Le trésor de Lotbinière
Il y a 300 ans, les vieilles forêts de plus de 200 ans recouvraient plus de 70 % du sud du Québec. Aujourd’hui, elles ont presque totalement disparu au profit de l’agriculture et de la foresterie. Il en reste cependant des vestiges à l’intérieur même de la forêt de la Seigneurie de Lotbinière, un joyau naturel qui se dévoile au rythme contemplatif de la marche.
De part et d’autre du sentier La petite boucle, le boisé ne paie pas de mine. Y poussent surtout de petits érables rouges, qui ont profité d’une coupe à blanc pour occuper tout l’espace disponible. Écologiquement parlant, c’est une zone d’une faible valeur biologique.
Mais en rejoignant le sentier des Trois-Fourches, quelques centaines de mètres plus loin, le paysage se transforme. Des arbres majestueux comme des érables à sucre, des tilleuls et des résineux de grande taille, dominent le corridor de la rivière du Chêne. Les branches de ces géants tamisent les rayons du soleil. Le mercure chute de quelques degrés. Par terre, d’épaisses mousses vertes colonisent les arbres morts couchés au sol.
Ces vestiges forestiers se découvrent en marchant dans le réseau de sentiers d’une vingtaine de kilomètres des Trois-Fourches, via le village de Leclercville, à une soixantaine de kilomètres des ponts de Québec. Ces pistes, dont l’accès est gratuit, nous ouvrent la porte d’un territoire unique, la forêt de la Seigneurie de Lotbinière (FSL). D’une superficie de 163 km2, cette dernière est la plus importante forêt publique des basses terres du Saint-Laurent. Elle fait partie de la MRC de Lotbinière et chevauche les municipalités de Leclercville, Saint-Édouard-de-Lotbinière, Saint-Janvier-de-Joly et Val-Alain.
Dans Lotbinière, quasi toutes les terres ont été privatisées depuis longtemps. Si cette forêt demeure encore du domaine public, c’est en raison de son histoire singulière qui remonte à l’époque de la Nouvelle-France. Concédée au seigneur de Lotbinière en 1693, la FSL restera la propriété de la même famille pendant 275 ans, qui l’ont exploitée de façon durable. D’ailleurs, un de ses propriétaires, Henri-Gustave Joly de Lotbinière (1829-1908), deviendra un défenseur des milieux naturels, remettant en question le mythe de la forêt inépuisable. Ce visionnaire est en quelque sorte le Richard Desjardins du XIXe siècle, dénonçant le pillage de nos terres publiques.
Le gouvernement du Québec exproprie la FSL en 1968 dans le but de couper l’herbe sous le pied au gouvernement fédéral, qui convoitait cette propriété en vue d’en faire une forêt expérimentale. Quelques années plus tard, celle-ci est pour ainsi dire toute livrée à la voracité des compagnies forestières. En moins d’un demi-siècle, les bûcherons rasent pratiquement tous les boisés d’origine. Par miracle, les coupes épargnent les corridors des trois principaux cours d’eau de la FSL, là où circulent maintenant les sentiers du secteur des Trois-Fourches, où se terrent les vieilles forêts spectaculaires comptant des pruches de plus de 300 ans.
Du relief dans la plaine
Bien que le relief de la FSL soit relativement plat, le sentier des Trois-Fourches – le tronçon principal qui fait 15,6 km – ne constitue pas une balade du dimanche. Son corridor de marche suit les méandres de la rivière du Chêne, un important cours d’eau de la région, en se promenant de haut en bas de terrasses alluviales, fruit de l’érosion du sol sablonneux et argileux. Résultat : un sentier en montagnes russes, presque entièrement riverain, qui renferme quelques portions assez pentues.
En cheminant sur le sentier, on croise des plages de sable un peu partout. En mai et juin, faites attention où vous mettez les pieds. Ce sont les sites de ponte de la tortue des bois, une espèce considérée comme vulnérable au Québec. Prière de ne pas déranger si vous apercevez ce reptile au plastron jaune. Les autres sentiers de la FLS font surtout office de points d’accès au tronçon principal. Le réseau permet de constater à quoi ressemblait ce territoire à l’époque de la Nouvelle-France, quand 70 % du sud du Québec étaient composés de forêts de plus de 200 ans.
Actuellement, cette zone forestière ne bénéficie d’aucune protection. Les militants des Amis de la forêt seigneuriale de Lotbinière, en collaboration avec la MRC de Lotbinière et plusieurs autres partenaires, tentent de préserver le peu qu’il reste. L’objectif est de créer une réserve de biodiversité avec un corridor de 11 km2 de part et d’autre de la rivière du Chêne et de ses principaux tributaires, préservant ainsi des témoins de la forêt d’antan.
Espérons que cette réserve de biodiversité dans Chaudière-Appalaches, une région nettement déficitaire en matière d’aires protégées, se concrétise le plus rapidement possible. Pour la survie de ces lieux séculaires. Et pour le plaisir de les admirer en rando.
En bref
Plus de 15 km de sentiers qui sillonnent la forêt de la Seigneurie de Lotbinière.
ATTRAIT MAJEUR
En parcourant ces sentiers, nous avons un aperçu de ce à quoi ressemblaient nos forêts à l’époque de la Nouvelle-France.
COUP DE CŒUR
Les Amis de la forêt seigneuriale de Lotbinière, qui travaillent d’arrache-pied depuis des années pour une gestion durable de ce territoire.