Présenté par Tourisme Gaspésie
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Aventures automnales

Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.

Le Népal autrement

Oser la randonnée dans le Dolpa, c’est ouvrir un coffre au trésor rempli de villages hors du temps, de monastères tibétains, de verts pâturages et de rivières turquoise.

Le lac Phoksumdo est si bleu qu’on croirait le ciel liquéfié. Perché à 3600 m d’altitude et cerné de montagnes dénudées, il scintille au soleil. Mais une légende l’assombrit : il aurait été formé par une jeune démone. Cette dernière aurait inondé la vallée et submergé un village au VIIIe siècle. Elle était l’une des trois filles d’une démone qui luttait contre l’enseignement de Bouddha au Tibet. C’est là que le grand maître du bouddhisme tibétain, Guru Rinpoché, a tué la mère. Mais ses filles se sont enfuies vers le sud, dans le Dolpa d’aujourd’hui. Il les a pourchassées et tuées.

C’est ce que raconte la légende, selon les écrits du lama Namgyal Rinpoché, érudit religieux du district de Dolpa. Les géologues, eux, diraient que le lac de 5 km2 résulte d’un colossal glissement de terrain qui a bloqué une rivière il y a quelque 20 000 ans.

Que cette région reculée à la frontière chinoise ait été le théâtre de massacres ou non, la tranquillité règne aujourd’hui au village de Ringmo, à l’extrémité sud du lac – bleu ou turquoise, selon son humeur. D’étroites ruelles séparent la quarantaine de maisons juxtaposées pour lutter contre le rude climat. Elles sont simples : murs de roches et d’argile, minuscules fenêtres en bois sculpté et toits plats en argile où sèche le grain et d’où se dressent des drapeaux de prières pour honorer les dieux. Ceux-ci claquent aussi au vent près du monastère bön, aux abords du lac. La culture traditionnelle tibétaine prévaut dans le nord du Dolpa, où se côtoient le bouddhisme et le bön, et s’y mêle l’hindouisme tout au sud.

Petit et grand à la fois

Le Dolpa s’étend entre le plateau du Tibet, d’où sont arrivés ses premiers habitants, et le massif du Dhaulagiri, qui bloque les pluies de la mousson. Il n’est pas plus grand que l’île d’Anticosti et son altitude varie de 1500 à 7381 m. Aucune route ne s’y rend ; il faut marcher et traverser de hauts cols, certains infranchissables l’hiver. Sa topographie et son aridité l’isolent au point où la modernité a peu influencé le mode de vie séculaire. Quelque 37 000 âmes y vivent, dont deux sur cinq sous le seuil de pauvreté.

Le nord du Dolpa, région dite Haut-Dolpa ou Dolpo, est décrit par la tradition tibétaine comme un « pays caché », soit un lieu refuge pour la religion. Quelque 5000 habitants y vivent en cultivant les rares et pauvres terres arables, en faisant de l’élevage et du commerce. Pendant des siècles, ils ont traversé l’Himalaya avec leurs caravanes de yaks jusqu’au Tibet afin d’échanger du sel contre des céréales et y nourrir leurs troupeaux durant l’hiver. L’invasion du Tibet par la Chine, dans les années 1950, et la fermeture subséquente des frontières, ainsi que l’importation du sel iodé indien, les ont forcés à se diversifier.

Bien que quelques explorateurs l’aient foulé plus tôt, le Dolpa n’est ouvert aux étrangers que depuis 1989 et 1992, selon les secteurs. Le livre Le léopard des neiges (1978), du naturaliste américain Peter Matthiessen, et le film Himalaya : l’enfance d’un chef (1999), du réalisateur français Éric Valli, tourné avec des villageois et leurs caravanes de yaks, ont fait découvrir son unicité.

La majorité des voyageurs se rend ici en avion : de Katmandou, la capitale du Népal, à Juphal, à quelques jours de marche du lac Phoksumdo. Notre guide népalais, un ami randonneur et moi avons choisi la route pour ensuite traverser le Dolpa à pied d’ouest en est – un trajet de 350 km. La route s’arrête à Jumla, localité à 2400 m d’altitude, à environ 40 km à l’ouest du Dolpa. À partir de Katmandou, il faut 42 heures d’autobus pour couvrir 850 km.

Un périple mémorable

La route cahoteuse au tracé vertigineux et panoramique martyrise les bus locaux. Des bus aux sièges – si vous en obtenez un – qui réveillent tous les maux, bondés de gens et où des bagages, des gros sacs ou des bidons de kérosène obstruent l’allée. La musique hindie joue à tue-tête, en boucle. Et on s’arrête pour mille raisons : un camion en panne bloque la route lessivée par la mousson, une crevaison, un changement de filtre à air, un face à face négocié avec un camion sur l’étroit chemin qui s’effrite et devient falaise, une autre crevaison, alouette !

Vient le jour du départ. Dehors, il fait humide. Des rizières, parmi les plus élevées du monde, cernent Jumla. Les femmes, les pieds dans l’eau boueuse, y arrachent les mauvaises herbes. Elles portent la kurta, une tunique retombant sur un ample pantalon. Un tilak rouge sur leur front indique qu’elles sont hindoues et mariées. Puis, les montagnes, arrondies et pelées, se resserrent sur le chemin de terre. Les cultures de riz cèdent leur place à des courtepointes dorées et vertes qui couvrent les collines : les habitants y cultivent en terrasses du blé, du millet, du maïs, de l’orge, du sarrasin ou encore des pommes de terre et des courges.

La vie coule dans les sentiers et aux alentours. Ici, une femme âgée, le visage raviné, ploie sous le fagot de bois porté sur son dos, sangle au front. Plus loin, des hommes transportent des marchandises dans leur panier tressé, dit doko. Là-bas, à une fontaine, des femmes lavent leurs cheveux de jais tandis que la lessive sèche, étendue dans les buissons.

Dans les villages, les enfants accourent, les mains jointes, pour nous saluer : « Namasté ! » Ils sourient et nous suivent, la morve au nez – où s’agglutinent les mouches –, crottés et en haillons. Peu d’étrangers visitent le Dolpa : environ 1500 randonneurs y vont chaque année contre 35 000 dans la région de l’Everest ou 100 000 dans celle de l’Annapurna, selon le ministère du Tourisme.

Se succèdent des forêts d’érables et de noyers, de chênes, de bouleaux et de rhododendrons ainsi que des prairies alpines où fleurissent en saison potentilles, myosotis ou gentianes.

Maure Lagna

Au bout d’un chemin en zigzag arrive le col Maure Lagna, à 3900 m. Il délimite la frontière du Dolpa. Se profilent à la ronde des crêtes enneigées et des montagnes à pic coiffées de fine laine verte où s’accrochent, plus bas, des pins, des sapins et des cèdres de l’Himalaya (Cedrus deodara).

À Kaigaon, le propriétaire du terrain où on installe notre tente est un revendeur de yarsagumba, une drôle de bête qui fait courir les populations. « Herbe d’été, insecte d’hiver », cette mince tige jaune et brun résulte d’un champignon qui se développe sur une chenille, s’enfonce dans son corps jusqu’à la tuer et pousse sur sa tête. Utilisé depuis des siècles dans la médecine traditionnelle tibétaine ou chinoise pour accroître l’énergie, renforcer les poumons ou stimuler l’élimination rénale, il serait aussi aphrodisiaque. Ce Viagra bio, qui se cache dans l’herbe himalayenne à plus ou moins 4000 m, du Ladakh au Bhoutan et du Népal au Tibet, vaut désormais de l’or.

D’avril à juin, des habitants désertent leurs villages – enfants inclus, forçant la fermeture d’écoles – pour en dénicher. Notre hôte dit payer de 3 $ à 12 $ par yarsagumba et les revendre en Chine. Une femme, croisée plus loin à 4900 m, me confiera en récolter environ 5 par jour, parfois 20. On comprend l’intérêt, avec un PIB par habitant d’environ 950 $. Un kilo de yarsagumba, en 2014, se vendait jusqu’à 15 000 $, selon The Kathmandu Post.

Avec deux yarsagumba reçus en cadeau – est-ce que ça aide à franchir les cols à 5400 m ? –, on sillonne une forêt où une espèce de lichen (Usnea) pend aux arbres, telles de longues barbes de vieillards. Au col Balangra (3800 m) se pointe l’imposant massif du Dhaulagiri, qui commande le respect.

« En ville »

C’est avec une centaine de kilomètres dans le corps qu’on passe Juphal et qu’on arrive à Dunai (2140 m), centre urbain du Dolpa avec ses 2600 habitants. On y achète des vivres : beurre d’arachide, confitures, nouilles instantanées, biscuits, etc. On s’empiffre de momos dans un boui-boui. Les ados déambulent dans la rue en jeans avec des chandails à l’effigie d’Angry Birds.

D’ici, le sentier bifurque vers le nord jusqu’au lac Phoksumdo. Il longe la tumultueuse rivière Suli qui, turquoise le matin, vire au beige durant la journée à cause des sédiments. Il pénètre dans le parc national Shey Phoksundo, le plus grand du Népal avec ses 3555 km2 (Phoksumdo avec un « m » est le nom du lac, et Phoksundo avec un « n » est celui du parc, résultat d’une erreur de traduction népalaise). Fondé en 1984, celui-ci protège l’habitat du léopard des neiges et du grand bharal, espèces menacées, et des lieux saints.

Le sentier, chaos de rocaille grise et de poussière ocre, grimpe à l’assaut de la montagne de granite que ne couvrent plus qu’une prairie alpine, des genévriers et des arbustes caragana dont les piquants s’accrochent à nos pantalons. Au loin jaillit la plus haute cascade du Népal (167 m), celle du lac Phoksumdo.

Nous accueillent au village de Ringmo des chortens dont les trois couleurs – le rouge, le blanc (ou jaune), le gris (ou bleu) –, qui reviennent sans cesse, parent aussi les monastères et certaines maisons. Elles symbolisent les rigsum gönpo, trois bodhisattvas qui possèdent trois vertus : la sagesse, la compassion et l’énergie. Ils protègent les villages des mauvais esprits.

Devant le lac, on se rappelle la scène à glacer le sang du film Himalaya, d’Éric Valli : le vertigineux chemin des démons qu’emprunte la caravane de yaks cède sous le poids d’une bête qui fait une chute mortelle dans l’eau. Les résidents du Dolpa tentent aujourd’hui leur chance avec le yarsagumba, ce qui explique la tranquillité à Ringmo !

Le sentier oscille désormais entre 4000 et 5400 m d’altitude. Il s’enfonce dans un monde toujours plus minéral où on se salue désormais en tibétain : « Tashi delek ! » Ici et là, on longe des murs de mani, soit des pierres gravées de mantras, ce qui équivaut à les réciter. Voilà le col Bagala, jalonné de cairns et de centaines de drapeaux de prières. C’est le premier de quatre cols à plus de 5000 m sur notre itinéraire. Tout autour, un océan de crêtes, nu et sauvage.

Nos bottes avalent des kilomètres de roches et il n’est pas rare de voir des Népalais à quatre pattes dans la prairie, une courte pioche à la main, en quête de yarsagumpa.

Tête de moine

À Dho Tarap, le monastère Ribo Bhumpa surplombe le village. À l’intérieur, une statue de Guru Rinpoché avec ses grands yeux et sa petite moustache domine les fresques bönpo et bouddhistes ravagées par le temps. À côté, un chorten particulier se dresse : il contiendrait les restes d’une des trois filles démoniaques tuées par le grand maître ! Celui-ci a aussi béni une montagne non loin, où se déplacent des pèlerins tous les 12 ans.

On accède au Haut-Dolpa à une vitesse de tortue en franchissant les 5400 m du col Chanla. De part et d’autre, une immensité désertique aux teintes d’ocre, de gris et de brun.

Pour la nuit, on s’installe dans un campement de semi-nomades. Ces aînés, ces femmes et ces enfants quittent la vallée au printemps pour faire paître leurs yaks, moutons, chèvres ou chevaux dans l’herbe plus abondante des alpages. Une grand-mère accepte de cuisiner pour nous – dal baht (riz et lentilles) ou tsampa (farine d’orge grillée) – sous sa tente, un chapiteau par rapport à la nôtre. On mange assis sur de vieilles couvertures posées à même la terre battue. Le minuscule poêle peine à réchauffer l’espace encombré de caisses de Lhasa Beer et de gros sacs.

Se savoure l’ivresse de la liberté dans un environnement indompté jusqu’au pittoresque village de Chharka. Ici, des femmes barattent le thé au beurre dans une sorte de carquois en bois, un dhongmo, filent la laine de yak ou tissent des vêtements. Elles portent la robe marron ou noire, typiquement tibétaine, et le tablier de laine aux rayures colorées qui indique qu’elles sont mariées. Mais leurs sandales en plastique made in China et leurs polars North Face contrefaits, ou encore des jus en contenant cartonné et des panneaux solaires trahissent l’époque !

À notre dernier col de plus de 5000 m, Tuchela, on quitte le Dolpo pour le Mustang. On descend dans une gorge où rugit une rivière grise. Un glissement de terrain a emporté une section du sentier minuscule et escarpé : vaut mieux être prudent.

Plus qu’un col et nous voici à Jomsom, dans la région de l’Annapurna : jeeps, autobus, aéroport, électricité, internet, douche d’eau chaude, restaurants – pizzas, pâtes, crêpes, café au lait – et une pléthore de touristes nous sortent brusquement du Dolpa et de son « pays caché », où nous n’avons croisé qu’un seul étranger en trois semaines !

Tiens, le yarsagumpa reçu en cadeau, au fond de mon sac. Est-ce que ça aide à franchir les cols à 5400 m ?

Et le séisme de 2015 ?

Le violent séisme qui a secoué le Népal en avril 2015 et tué près de 9000 personnes a frappé certaines régions de randonnée. Il a particulièrement éprouvé le parc national de Langtang, par exemple, qui se remet depuis. Cela dit, le Dolpa a pour ainsi dire été épargné. Selon la firme d’ingénierie Miyamoto International, qui a évalué les dégâts pour le gouvernement quatre mois après le séisme, la région de l’Annapurna, adjacente au Dolpa, n’a eu que 3 % d’édifices endommagés, tandis qu’à l’Everest, 83 % des édifices le long des 60 km du sentier pour se rendre au camp de base demeuraient sécuritaires, même si le sentier devait être réparé par endroits.

Bien que la destruction était loin d’être uniforme, tout le pays a souffert de la chute du tourisme. Il n’a fallu que peu de temps après le séisme pour que le Népal invite les visiteurs à revenir et que plusieurs médias se déplacent afin de les rassurer sur l’état de certains sites. Il y a certes encore des maisons et des sites patrimoniaux en reconstruction – et le gouvernement peine à rencontrer ses promesses pour aider ses citoyens –, mais l’optimisme règne, trait de caractère des Népalais qui n’en sont pas à leur premier drame.

REPÈRES

Népal

Quand y aller

D’avril à novembre. Le Dolpa est à l’écart de la mousson (juin-septembre), bien que le ciel s’ennuage. Les pluies plus au sud peuvent cependant perturber le transport aérien ; les mois d’avril, mai, septembre et octobre réservent ainsi moins de surprises. Pour le Haut-Dolpa, le temps est plus chaud et les hauts cols plus accessibles de juin à octobre.

Comment s’y rendre

Il n’y a pas de route qui se rend au Dolpa. Il faut prendre l’avion de Katmandou jusqu’à Juphal ou alors prendre l’avion ou la route jusqu’à Jumla (à l’ouest) ou Jomsom (à l’est), dans les districts voisins. Certains voyagistes comme Allibert Trekking ont choisi, pour des raisons de sécurité et d’assurances, de ne plus emprunter les vols intérieurs au Népal, ce qui n’est pas le cas des Karavaniers qui offrent à l’occasion un trek au Dolpo. Il est aussi possible de s’organiser facilement avec une agence népalaise.

Bien s’équiper

Cette traversée de 350 km a été réalisée en partie en autonomie, en se ravitaillant dans des villages et en mangeant parfois chez l’habitant. Prévoir tente, vêtements chauds pour séjourner en altitude, réchaud, etc. Les agences de trekking offrent généralement soit une boucle dans le Bas-Dolpa, soit une boucle dans le Haut-Dolpa, à partir de Juphal, et s’occupent de toute la logistique ainsi que du transport du matériel pour leurs clients.

Permis

Le Dolpa est le plus grand district du Népal (7889 km2) ; un ou des permis sont nécessaires pour y randonner. Celui qui donne accès au Bas-Dolpa coûte 10 $ US par semaine. Celui pour le Haut-Dolpa (selon les frontières des comités de développement villageois de Bhijer, Saldang, Tinje et Chharka) est de 500 $ US pour 10 jours et 50 $ US par jour supplémentaire. Pour ce qui est du parc national Shey Phoksundo, le tarif est d’environ 30 $ US. Une agence népalaise peut s’occuper des formalités ; il faut être au moins deux personnes, accompagnées d’un guide. Les frais varient selon le parcours et les services choisis.

Pour en savoir plus

• Dolpo: The Hidden Land, Ribo Bhumpa Gonpa, Dolpo Amchi Namgyal Rinpoché, 2005.
• High Frontiers: Dolpo and the Changing World of Himalayan Pastoralists, de Kenneth Michael Bauer, Columbia University Press, 2004.
• Le léopard des neiges, de Peter Matthiessen, Gallimard, 1983 (traduction française).

Galerie

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