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Aventures automnales
Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.
Plein air en terre de Caïn
Avec ses rochers mal rabotés et ses sols infertiles, la Basse-Côte-Nord ne séduit pas du tout Jacques Cartier, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans son journal de bord, l’explorateur la décrit en 1534 comme la « terre de Caïn », référence biblique à un territoire inhospitalier. Un demi-millénaire plus tard, le Malouin aurait-il encore raison ?
À Rivière-Saint-Paul, à l’embouchure du cours d’eau éponyme, dans la baie des Esquimaux, des îles, des récifs et des presqu’îles déchiquettent le littoral nord-côtier. C’est un labyrinthe grandeur nature dans lequel Garland Nadeau, sympathique personnage qui semble tout droit sorti d’un film de Pierre Perrault, est comme un poisson dans l’eau.
Garland Nadeau est né dans le village de Rivière-Saint-Paul et me raconte, en me guidant à travers les îles dans son bateau à moteur, que dans sa jeunesse, les Nord-Côtiers passaient leurs étés sur les îles. « On chassait le phoque et on pêchait une multitude de poissons. C’est seulement à l’hiver qu’on retournait dans les villages », me dit-il. Certaines familles enterraient leurs morts sur les îles, démontrant leur attachement aux lieux. Quelques pierres tombales rappellent ce passé pas si lointain.
L’arrivée des bateaux de pêche modernes dans les années 1960 a mis fin à cette transhumance, sédentarisant les pêcheurs sur la terre ferme. Toutefois, les îles continuent d’hypnotiser les habitants de la municipalité de Bonne-Espérance, qui englobe le hameau de Middle Bay ainsi que les villages de Rivière-Saint-Paul et de Vieux-Fort. Pour eux, ce n’est pas la terre de Caïn, mais l’Éden. Ces gens recolonisent peu à peu les îles en y érigeant des refuges insulaires, accessibles uniquement par bateau.
Garland Nadeau croit que ces bouts de terre exposés à la rigueur du climat nord-côtier pourraient devenir une terre fertile à labourer pour le plein air. « Imagine que tu es en kayak. Tu peux accoster et camper n’importe où, sans demander la permission à personne. Tu peux marcher sur des sentiers de trappe qui parsèment les îles. Tu peux cueillir des petits fruits, pêcher, relaxer », énumère-t-il, sautant vite de son embarcation pour me montrer sa talle d’airelles. « Je viens en ramasser ici toutes les saisons », m’apprend-il.
Contemplant les lieux bien calé dans le fond de la chaloupe, je ne peux qu’acquiescer à son analyse : les îles protègent les kayakistes des dangers du golfe du Saint-Laurent ; les terres sans arbres n’imposent aucune limite aux explorateurs ; on peut bivouaquer et marcher n’importe où. Je m’imagine déjà en expédition, suivant les traces des premiers habitants du territoire : les Innus, les Inuits et les pêcheurs du Vieux-Continent à partir du XVIe siècle.
Garland Nadeau, aussi conseiller municipal de Bonne-Espérance, veut que ça bouge dans sa région, comme de nombreux résidents rencontrés. Et le plein air ferait partie de la solution. Toutefois, ces non-pratiquants du plein air ne savent pas trop comment attirer les gens qui ne se vêtissent pas en habit de ski-doo ou en tenue de camouflage. « On aimerait avoir tes conseils », me disent-ils constamment.
Car les coasters, comme se désignent eux-mêmes les résidents fortement anglophones de cette région du Québec, n’aiment que les machines. Les motoneiges, qui sont entreposées un peu partout dans les hautes herbes du mois de septembre, confirment cette évidence. Ici, la belle saison, c’est l’hiver, ses infinités de routes glacées et l’absence de mouches.
Actuellement, des kayakistes, il n’y en a à peu près pas dans le coin. Et pas non plus de randonneurs, de canoteurs, de skieurs ni de raquetteurs. Les amateurs de plein air se trouvent en terre inexploitée ou presque. Quelques sentiers par-ci par-là révèlent le potentiel de l’endroit, comme celui de l’Astragale grimpant sur le mont Parent, qui domine la municipalité de Blanc-Sablon, un 2,5 km au cœur d’une végétation digne de la toundra, ou encore celui grimpant la colline Granny, à Vieux-Fort.
Dans tous les azimuts
Cependant, extraire la quintessence du pays exige de sortir des sentiers battus. Sur le littoral, le courant du Labrador refroidit le climat, laissant toute la place à une végétation nordique. Les paysages sont ouverts. Résultat : sur terre, on peut aller partout à pied sans se perdre. Il suffit de se stationner au bord de la route 138 et de partir vers le nord, le sud, l’est ou l’ouest, comme le font les gens du coin avec leurs engins à essence. Pas besoin de sentiers aménagés par le « gouvernemaman », comme dirait l’autre. On fonce en territoire libre. Pas de danger de s’égarer, le détroit de Belle Isle demeure l’éternel point de repère.
C’est donc ce que j’ai fait, après avoir goûté à l’offre restreinte de sentiers, suivant la plupart du temps des sillons laissés par le passage de quatre roues. Bref, j’ai fait comme les gens de la place. On se crée en chemin à travers les tuckamores, ces forêts hyper denses de sapins baumiers miniatures, typiques de la côte atlantique. On s’enfonce les pieds dans les tourbières plus ou moins spongieuses et on foule les sommets rocailleux recouverts de lichen.
La randonnée est sportive, chaque foulée réservant des surprises, comme les pièges de mousse dans lesquels se coincent les pieds. On n’en revient jamais complètement indemne. Souliers et pantalons mouillés et piqûres d’insectes, même à la mi-septembre, sont immanquables. C’est le prix à payer si on veut entrer en contact avec l’esprit des lieux. Il suffit de repérer le paysage au plus grand potentiel de wowitude et d’y aller. Même chose en kayak sur l’onde.
J’avoue que piétiner la végétation vierge me fend le cœur. Je me console en me disant que c’est mille fois moins dommageable qu’en quad, comme le font les habitants du lieu, qui laissent partout des marques de leur passage. Patrick Auger, consultant pour Sans Trace Canada, me rassure : « Il est acceptable de marcher hors de la piste dans des endroits reculés où justement il n’y a pas de sentier. L’important est de tenter de ne pas créer de nouveaux sentiers. Donc si on marche à plusieurs dans un espace fragile, il faut le faire en éventail, et non les uns derrière les autres », m’explique-t-il. Message reçu.
Aux marcheurs, donc, d’explorer le territoire autrement. De révéler son potentiel plein air pour que naissent des sentiers où se réunira la gente randonneuse. La Côte-Nord n’est pas la terre de Caïn pour les amateurs de plein air, mais la corne d’abondance, à condition d’avoir l’esprit aventurier.
SUR LA ROUTE DE LA CHICOUTAI
Si une partie de la Basse-Côte-Nord n’est toujours pas reliée par la route, ce n’est pas le cas de son extrémité ouest. Après une éclipse de près de 400 km après le village de Kegaska, qui appartient à la municipalité de Côte-Nord-du-Golfe-du-Saint-Laurent, la route 138 réapparaît à l’est, au village de Vieux-Fort. Elle se fraye ensuite un chemin dans le roc jusqu’à Blanc-Sablon, 70 km plus loin, à la frontière du Québec et du Labrador.
Bien qu’accessible en avion, la Route de la chicoutai, toponyme non officiel attribué à cette portion de la 138 par Tourisme Côte-Nord, est atteignable par la route 500 du Labrador et par le traversier entre Terre-Neuve et le continent. Les adeptes de road trip y débarquent en nombre toujours croissant, tout comme ces énergumènes en véhicule aménagé. La Basse-Côte-Nord devient à la mode. Attention, les hébergements et les restaurants sont rares et affichent rapidement complet.
En bref
La découverte des paysages de la Route de la chicoutai, qui s’étend sur 70 km de la route 138, de Bonne-Espérance (village de Vieux-Fort) à Blanc-Sablon.
BONNES ADRESSES
-La Perle rare, un petit café de Blanc-Sablon.
-La Ferme de la baie du Saumon, à Bonne-Espérance, où on visite un élevage de pétoncles dans la baie Salmon. On y loue des kayaks pour explorer la rivière aux Saumons.
-L’auberge Whiteley, à Rivière-Saint-Paul, qui fait face à la baie.
ATTRAIT MAJEUR
Des paysages sauvages, inexploités, qui ressemblent aux Highlands écossaises.
COUP DE CŒUR
Les gens du coin, qui sont extrêmement serviables.
tourismecote-nord.com