai retracé plusieurs courses importantes qui n’y figuraient pas dont ma course de juillet et au moins quatre autres courses du circuit MEC. Pendant la même période, le nombre total des coureurs au fil d’arrivée, pour les courses sur route ou sur terre battue, n’a augmenté que par un facteur 3,6. Et le nombre des inscriptions plafonne ou recule dans bien des événements.

Pourquoi cette nouvelle tendance ? « Plusieurs coureurs qui ont fait des 10 kilomètres, des demi-marathons puis des marathons cherchent maintenant autre chose. La course en sentier, c’est une nouvelle expérience, beaucoup moins monotone. En sentier, on explore des paysages dans des parcs naturels, on change de terrain. La bataille contre le chrono est moins importante, parce que les conditions changent toujours. Ça demande plus d’attention. On est plus dans le temps présent », constate Vincent Champagne, un adepte de la course en sentier qui a lancé l’année dernière le web-magazine Distances+, consacré à la pratique de ce sport. « Il y a cinq ans, on n’aurait pas pu faire émerger un tel magazine. Il n’y aurait pas eu de marché. Mais aujourd’hui, on attire jusqu’à 45 000 visites par mois ! »

Le titre du magazine, Distances+, évoque au départ l’univers des ultra-marathoniens et des adeptes des courses mythiques comme le marathon des sables (250 kilomètres dans le Sahara), la diagonale des fous (la traversée de l’Île de la Réunion, sur 167 km), les ultra-trail du Mont Blanc ou du Mont Fuji (168 km chacun). Ce n’est pas un hasard, car ce sont souvent les adeptes des ultra-courses qui ont lancé ici les premiers événements populaires en sentier. Mais comme pour la course sur route, ce sont les courtes et moyennes distances qui attirent le plus d’adeptes.

Daniel Desrosiers, qui était jusqu’à cette année gestionnaire de portefeuilles à la Banque de Montréal, est un de ceux qui a fait émerger ce sport depuis 20 ans. Ancien « ultra coureur », adepte des défis de « carte et boussoles », il a organisé quelques courses en sentier au Vermont, avant de se lancer à Tremblant et à Val Morin… puis de fonder le Festival Ultimate XC de Saint-Donat, il y a 7 ans. Avec plus de 1200 participants, c’est un des 5 plus gros événements de ce type au Québec. « Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de mesures électroniques à l’arrivée. C’était très bonne franquette. J’organisais des événements pour les trippeux. Depuis quelques années. La course en sentier est devenue plus compétitive. Ce n’était pas mon orientation », avoue celui qui, après avoir organisé 6 éditions de son festival, vient de passer le flambeau à d’autres.

L’engouement actuel va-t-il se maintenir ? Daniel Desrosiers hésite un peu. « Les jeunes de 20, 25 ou 30 ans, ils sont plus en gang. Ils sont attirés par les événements extrêmes ou les courses à obstacle qui connaissent une croissance encore plus forte. Mais pour les coureurs plus âgés, la course en sentier reste plus stimulante, plus variée, plus aventurière… bien moins platte, somme toute, que la course sur route ! »
La rencontre du plein air et de l’adrénaline

Après ma première expérience au mont Tremblant, j’ai décidé de m’inscrire, le 23 octobre dernier, à un défi un peu plus sérieux : un circuit de 16,5 km sur le Mont Royal, avec 362 m de dénivelée totale. La promesse était attirante : une course unique en pleine nature, au cœur de Montréal.

Je connais bien la montagne. J’y pratique mon jogging depuis des années, sur le Chemin Olmstead, et j’arpente les quelque 20 kilomètres de pistes de ski de fond une dizaine de fois par hiver. Mais pour me préparer à cette course automnale, j’ai commencé à explorer les sentiers moins fréquentés, au hasard des montées et des descentes qui surgissaient devant moi, au détour des arbres. Et j’ai adoré. Fini l’obsession du chrono. De toute façon, je ne traçais jamais deux fois le même trajet. Mon plan : l’improvisation, la variété et la découverte aussi. Et, comme défi, la durée et la distance.

« Les adeptes de la course en sentier, constate Patrick Daigle, l’organisateur de cet événement, ce sont avant tout des amateurs de plein air qui sentent le besoin de mettre un peu plus d’énergie dans leurs promenades. Ils veulent être en nature. Ils prennent le temps de regarder. Mais ils réalisent qu’en courant, ils peuvent explorer des terrains plus vastes. »

« Dans les années 1980 et 90, il y a eu un boom de la marche en forêt. Ce sont ces gens qui, parce qu’ils voulaient maintenir la forme physique, se sont mis à la course. C’est de la rando en mode accéléré ! » confirme Sébastien Côté, partenaire de Vincent Champagne dans Distances+, et créateur de L’Ultra-trail Harricana de Charlevoix (7e édition en septembre, 1 400 inscrits). « Ça peut paraître paradoxal, mais pour notre événement, on constate que, plus les distances sont longues, moins il y a d’abandon. Les gens le prennent comme un défi, et sont prêt à passer de longues heures en forêt. Au final, on a un taux de succès plus grand dans le 120 km que dans le 28 km! » Et on voit plus de gens qui s’entraident, qui restent ensemble et traversent le fil d’arrivée la main dans la main, ajoute Vincent Champagne.

Daniel Desrosiers l’a aussi constaté, avec son parcours-défi de 60 kilomètres. « C’est un parcours difficile, probablement le plus extrême au monde pour cette distance, avec une zone de marécage qu’on appelle le petit Vietnam. On a été obligé d’imposer un temps limite, parce qu’il y a des gens pour qui la vitesse ne comptait pas. Ils voulaient relever le défi et Ils le faisaient avec une moyenne de quatre à cinq kilomètre/heure. C’est un rythme de marche rapide, ça! »

Trail

Des coureurs de la 2e vague

Si de plus en plus de jeunes pratiquent la course en sentiers, sur les courtes distances surtout, la moyenne d’âge des participants dans les longs parcours est plus élevée. En partie parce que plusieurs adeptes n’ont découvert cette pratique qu’après des années de course plus traditionnelle. Mais ce n’est pas la seule explication. « Les jeunes, ils aiment quand ça passe vite. La course de fond qui dure des heures, ce n’est pas dans leur mentalité ! Et c’est aussi quand on est jeune qu’on peut développer nos fibres musculaires rapides, celles qui donnent de la puissance en pointe. En vieillissant, on développe plus nos fibres rouges, plus lentes, mais qui permettent un effort plus soutenu », explique Patrick Daigle.

La forte croissance de cette pratique depuis 6 ans serait-elle liée au vieillissement de la population… et des coureurs? Plusieurs articles publiés récemment dans Distances+ s’adressent en tout cas de manière explicite aux 50 ans et plus !
Reste que courir dans des sentiers étroits, parsemés de racines et de roches saillantes, avec des montées et des descentes parfois abruptes, peut sembler un sport plutôt dangereux, surtout pour les personnes plus âgées. Pourtant, s’il y a parfois des chutes, quelques éraflures et ecchymoses, la course en sentier serait en général moins risquée pour les articulations. « En course sur route, on a un mouvement brusque et répétitif. Toujours le même. En sentier, on est toujours en balancement sur la gauche, sur la droite, le rythme change, la position du corps s’ajuste sans cesse », explique Patrick Daigle. Vincent Champagne et Sébastien Côté m’ont donné la même réponse, à peu près dans les mêmes termes.

C’est finalement sans trop d’appréhension que j’ai attaqué, en octobre, les 16,5 km de mon Tour du Mont-Royal. J’avais parcouru les mêmes sentiers à plusieurs reprises depuis un mois. Je savais que la distance était à ma portée. Je savais que je ne me défoncerais pas pour grimper en toute hâte les multiples montées étroites. « Si tu cours en moins de 7 minutes au kilomètre, c’est excellent », m’a prédit l’homme qui grelottait à côté de moi sur la ligne de départ. Je savais que je pouvais faire mieux, à condition de bien gérer mon effort. Mais j’étais avant tout venu pour le plaisir du grand air et pour profiter, une journée encore, des magnifiques couleurs de l’automne. J’avais surtout hâte que ça commence, question de me réchauffer enfin.

Oui, j’ai marché des bouts. Mais j’ai aussi couru à plein gaz dans les descentes et j’ai bouclé le trajet en moins d’une heure trente-trois, sans douleur aux pieds, aux hanches ou aux genoux… Aurais-je dû tenter le 25 km ? Ou le Marathon ?
 

2 événements à considérer cet automne

Date Événement Sport Coureurs
13 oct. Xtrail C3fit – Mont Orford trail
7-8-9 sept. Ultra-Trail Harricana (Charlevoix) trail