Présenté par Tourisme Gaspésie
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Aventures automnales

Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.

Aingai, Qanuippit ? Trek aux monts Torngat

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Le lauréat de notre concours de journalisme au Nunavik, Rodrigo Henriquez, a exaucé un vieux rêve en explorant l’immensité sauvage des monts Torngat et en pagayant l’impétueuse Koroc. Il est revenu profondément marqué par cette expérience exceptionnelle. Compte rendu de son voyage au parc national

Latitude: 58° 39’ 59” N
Longitude: 64° 43’ 50” O

À plus de 50 degrés de latitude, notre petit avion survole la taïga, cette vaste forêt nordique qui s’étire à perte de vue. On a déjà passé la limite forestière (tree line) quand je me réveille au-dessus de la toundra, à la hauteur de Kuujjuaq, le long de la grande rivière Koksoak. Changement d’avion. Nous reprenons les airs pour Kangiqsualujjuaq (baptisé George River par les Blancs).

Éboulis, ancienne moraine de glacier, contrefort érodé, air frais, peu de vent, un nuage de moustiques se forme autour de six bipèdes qui regardent l’avion décoller. Six personnes qui ne se sont jamais vues avant le décollage pour Kangiqsualujjuaq sont garrochées dans l’immensité. Et devront passer la prochaine semaine les unes avec les autres, sur les flancs arides des monts Torngat.

Après un arrêt dans le bush au campement de la chute Korluktok, un décollage ahurissant sur la toundra laisse derrière nous un chantier de travailleurs parachevant la construction de refuges. Certains sont là depuis plus d’un mois. Jimmy, un Inuit de «Kangiq», repart avec nous. «Une semaine comme bear watcher sur le chantier, c’est le temps de s’en retourner!» dit-il avec un grand sourire.

Dans notre Twin Otter, le paysage nous prend à la gorge: étendue sauvage, territoire indompté de l’ours noir et de l’ours polaire, du caribou et du loup. Nous voilà entre l’Ungava et la mer du Labrador, dans la vallée de Kuururjuaq, le nez collé aux hublots, ne voulant rien manquer. D’un côté, la rivière Palmer rejoint le fjord Nachvak, puis de l’autre, la Koroc. On discerne une baie où flotte un iceberg. Juché très haut parmi tous les sommets, voici le mont Kauvvic (mont D’Iberville, 1646 m): le plus haut sommet du nord-est canadien, dont notre pilote fait un tour complet.

Mes yeux se gorgent de formes et de couleurs… puis je me rappelle Charles R. Tuttle qui, en 1885, dans l’ouvrage Our North Land: Being a Full Account of the Canadian North-West and Hudson’s Bay Route, a décrit son entrée dans le fjord Nachvak: «La scène est au-delà de toute description. Les roches sont entièrement nues, sauf ici et là, aux étages inférieurs, où la pente est graduelle, et où des parcelles de bruyère, des tourbières ou des végétaux rabougris de quelque sorte brisent la monotonie de leur couleur uniforme. Plus haut, près des nuages, au sommet des gigantesques précipices, nous pouvions apercevoir, ici et là, une couverture grossière et éparse de mousse, sans doute le fruit d’une croissance millénaire. Les sommets étaient recouverts en de nombreux endroits de neiges éternelles qui étincelaient et brillaient comme des couronnes de gloire sous l’effet du soleil matinal, dont les rayons perçaient à travers les nuages qui se dispersaient.»

Nos pieds s’apprêtent à fouler un des sols les plus vieux du monde; l’assise rocheuse compte près de 2,1 milliards d’années à cet endroit, sinon plus. D’une certaine manière, l’Histoire commence ici – et continue pour nous. L’avion produit un bruit alarmant au moment de se poser. France Brind’Amour, qui travaille dans le parc Kuururjuaq, me lance un coup d’œil pour voir si je ne suis pas trop effrayé. Ce qui me fait sourire… car je le suis!

Le parc national s’étend depuis la mer jusqu’aux sommets qui couronnent l’extrémité nord de la péninsule Québec-Labrador. Je suis là, enfin, et j’ai encore l’impression de rêver! Nous débarquons tous: Nathalie, Sasha, Bjarne, Joe, Darrel et moi. Nous déchargeons l’équipement à la hâte, quelques photos sont prises avec France, et l’avion redécolle. Tout ça n’a pris que quelques minutes. Nous installons les tentes, puis notre cher guide, Bjarne, nous réunit pour un petit briefing. Objectif numéro un: l’ascension du mont Kauvvic. Au menu du souper, ce sera du lyophilisé, comme à chaque repas de chaque jour que nous passerons en trek. Pour ce soir: bœuf Stroganoff ou pâtes à la bolognaise. J’hésite…
Pendant la semaine, nous nous relaierons chaque nuit pour monter la garde durant une heure et demie, histoire de nous assurer que Nanuk (l’ours polaire) ne nous surprenne pas pendant notre sommeil.

Seuls au monde… ou presque
Je me réveille pour monter la garde au petit matin. Lieux mythiques, chargés d’histoire et d’expériences personnelles. Une ourse et son ourson s’empiffrent d’airelles. Malgré ce que j’imaginais, il fait chaud. Je marche vers une source d’eau pure pour me rincer le visage et boire à grandes gorgées. Je suis encore endormi et quelque chose me dit que j’aurais dû prendre mon appareil photo. Je trébuche, et alors que je me retourne en m’étirant, un gros renard roux marche vers moi. À moins d’une dizaine de mètres de moi, il hume l’air et plisse les yeux comme pour me dire que je sens mauvais! Après quelques pas, il plonge ses deux pattes dans un trou puis y enfouit son museau pour sortir une souris, qu’il avale tout rond. Tout ça sous mes yeux éberlués!

Le vent change. Il vient de la mer. C’est l’heure des moustiques qui affluent en hordes sauvages et infatigables. Chacun de nous a son petit nuage personnel formé de centaines de vampires assoiffés de sang. Cette première journée est une acclimatation à la chaleur, aux moustiques et au poids du sac. À la grandeur sauvage des paysages aussi.

Nous suons à grosses gouttes, mais rien ne peut nous ôter le sourire. Nous traversons la rivière et ses berges sablonneuses où nous nous enfonçons jusqu’aux genoux, nous franchissons des dunes couvertes de colonies de linaigrettes en pleine floraison, escaladons des moraines frontales et empruntons les sentiers des caribous, lesquels en facilitent l’accès. Nous passerons plusieurs cônes alluviaux et deux longs contreforts érodés où la roche varie de volume et ralentit notre approche. Pour nous abreuver, nous n’avons qu’à plonger nos gourdes dans les nombreux cours d’eau. Notre horde de moustiques personnelle nous suit sans faiblir. Même en pleine jungle hondurienne, je n’ai pas vu ça!

Pendant les pauses, nos guides scrutent l’horizon pour déceler chaque  mouvement animal. Une tache noire? Peut-être un ours noir. Blanche? Plus sérieux; aucun de nous ne souhaite une telle rencontre. Quelques jours plus tôt, un ours polaire a grièvement blessé un trekkeur américain, l’arrachant de sa tente en pleine nuit. Ses pairs et le guide ont réussi à faire fuir l’animal en criant et en lançant des bear bangers. Cet incident est survenu à moins d’une centaine de kilomètres de notre position. Nous sommes sur la route de migration du carnivore le plus grand et le plus sauvage du monde terrestre. Pour me rassurer, je me raconte que la chaleur le ralentira…

La chaleur, ou les carabines de calibre .308 de Darrel, bear guide âgé de 21 ans, et de Joe, son collègue de 26 ans, mi-athlète, mi-chasseur d’ours qui a participé aux Arctic Winter Games. Deux jeunes Inuits débordant d’histoires de chasse, d’amour pour leur pays et de rires contagieux.

Même pas 2000 m et pourtant…
Le jour suivant, aussitôt le campement monté, nous prenons des forces et profitons du beau temps. Une journée relax avant l’ascension, pour nous gaver d’airelles, échanger sur nos vies et nos parcours, puis nous laver dans la rivière. Darrel et Joe nous tiennent en haleine quand ils racontent leur premier face-à-face avec un ours polaire. Un premier ours polaire, pour un Inuit, est un rite de passage, c’est l’entrée à l’âge adulte.

Le cri d’un aigle inonde la vallée, tandis que nos guides évoquent la visite, dans leurs rêves, de nains et de géants, porteurs de messages. Dans la mythologie inuite, les esprits jouent souvent des tours aux humains en adoptant l’apparence physique d’un animal.

Le parfum qui me hante depuis mon arrivée est celui du fameux thé du Labrador en fleurs, qui s’étend partout dans toute la vallée.
Nous commençons tôt le matin notre ascension pour atteindre le sommet. Une marche solide où nous troquons le lichen et les arbustes contre un flanc de montagne abrupt d’un kilomètre, tapissé de gros blocs instables. Le dénivelé de 45 degrés saturé de cailloux nous force à placer soigneusement nos pieds. L’air est toujours aussi chaud et saturé d’insectes piqueurs!

Darrel et moi prenons une longueur d’avance jusqu’à un petit plateau, où nous nous abreuvons. À voix basse, Darrel me fait signe: «Tuktuk!» Je cherche du regard puis, à quelques centaines de mètres, je vois un caribou occupé à brouter la mousse. À notre approche, l’animal nous regarde, méfiant, puis fait quelques bonds en sens contraire. Darrel me dit: «Put your arms like this and walk slowly back…» On rebrousse chemin avec les bras formant un U, et le tuktuk nous suit. Assez près pour que je le prenne en photo!

Plusieurs heures plus tard, sous le soleil, nous atteignons le début de la crête menant au sommet. De chaque côté de cette étroite arête, un vide de plusieurs centaines de mètres plonge vers le bas. Là, nous sommes à l’exacte frontière du Québec et du Labrador. Nous contemplons la mer de sommets escarpés et enneigés qui nous cerne, sans oublier de rester concentrés; le danger est réel. Nous mettrons une heure et demie à parcourir les 300 m restants. Le temps qui s’est consumé trop vite lors de l’ascension ne permettra pas à toute l’équipe d’atteindre la cime. Trois de nos chers coéquipiers vont nous laisser, à Sasha et moi, la chance d’escalader la paroi avec notre guide Bjarne. Avec nos casques, harnais et cordes, nous voilà partis.

Après une escalade de niveau V3 et V4, comportant un risque de chute mortelle, nous voici au cœur des glaciers actifs, des cirques glaciaires, des neiges persistantes et des moraines néoglaciaires. Nous sommes le point central de 360 degrés d’histoire géologique, climatique, biologique. Je m’imagine marcher sur l’islandis, un glacier où fusionnent la roche et la glace, explorant un monde caché sous la banquise.

Pendant ce temps, sur l’arête, Darrel et Joe ont construit un immense inukshuk, sûrement le plus haut du Québec! Sur le chemin de la descente, nous avons tous un sourire gravé sur le visage malgré la fatigue. Tandis que le soleil décline doucement, j’observe au loin les veines qui parcourent cette terre, toutes ces sources d’eau qui coulent vers l’Ungava. Le silence nous gagne peu à peu, au fil des pas répétés; la lumière vire au doré puis à l’indigo.

Retour sur la terre des hommes
La dernière nuit, c’est à moi que revient le premier quart de nuit pour veiller sur mes amis, de 23 h à 1 h du matin. Chacun est plongé dans un sommeil profond et les étoiles sortent une à une à mesure que la nuit inonde le ciel. Peu à peu,  une aqsarniit (aurore boréale) se dévoile: on dit que les esprits des ancêtres s’amusent en jouant au foot avec une tête de morse. Je préfère cette histoire à la version scientifique qui associe ce phénomène à un gaz trop chaud que le soleil doit expulser. Un genre d’immense pet que le soleil lâche et qui vient s’arrêter dans l’ionosphère! Une ullariaq anarpuuq (étoile filante) choisit ce moment pour laisser un voile scintillant dans le ciel. Le temps cesse d’exister; je me sens entre jour et nuit, entre faim et fatigue, entre songe et réalité. Je vais rêver ce soir-là que je suis couché dans la neige et que des renards roux et arctiques m’encerclent; l’un d’entre eux s’approche et me parle…

Le lendemain marque le retour. Encore les sentiers des caribous, la steppe arctique, les champs de blocs entrecoupés de tourbière. Les ruisseaux, les moustiques et le paysage de début du monde nous ont soudés, les histoires et les rires échangés nous ont unis et allègent notre foulée. Le vent n’a pas daigné se lever pour donner une trêve à l’attaque des moustiques. Nous arriverons très vite au point de rendez-vous, là ou l’avion nous avait laissés six jours plus tôt. À peine six jours et pourtant l’impression vive d’y avoir passé une sorte d’éternité…

Repères
Parcs du Nunavik propose plusieurs forfaits au départ de Montréal. On peut vivre l’expérience unique d’un trekking au sommet du mont D’Iberville ou d’une descente de la rivière Koroc en canot, ou encore, jumeler les deux aventures durant le même voyage. Les professionnels du parc se chargent du relais des guides et des bagages. D’autres forfaits sont également offerts (dont un en hiver ou même des activités sur mesure selon vos goûts).

Un séjour dans ce parc est une expérience exceptionnelle, qui ne s’adresse qu’à une clientèle préparée et à l’aise dans un milieu sauvage et parfois hostile. Contracter une assurance pour ce type d’expédition en région éloignée est obligatoire; Airmedic propose une couverture pour services médicaux aéroportés à un prix compétitif (airmedic.net).

Pour toute information complémentaire, consultez Parcs du Nunavik
(nunavikparks.ca), l’association touristique du Nunavik
(nunaviktourism.com) et First Air (firstair.ca)