Je plane

Voler sans moteur, c’est suspendre le temps.


Photo: Claudine Dorval

J’aime voler. J’aime cette sensation de flotter, de quitter le plancher des vaches, de prendre de l’altitude – et de l’amplitude. Le temps que ça dure, on oublie la pesanteur et l’attraction terrestre. On se croit plume, volatile, astronaute. Mais, surtout, j’aime le sentiment d’abandon qui précède l’envolée ou la chute, ces quelques secondes qui s’étirent entre deux mondes.

En matière de vol libre, j’ai goûté à toutes les variations: parachute, chute libre, parapente, deltaplane… Le planeur, lui, restait un grand mystère. Comme pour beaucoup, il renvoyait pour moi à la fameuse scène du film L’affaire Thomas Crown (version 1968, bien sûr) quand Steve McQueen initie Faye Dunaway aux frissons du vol à voile. Pendant quelques minutes inoubliables, on surfe avec eux sur les courants d’air chaud, alors que Michel Legrand entonne The Windmills of Your Mind.

Alors quand Claudine Dorval, du Club de vol à voile de Québec, m’appelle pour me proposer un vol initiatique, j’embarque illico. Claudine est pilote depuis plusieurs années, mais détient aussi son brevet de pilotage spécifique de planeur. Entre elle et moi, ça clique instantanément; c’est une fille de plein air qui s’intéresse à des millions de choses, notamment à la musique sacrée (elle fait partie d’un chœur et se produit régulièrement sur scène!). Mais son truc, c’est le vol libre. «Cette sensation de liberté que tu as, en haut, dans ton petit avion léger, sans moteur, c’est unique!» dit cette passionnée tandis que nous approchons de l’aéroplane sur la piste du club de Saint-Raymond de Portneuf.

Au sol, le planeur a une allure déséquilibrée: sa cabine biplace minuscule (mieux vaut ne pas être corpulent pour pouvoir y tenir!) jure avec ses deux ailes démesurément longues (une vingtaine de mètres d’envergure), l’une posée à terre, l’autre légèrement orientée vers le haut. Sur terre, le planeur montre tous les signes d’une vocation contrariée.

Après une inspection minutieuse de l’extérieur et de l’intérieur de l’appareil, c’est le temps de s’y introduire, au ralenti. Pour faire un vol en planeur, il faut compter deux pilotes: un dans le planeur et un autre dans le petit avion à moteur qui va le tracter à une altitude d’environ 1000 pieds.

Nous voilà, Claudine et moi, logées dans la cabine, elle devant, moi derrière. Elle m’explique le maniement des commandes: anémomètre (vitesse du vent), altimètre (altitude), compas (direction). Le petit avion à moteur se positionne devant nous et avance jusqu’à tendre le câble qui nous relie l’un à l’autre. Après les consignes échangées par radio entre les deux pilotes, nous roulons sur la piste de décollage, à la traîne de l’appareil motorisé.

On est assis tellement bas dans un planeur qu’on sent chaque micro-
relief de la piste gazonnée et, à mesure qu’on prend de la vitesse, une subtile impression d’apesanteur nous saisit au ventre. En trois secondes, on sait d’instinct qu’on ne touche déjà plus le sol. Pour se rassurer, on jette un coup d’œil pour vérifier la tension du câble. Dans cet aéroplane ultra léger (une centaine de kilos), chaque secousse est amplifiée. Mieux vaut avoir l’estomac – et les nerfs – solide.

Mais c’est le moment du décrochage, en altitude, qui réserve la sensation la plus forte, quand le planeur est largué en plein ciel et ne peut plus désormais compter que sur lui-même pour prendre de l’altitude sur un courant d’air ascendant ou, au contraire, pour atterrir. «Chaque cinq secon­des, un pilote de planeur doit pouvoir identifier un lieu possible où atterrir, m’explique Claudine. Parce que des courants thermiques, ce n’est pas toujours garanti d’en trouver!»

Cette coupure du cordon ombilical qu’est le câble a créé un petit remous dans l’habitacle, mais surtout, a apporté un silence opaque. On peut dé­sormais déplier ses ailes, prendre la tangente et se croire le créateur du monde. Durant près d’une demi-heure, nous surferons ainsi sur les nappes invisibles, de thermique en thermique, jusqu’à en avoir le tournis. Une sorte d’ivresse qui durera bien au-delà du temps de vol. •


Photo: Claudine Dorval

REPÈRES
Pour un vol de familiarisation, il faut se présenter au Club de vol à voile de Québec durant la fin de semaine vers 10 h (quand le temps est clément). Les activités ont lieu de la mi-mai à la mi-octobre à Saint-Raymond de Portneuf, et de la mi-septembre à la mi-octobre à Baie-Saint-Paul. Tarif: 120 $ pour un vol de 20 à 30 minutes. On y donne également de la formation pour devenir pilote de planeur et on accepte aussi de nouveaux membres pilotes (cotisation annuelle requise). Le club fonctionne sur le principe du bénévolat, ce qui réduit considérablement les coûts d’exploitation.
418 337-4905 ou www.cvvq.net