Massif du Sud
« Avant que t’arrives, j’étais vraiment accablé », lance Étienne Doyon, patrouilleur depuis 15 ans au Massif du Sud. Normal : ce jour-là, une couche fraîche de 45 cm de neige folle venait de tomber, grâce aux bons soins de la tempête de Pâques (encore elle). Mais plus tôt en matinée, l’unique remontée de la station a craché une pièce de moteur.
Et Étienne est presque en train de se liquéfier en réalisant qu’il ne profitera pas de ce pactole venu du ciel.
C’était sans compter l’arrivée inopinée d’un scribe de Ski et surf, qui devait absolument voir ce que ce Massif avait dans le ventre. Résultat : à défaut de skier, Étienne me tiendrait lieu de remontée en motoneige, et il pourrait à tout le moins savourer du regard ses pistes chéries.
On a cependant tôt fait de s’embourber dans ces véritables neiges mouvantes : plus moyen de progresser, pas même à mi-parcours… « Et si on demandait au BR-400 de nous déposer là-haut ? » de suggérer Étienne.
Là-haut, c’est à 915 m, c’est-à-dire le plus haut sommet skiable du Québec. Aussitôt dit, aussitôt fait : Étienne pourra skier, et moi, je m’éclaterai comme jamais je ne l’ai fait au Québec. « Non, mais tu te rends compte ? 45 cm ! Dans les bois ! » D’abord, une petite Cachetière (3) en guise de mise en jambes, puis tout de suite on passe aux choses sérieuses en s’attaquant aux pistes Délinquante (6), Septième Ciel (7) et Merveille (4). Toutes trois baptisées à juste titre, toutes trois dingues et dignes de figurer quelque part dans les Rocheuses, avec leur prodigieuse dénivellation et leurs murs qui entraînent une poussée d’adrénaline. « Quand les gars de la station ont vu le potentiel de cette montagne, ils l’ont bûchée à la main pendant huit ans, pour progressivement en arriver à ce que tu vois aujourd’hui », explique Étienne, les yeux givrés de plaisir.
Sur ces entrefaites, la pièce manquante du moteur est arrivée à la station, et la remontée s’est remise à fonctionner… pour des tests. « Bon, allez-y ; mais appelez-moi d’en haut pour que je sache si tout va bien. » La suite s’est avérée tout aussi délicieuse que l’entrée en matière. « Tu vois tous ces conifères ? demande Étienne. Ce sont les chandelles du gâteau ; bientôt, t’auras la cerise ! » Il n’a que trop raison, l’ami patrouilleur. Alors que nous progressons sur la piste Cathédrale (8), une ravissante vallée s’incline, formée par la jonction de deux flancs de montagne. Le tout, sous un tapis neigeux épais comme ça. « Le plus beau, c’est que des chutes de neige comme celle-là, on en a six ou sept par année, assure Étienne. Mais en avril, je n’ai jamais vu ça ! » Je me rappelais bien que le Massif du Sud jouissait d’un enneigement exceptionnel en raison de son microclimat. Mais à ce point… Idem pour le couvert forestier : purement sauvage et éminemment magnifique. Outre les conifères du sommet, la forêt du Massif du Sud sait se faire très variée et se décline en un incroyable délire d’essences propices aux délices des sens.
Après une demi-journée, je n’ai pas réussi à couvrir tout le territoire sous-boisé du Massif du Sud. Trop de pistes extrêmes (9 sur 10), trop peu de temps, trop de neige, pas assez de remontées.
Irai-je terminer ma journée au bar justement baptisé le Sous-Bois (et non le saoul boit)? Même pour un vin (sous) boisé, je n’ai plus la force. À-pics et épaisse poudreuse font que mes genoux semblent vouloir s’éjecter d’eux-mêmes et que mes quadriceps veulent migrer hors de mes cuisses. En ce Jeudi saint et avec une journée si bien remplie, j’en viens presque à dire : «Merci Seigneur, maintenant je crois un peu en vous. »