La nature… de notre humeur
Si je pouvais me projeter dans le passé, je reculerais à l’époque des grandes découvertes. Pour revivre les épopées des prestigieux explorateurs. Pour être plongé à la croisée de l’art, de l’histoire et des sciences en observant les cartographes dessiner le Nouveau Monde.
À l’ère du GPS et de l’électronique, la carte topographique occupe encore une place importante dans la planification de nos expéditions. Déplier les grands feuillets d’une carte permet de mieux envisager l’ampleur du terrain de jeu à visiter que sur un écran. L’étude d’une carte topo est magnétisante : c’est la prémisse et la promesse de l’aventure.
Géographie du cerveau
La neurologie est tout aussi fascinante. En effet, le cerveau est également divisé en zones. Chacune de ces zones est reliée à un phénomène neurologique spécifique. C’est à l’Allemand Korbinian Brodmann, vers 1850, qu’on doit les premières cartographies du cerveau, représenté en 52 zones. Grâce à lui, on connaît par exemple le cortex visuel, l’aire motrice, le cortex somatosensoriel et l’hippocampe, siège de la mémoire. Parallèlement, depuis l’avènement de la neuropsychiatrie, on connaît de mieux en mieux les itinéraires des neurones qui régissent l’humeur, le plaisir, l’anxiété ou les hallucinations (système limbique). Si les satellites ont permis de mettre en lumière les derniers recoins inexplorés du globe (s’il en reste), la cartographie du cerveau, quant à elle, est encore loin d’être maîtrisée !
Topographie des émotions
L’urbanisation, la déforestation, la construction de barrages hydroélectriques, l’érosion, le réchauffement climatique changent le tracé des cartes géographiques. Ces phénomènes, qu’ils soient naturels ou liés à l’activité humaine, modifient aussi notre cerveau.
Les données scientifiques démontrent de plus en plus que le lieu où nous vivons laisse une empreinte «neurale1». Notre milieu de vie module nos émotions et nos comportements. La vie urbaine est maintenant perçue comme un facteur de risque de divers problèmes psychiatriques. Si on la compare à la campagne, l’urbanisation est désormais associée à la dépression et aux troubles anxieux.
Le lien entre la bonne humeur et la nature peut nous sembler évident. Or, ce qui, intuitivement, semble aller de soi est aujourd’hui démontré par la science. Un doctorant de l’université Stanford2, en Californie, l’a prouvé en comparant les résultats de résonances magnétiques fonctionnelles chez des personnes ayant marché 90 minutes dans un espace vert (parc, arbres, calme), avec celles d’autres personnes ayant marché en ville (trottoirs, béton, bruits, voitures). Il en a conclu que ce contact avec la nature modifie une zone géographique du cerveau intimement liée à l’humeur
(région ventromédiane du cortex préfrontal). Ces modulations positives protégeraient en effet de la dépression en atténuant les ruminations négatives, les regrets et la culpabilité. D’autres chercheurs ont même démontré que la présence d’une fenêtre donnant sur un espace vert améliore la mémoire et l’attention !
Il y a un siècle, moins du cinquième de la population vivait en ville. Aujourd’hui, en Amérique du Nord, plus des trois quarts sont citadins. Continuons à profiter des avantages cognitifs et affectifs à jouer dehors. Puisque la réalité nous contraint bien souvent à travailler en ville, repensons l’aménagement urbain. Strions les cartes de nos villes de grands corridors verts3. Protégeons la Route verte. Utilisons ces espaces pour favoriser les transports actifs. En étant accessible tous les jours, l’« expérience nature » offrira à nos neurones des itinéraires moins déprimants !
1 Lambert, K.G., R.J. Nelson, et autres. « Brains in the City: Neurobiological Effects of Urbanization », novembre 2015.
2 Bratman, G.N., J.P. Hamilton, G.C. Daily. « The Impacts of Nature Experience on Human Cognitive Function and Mental Health », 2012.
Bratman, G.N., J.P. Hamilton, G.C. Daily, et autres. « Nature Experience Reduces Rumination and Subgenual Prefrontal Cortex Activation », 2015.
3 taylor, A.F., F.E. kuo et W.C. sullivan. « Views of Nature and Self-Discipline: Evidence from Inner City Children », 2002.