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Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.
Le nombre 30 et la biodiversité
En lieu et place de lois destinées à protéger les animaux et les plantes en situation précaire, il faut plutôt tendre vers des lois qui protègent davantage les habitats de ces espèces, les milieux de vie, les écosystèmes. C’est le constat qui s’impose assez vite quand on étudie la portée juridique et l’effet des lois actuelles de conservation de la nature.
En effet, en dépit de l’obligation d’agir, stipulée noir sur blanc dans la loi fédérale sur les espèces en péril, malgré des programmes de rétablissement d’espèces mis en place, avec des cibles précises – pour le caribou forestier, le béluga du Saint-Laurent, la rainette faux-grillon, etc. –, force est d’admettre que les résultats ne sont pas au rendez-vous : au lieu de raccourcir, les listes d’espèces en danger s’allongent (espèces inscrites comme préoccupantes, menacées, vulnérables, en voie de disparition, etc.).
On fait fausse route lorsqu’on s’intéresse aux espèces en elles-mêmes : c’est sur les interrelations entre les espèces qu’il faut se pencher, sur les communautés vivantes dans leur ensemble. D’où l’importance de protéger des aires naturelles représentatives de l’ensemble du territoire : dans les forêts tempérées du sud du Québec ; dans les forêts résineuses boréales ; en zone arctique, dans la toundra.
Et il faut le faire en quantité suffisante. Mais que veut dire « quantité suffisante » ? Dans les années 1990, un chercheur suédois, Henrik Andrén, a établi un seuil minimal de milieux naturels à conserver, un seuil en deçà duquel les pertes de superficie sont si grandes que les espèces animales et végétales ne peuvent s’en remettre : sous la barre de 30 % d’habitats naturels restants dans un paysage, dans une région, peu importe l’échelle, les milieux sont si petits et isolés les uns les autres que les animaux et les plantes ne peuvent s’y maintenir à long terme. Depuis, d’autres études ont confirmé la justesse de l’estimation du seuil de 30 % pour différents groupes d’espèces et écosystèmes.
À l’été 2021, rebelote, cette fois avec la publication des travaux d’un groupe de quelque 50 scientifiques, piloté par le chercheur européen Martin Jung : en protégeant 30 % des écosystèmes terrestres, marins et d’eau douce, on réussirait non seulement à maintenir la biodiversité, mais à limiter aussi l’impact des changements climatiques (en séquestrant le carbone dans les milieux naturels) et à conserver les réserves d’eau potable. Un seul objectif, trois problèmes résolus du même coup ! Plus facile à dire qu’à faire, direz-vous. Et vous avez raison.
Ce n’est pas simple. Si protéger des superficies appréciables dans des secteurs de nature sauvage, par exemple dans le Nord québécois, est réaliste – à ce chapitre, en seulement deux décennies, le Québec est passé de cancre canadien à élève modèle, avec moins de 3 % d’aires protégées au tournant des années 2000 à 16,7 % en 2020 –, faire le même exercice plus au sud, en zone exploitée (par la foresterie ou l’agriculture) ou en zone urbaine, relève de l’exploit.
Il y a peu, le consensus mondial dégagé visait une cible de 17 % d’aires protégées, mais les choses changent et, vu l’ampleur des dommages provoqués par l’humain sur la biosphère, le nouvel objectif fixé par la communauté internationale est d’atteindre 30 % d’ici 2030. Ce pourcentage doit être modulé en fonction des réalités du territoire – il serait par exemple illusoire de penser protéger 30 % de l’île de Montréal, cependant on peut compenser en protégeant plus de superficies au nord, jusqu’à 40 ou 50 % –, mais il doit néanmoins permettre de conserver le patrimoine naturel dans toute sa diversité.
Ne retenez donc de cette chronique qu’un seul nombre, qu’une seule proportion de milieux naturels à protéger : 30 %. Si nous y arrivons, nous pourrons garantir la suite du monde pour ceux et celles qui nous succéderont sur cette bonne vieille Terre.
Michel Leboeuf
Écrivain, biologiste, directeur général de la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière