Mémoires Cubaines

Rouler dans la province de Holguín, c’est cheminer dans les méandres de l’Histoire, entre conquête espagnole et révolution cubaine.

Oui, la partie orientale de l’île a bel et bien ses plages de sable blanc1,  ses cocotiers et son climat tropical. Ses grands hôtels aussi. Mais si on regarde de plus près, les traces de l’Histoire sont partout dans la province montagneuse de Holguín, qui étire langoureusement ses pentes vers l’Atlantique. Suffit juste de regarder. Gravées à même les baies, comme celle de Gibara, qui voit le destin du monde chavirer un beau matin d’octobre 1492 quand Christophe Colomb débarque avec armes et bagages de ses caravelles espagnoles. «Le pays le plus beau que l’homme n’ait jamais vu.» Ainsi décrit-il cette terre vallonnée et verdoyante qu’il baptise Juana, en l’honneur de Don Juan, fils des rois catholiques d’Espagne. Ses beautés naturelles se déploient sous ses yeux: la forêt tropicale, la mangrove, la palmeraie, et une multitude d’oiseaux extravagants à voir et à entendre.

Les 400 km de rivages de sable blanc gardent en mémoire la rencontre de deux cultures, pacifiste d’abord, guerrière ensuite, alors que les Taïnos2  réalisent peu à peu les cupides intentions des nouveaux venus. Trop tard, l’Histoire est en marche; rien ne peut désormais étancher leur soif d’or.

Ça tombe bien, c’est dans la province de Holguín que se trouve la «capitale archéologique» du pays: Banes. S’y rendre à vélo, depuis Holguín, ou Playa Blanca, au nord, est un jeu d’enfant: les routes sont belles, peu passantes – vous croiserez  davantage de charrettes tractées par des bœufs que d’autos! –, et l’état du bitume y est bien supérieur à celui du Québec… En prime, on vous enverra plus d’un salut de la main en guise d’encouragement.

Le musée de Banes y recense quelque 22 000 objets de pierre, os, coquillages ou céramique de l’époque précolombienne et clame haut et fort les origines amérindiennes des Cubains. À Bariay, sur la côte, un amphithéâtre naturel a été classé monument national, et un parc (Cristobal Colon) y a même été créé pour rendre un hommage durable à la «trans-ethnisation de l’humanité», selon l’expression de l’archéologue et révolutionnaire cubain Antonio Núñez Jiménez. La rencontre des deux cultures, ibérique et amérindienne, y est célébrée chaque 28 octobre.

À un jet de pierre, on roulera quelques minutes supplémentaires pour voir le site archéologique Chorro de Maita et les traces d’occupation des Taïnos. Ces allers-retours risquent fort de faire grimper votre température et votre rythme cardiaque – d’autant que la route ne manque pas de jolis dénivelés –, mais vous trouverez quelques palmiers royaux pour vous abriter du soleil sur le bord du chemin.

Vélo de ville à Holguín
Pas de séjour dans la province sans une balade à vélo dans sa capitale,
Holguín. Voilà une petite ville coloniale affairée avec des maisons d’architecture néo-classique espagnole des XVIIIe et XIXe siècles, quelques bâtiments Art déco et… beaucoup d’espaces verts.

Baptisée «la ville des parcs», Holguín est à une trentaine de kilomètres de Gibara, sur la côte atlantique. La ville a été baptisée du nom de son fondateur, García de Holguín, en 1545. Pour vous y rendre, vous prendrez soin de demeurer sur l’accotement de la route – plus passante, celle-ci. Gageons que vous aurez l’occasion d’admirer au passage les voitures américaines des années 1950 que les Cubains, et leur remarquable sens de la débrouille, réussissent à maintenir en état! Comme Luis, qui fait le taxi dans son cabriolet Ford 1957 bleu poudre pour arrondir ses fins de mois. Une nécessité surtout depuis le passage de l’ouragan Sandy, en 2012… Comme beaucoup d’autres petits agriculteurs locaux, il a vu ses biens partir au vent: le toit de sa maison, et ses plantations de bananes et d’avocats.

Se déplacer à vélo dans la capitale de la province impose de s’adapter au trafic. Il faut naviguer adroitement en se frayant un passage entre autos, motos, charrettes à cheval et rickshaws. Mais, pour y parvenir, il faudra s’en remettre avec confiance à la courtoisie des chauffeurs cubains et au soin attentif qu’ils mettront à vous éviter.

Après cette expérience, parions que vous aurez le goût d’une pause dans un des parcs d’où vous observerez les deux collines environnantes: Cerro de Mayabe et Loma De La Cruz, là même où le frère Francisco Antonio de Alegría planta une croix en 1790 et en fit, du même coup, un haut lieu de pèlerinage où, aujourd’hui encore, on gravit plusieurs fois les 458 marches qui y mènent.

Holguín, centre religieux, mais surtout politique si l’on en croit la brochette de personnalités qui y ont vu le jour, comme Calixto García Iñiguez, qui a donné son nom au parc central de la ville et qui a mené, en son temps, les guer­res d’indépendance pour libérer Cuba de la domination espagnole, indépendance signée en 1902. Après 10 ans de guerre avortée3, voilà que le pays s’affranchit enfin de l’Espagne, mais tombe sous l’hégémonie amé­ricaine. Sur la Plaza De La Revólucion de Holguín, un panneau monumental dédié à Calixto García rapporte quelques vers du poète et père du Parti révolutionnaire cubain, José Martí, martyr de la révolution et héros national mort au combat en 1895.

Tant qu’à être à Holguín, faites un saut à son petit musée d’histoire, vous y trouverez un condensé de plusieurs siècles de luttes et d’oppression, suivis de campagnes d’alphabétisation populaire et de culture musicale de sang-mêlé.

Plongée dans le mythe
Enfourchez votre monture et prenez la direction d’El Níspero, à l’est de Holguín, et d’El Retrete. La route ondule paresseusement au creux d’un paysage tropical dense ponctué de petites fermes familiales. Les Mogotes, ces typiques collines abruptes au sommet plat – comme le pic Cristal (1231 m) –, cernées de forêts tropicales et de plantations de café, composent une voie royale pour le cycliste qui aime bien regarder sur le côté et lâcher un peu son cyclomètre…

En une quarantaine de kilomètres, il y verra le Cuba rural, travaillant et joyeux. Avec des convictions politiques encore tellement vives que son peuple en fait des murales sur ses maisons et des jardins à la gloire des révolutionnaires. Les héros «divinisés» de la révolution racontent l’histoire cubaine comme les épisodes d’une épopée mythologique. «Che est le Christ, Fidel est le leader», a-t-on l’habitude de dire à Cuba, surtout dans la province de Holguín, d’où le second est originaire. Fidel Castro, le (toujours) chef adoré par son peuple, vient de cette province tout comme son ennemi juré, le dictateur pro-américain Batista, qu’il mit six ans à renverser après le coup d’État de 1952. Avec son frère Raúl, mais surtout avec Che Guevara, le leader de la révolution a placé l’indépendance du pays à l’aulne de l’égalité sociale, faisant de la santé et de l’éducation le socle du progrès national.
Le cycliste qui prend le temps de «rouler Cuba» sentira à coup sûr la présence des figures légendaires qui composent les strates de son histoire contrariée.

L’imaginaire collectif est encore hanté par les fantômes errants de son passé. À n’en pas douter, qui prend le temps de cheminer au rythme du vélo le percevra nettement. Des perceptions qui risquent fort de se cogner le nez aux frontières opaques d’un «tout compris».•

REPÈRES
Quand voyager: pour un voyage de cyclotourisme à Cuba, l’hiver, plus sec, est plus approprié. Aucun vaccin exigé.

Formalités: un visa (de 30 jours maximum) est nécessaire; on peut se le procurer à l’aéroport. L’aéroport Frank País dessert la province de Holguín (vols directs depuis Montréal).

Hébergement: on peut séjourner en hôtel et rayonner à vélo, ou opter pour les casas particulares, ces gîtes locaux parfaits pour un contact privilégié avec les Cubains. On peut même profiter parfois de la cuisine familiale. Compter environ 25 $ la nuit. Pour faire le tour de Cuba, il faut prévoir environ trois semaines. Pour la province de Holguín, une semaine peut suffire.

Devise: la monnaie couramment utilisée par les touristes est le peso convertible (qu’on échange dans les banques contre des dollars); les Cubains, eux, n’y ont pas accès et leur peso est dévalué par rapport au peso convertible. Les cartes de crédit canadiennes sont acceptées partout.

Information touristique: www.gocuba.ca