Divine Milos
Cent vingt-cinq kilomètres de côtes, un tourisme peu développé, des plages désertes et des paysages insolites comme seule peut l’offrir une île volcanique. Se baigner dans un lagon bleu qui sent le soufre, entrer dans des grottes grandes comme des cathédrales, flâner dans les petits ports de pêche où le temps s’est arrêté… Sur Milos, les dieux font du kayak de mer et les mortels sont à pied !
Prendre son temps dans l’espace
Vous avez forcément entendu parler de Milos… On connaît sa Vénus hébergée au musée du Louvre, à Paris, mais le « s » de son nom a dû disparaître en même temps que les bras de la belle Aphrodite. Située dans les Cyclades, l’île de Milos a réussi à se faire oublier des touristes. Elle n’en a pas vraiment besoin, à vrai dire. Depuis des millénaires, c’est la richesse de ses entrailles qui assure la prospérité des hommes : autrefois l’obsidienne, plus récemment le soufre, le manganèse ou la bentonite. Le plus fort, c’est que ces mines n’ont pas réussi à altérer les paysages. Au contraire, elles participent souvent à sa beauté. Et quand l’homme ne creuse pas les trous, c’est la nature qui s’en charge. Le vent et la mer ont créé des centaines de grottes de toutes tailles. Entrez dans l’une d’elles et vous débouchez chaque fois dans un univers intérieur totalement singulier. Une concentration de beautés qui finit par laisser perplexe ! Pourquoi une telle surenchère de merveilles sur un si petit caillou ?
Une autre question vient à l’esprit quand on a le privilège de découvrir Milos à la pagaie : pourquoi n’est-elle pas plus connue des kayakistes ? Comme toutes les îles des Cyclades, elle subit les caprices d’un vent très fort rendant ses côtes peu fréquentables entre la mi-juin et la mi-septembre : le meltem. Le reste du temps, elle remplit toutes les conditions pour devenir une des destinations phares du kayak de mer. Imaginez : 71 plages dont beaucoup sont certes atteignables à pied, mais au prix d’un certain crapahut. Cent vingt-cinq kilomètres de côtes (70 si on oublie la baie) pour faire le tour de l’île en à peine cinq jours. Les plus musclés pourraient envisager la chose en une grosse journée, mais que le dieu Chronos aille au diable ! Chaque recoin offre son lot de surprises qu’il faut prendre le temps de découvrir. Ainsi, Milos se visite la bouche grande ouverte !
« Et encore, vous n’avez rien vu… »
Quand votre guide continue d’affirmer cela au bout de trois jours de navigation, vous commencez sérieusement à vous demander si tout cela est bien réel. La barre est pourtant placée très haut dès le premier jour. Embarquement à Mandrakia, un des plus jolis ports de l’île, situé plein nord. Désert… Seul un homme repeint le mur d’une maison. Le film n’a pas été tourné sur cette île toute blanche, mais la musique du Grand Bleu ne sortira plus de nos têtes. Au bord de l’eau, les syrmatas, petits garages à bateaux, ont été creusés dans la roche. On les retrouvera un peu partout autour de l’île, dans des lieux parfois inattendus.
À 10 minutes de ce village de carte postale, première baffe émotionnelle : Sarakiniko, fusion de mer et de paysages lunaires. Ici, la côte rocheuse est constituée de sable aggloméré d’une blancheur éclatante, façonné par les vents et l’eau. La petite anse qui entre à l’intérieur des terres est la plus photographiée de la mer Égée. Ici encore, l’endroit est aussi spectaculaire à voir à pied qu’en kayak. Mais cette chance ne durera pas : les autres merveilles se méritent à la pagaie. La balade se poursuit jusqu’au village de Pollonia, camp de base de notre périple. Les images chassent les autres et on a du mal à se souvenir de tous les paysages traversés en seulement 10 ou 15 km. Cependant, même les orgues basaltiques de Kalogeros ne peuvent faire oublier la beauté de Sarakiniko.
« Et vous n’avez encore rien vu ! » Ben voyons… En quittant son petit port, Pollonia semble nous dire « moi aussi je peux faire dans l’original ! ». Un rocher noir est posé sur une sorte de château de sable blanc. Nous n’en sommes plus à une particularité géologique près…
Passé le cap suivant, un immense bateau est amarré à proximité d’une mine tout aussi démesurée. Cette plaie dans le paysage est de courte durée. Bientôt, le feu d’artifice de couleurs va commencer avec le cap Kastana. Soudain, c’est l’explosion : du jaune, du rouge, des coulées de poudre blanche rappelant des couloirs d’avalanche. La côte sent le souffre, l’eau devient de plus en plus claire. Des rochers mauves font aussi leur apparition. Sur Milos, on pratique le tourisme géologique, et ça se comprend. Après le cap, une petite arche attire le pagayeur sur une plage de galets multicolores. Là, les vagues déferlent sur un superbe rocher mauve, rouge, orange et gris. Sous l’arche, la mer offre plus d’une demi-douzaine de nuances de bleu. N’en jetez plus ! Les yeux saturent, le cerveau aussi…
Toujours la même question en boucle : pourquoi tant de beautés sur un si petit caillou ? La journée s’achève dans le décor de cinéma d’une mine de soufre désaffectée : Paliorema. D’immenses génératrices occupent encore les bâtiments qui semblent avoir été désertés en quelques heures. Le vent chante comme les fantômes des centaines de mineurs qui ont perdu la vie sur l’île, et qui n’ont jamais été retrouvés.
Quand Sykia vous jette par terre
« On va maintenant passer aux choses sérieuses », nous sort un matin Raphaël, notre guide. Va falloir que ça cesse ! Comment raconter tout cela après ? Qui nous croira ? Heureusement que les photos sont là pour crédibiliser ce festival de superlatifs. Seuls les sites de Tsigrado et de Firiplaka, au sud, se sont refusés à nous par deux fois. On nous avait pourtant promis les eaux les plus bleues de l’île. Nous nous contenterons de sa plus belle houle et de la visite du volcan qui fume tout à côté.
La visite de Milos se terminera avec sa côte sud-ouest. Embarquement à Katergo. La piste que nous empruntons pour y arriver n’a jamais vu une remorque à kayaks, c’est certain ! La petite équipe bouche les trous avec des cailloux pour laisser passer le 4×4, sous le regard étonné des chèvres sauvages. Des accès plus simples existent, mais notre guide a hâte d’aller à l’essentiel.
Vingt minutes de pagayage. Le ciel voilé pèse un peu sur le moral. Et puis nous avons déjà admiré tant de merveilles que le cerveau refuse même la possibilité de voir plus beau. Cette humeur morose est abandonnée à l’entrée d’une petite grotte, aller simple pour le début d’une nouvelle surenchère. Cinquante mètres de semi-obscurité et de l’autre côté, la bouche s’ouvre toute seule à nouveau. Nous voilà entre deux parois géantes, comme deux falaises d’Étretat se feraient face, formant un canyon de 50 m de large. Partout, des grottes permettent de traverser la montagne. Les cavités sont parfois aussi grandes que des églises.
Au détour d’un rocher : Kleftiko, le site le plus célèbre de l’île, celui que les touristes viennent visiter en bateau express, avant de décamper vers une autre île des Cyclades. « Et encore, vous n’avez… » OK, Raphaël, on a compris. Le pire, c’est qu’il a raison… Encore !
Le passage du cap sud-ouest se fait en silence, comme pour retrouver nos esprits. Et puis, en quelques centaines de mètres, Milos sort le grand jeu, le bouquet final. D’abord des orgues basaltiques, et tout de suite derrière une immense falaise où cohabitent le soufre jaune, le kaolin blanc comme un iceberg et le basalte, le tout au-dessus d’une mer d’un bleu étrange. Les pagayeurs ne disent plus un mot. « Il reste une surprise ! » Plus loin, une petite grotte au pied d’une falaise. À l’intérieur, un lagon. Au plafond, un immense trou. Puis, dans la lumière diffuse, Sykia… et une larme qui a glissé sur ma joue.
Repères
Se rendre à Milos
L’île de Milos est desservie par bateau et par avion. Les traversiers rapides relient Athènes à Milos en trois heures et demie, les plus lents en sept heures. De petits avions desservent l’île plusieurs fois par jour (25 minutes d’Athènes).
La bonne période
Qui dit mer Égée dit « meltem », un vent très fort qui souffle entre la mi-juin et la mi-septembre. Il faudra donc éviter cette période qui empêche de découvrir toutes les parties de l’île. Milos en kayak de mer, c’est donc en basse saison que ça se passe.
Pourvoyeur local
Raphaël Geeraert, de la compagnie 1 bout du monde, est un grand spécialiste des Cyclades. Il propose des circuits multiactivités à plusieurs voyagistes. Sur l’île de Milos même, où son entreprise a récemment installé des infrastructures pour le kayak de mer, il offre des séjours à la carte. On peut y louer du matériel (10 kayaks de mer, mais aussi des kayaks gonflables et stand-up paddle, 4×4, remorque et tout le matériel nécessaire), mais aussi combiner les services d’un guide, l’hébergement et les repas. N’hésitez pas à le joindre pour toute information pour pratiquer les sports nautiques sur Milos, mais aussi dans les Cyclades où il propose de nombreux séjours organisés.
[email protected] ou 011 33 6 59 16 63 04
www.cycladeskayak.com
Facebook : Cyclades Kayak
Hébergement et restos
L’île de Milos propose divers types d’hébergement. Une chambre double coûte autour de 45 $ en basse saison et de 120 $ durant l’été. L’île dispose également d’un camping situé à Adamas. Un repas au restaurant revient à environ 15 $ par personne.
www.mymilos.gr