200 numéros plus tard

L’année 1989 est charnière dans l’histoire contemporaine. Cette année-là, le mur de Berlin tombe, symbole de la guerre froide opposant les États-Unis et l’Union soviétique. L’Armée rouge quitte, la queue entre les jambes, l’Afghanistan. L’armée chinoise réprime dans le sang la manifestation de la place Tian’anmen. Les Roumains renversent le dictateur communiste Nicolae Ceauşescu.

Au Québec, un orage solaire provoque une immense panne de courant à plusieurs endroits, les électeurs portent les libéraux de Robert Bourassa au pouvoir et Mitsou fait danser toute la Belle Province sur Bye bye mon cowboy. Ce tube souffle un vent de fraîcheur sur le Québec, tout comme la publication de Géo Plein Air, qui s’appelle alors Plein Air, tout simplement.

Ce premier numéro donne le ton. Ne comptant que 36 pages, Plein Air clame sa mission dans son éditorial : « Le plein air, c’est plus que des activités. C’est aussi une mentalité, une attitude face à la vie. Le magazine vise à en être le témoin actif. Sa mission : informer et intéresser. » Trois décennies plus tard, notre mission demeure la même. Nous continuons à partager nos passions.

Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Les animaux ne sont plus les seuls à fréquenter nos espaces naturels. Le plein air, autrefois une activité de niche, est devenu grand public. Le nombre de destinations a explosé, celui des infrastructures également. Le plein air a le vent dans les voiles, tout comme son magazine qui continue à vous informer, contre vents et marées, sur les dernières tendances.

Il en a fait du chemin, le plein air, de 1989 à 2022. Nous profitons de ce numéro spécial pour faire le tour du sujet avec des interlocuteurs qui possèdent tout un bagage.

 

Gilles Labre, président fondateur et copropriétaire de Boutique Courir

Souvenir de 1989.

Je me souviens de la longueur démesurée des bâtons en pas de patin, technique en émergence à l’époque. Ces bâtons arrivaient au front des skieurs alors qu’aujourd’hui, ils arrivent plus ou moins entre la lèvre inférieure et le menton, soit 89 % de la grandeur du skieur.

Ce qui a changé depuis.

En ski de fond, on assiste à la standardisation des systèmes de fixations avec la compatibilité NNN et Prolink, à l’apparition des skis sans fartage, avec la prépondérance des skis à peau, et à la multiplication des catégories de skis.

Dans la boule de cristal.

Je vois la disparition probable des skis fartables, sauf pour les skis de performance, et un raccourcissement de la durée de la saison dans le sud du Québec en raison du réchauffement climatique.

Jean-Luc Caillaud, directeur général de Rando Québec

Souvenir de 1989.

Je travaillais avec des jeunes défavorisés dont les repères n’étaient que le milieu urbain des banlieues de Paris. J’utilisais la rando en montagne pour leur faire découvrir toutes les beautés naturelles, mais également tout le contexte aventure que représentait une randonnée de plusieurs jours.

Ce qui a changé depuis.

La mondialisation du voyage, d’où découle une frénésie de consommation en loisirs énergivores. La COVID, en limitant nos déplacements, nous a reconnectés avec l’utilisation de nos jambes, pour voyager. Le plein air, simple, retrouve quelques couleurs.

Dans la boule de cristal.

Les activités douces telles que la randonnée seront reconnues par le milieu de la santé comme moyen de prévention et de guérison des problèmes de santé physique et mentale. Des professionnels de la santé pourraient prescrire de la randonnée pédestre.

Richard Rémy, fondateur et guide de l’agence de voyages Karavaniers

Souvenir de 1989. 

Me doutant que je ne persévérerais pas très longtemps dans ma carrière d’ingénieur, je perfectionnais mes technique d’escalade, de ski et de camping d’hiver. Allais-je devenir un « vrai » guide de haute montagne ou plutôt un « grand voyageur » ? Je choisirai la deuxième option.

Ce qui a changé depuis.

En tant que guide, l’accès au téléphone en tout temps a fait en sorte que les gens ne décrochent plus. Ils voyagent davantage, mais moins bien. Nous essayons de les emmener là où il n’y a pas encore de réseaux. Et les gens réalisent à quel point ça fait du bien.

Dans la boule de cristal.

J’espère que nos voyageurs accepteront de voyager plus longuement mais moins souvent. J’imagine à peine ce que le métavers, ce genre de doublure virtuelle du monde physique, pourrait faire, mais je n’y vois rien de bon.

Jacques Sennéchael, rédacteur en chef de Vélo Mag

Souvenir de 1989.

À cette époque, j’ai participé à un événement de vélo de montagne, le Vélogan, qui se déroulait à Saint-Octave-de-l’Avenir, village fermé dans les années 1970 qui rouvrait pour l’occasion. But de l’opération : découvrir les Chic-Chocs en vélo de montagne et faire la fête. Le nec plus ultra était de grimper au sommet du mont Logan à vélo. J’étais fasciné autant par les montagnes que par le fait de rouler sur un pan de l’histoire du Québec.

Ce qui a changé depuis.

En fait, ce n’est pas un changement, mais plutôt une confirmation. En 2022, les cyclistes ont de plus en plus le goût d’explorer. Il y a l’explosion du vélo de gravelle, suivant l’idée géniale d’emprunter les chemins de traverse ; le territoire du Québec s’y prête tellement bien ! Parallèlement, le vélo de montagne se développe lui aussi avec cette même envie d’aller jouer dans le bois.

Dans la boule de cristal.

Un peu d’utopie dans ce monde de brutes… Le vélo à assistance électrique prendra réellement sa place dans le cocktail transport. Il désengorgera la ville et permettra à des gens de tous les âges de continuer à pédaler.

Jean-Benoît Côté, gestionnaire d’équipe et expert du camping à La Cordée

Souvenir de 1989.

À 14 ans, ce fut l’heure de mon introduction au camping en tant qu’éclaireur dans la 278e unité scoute de la paroisse Saint-Maxime. J’étais très fier de mes premières nuits sous la tente prospecteur, avec mon lit brêlé de mes mains.

Ce qui a changé depuis.

Nous sommes maintenant à l’ère de la légèreté et du confort : matelas de plus de 7 cm d’épaisseur qui prend moins d’espace qu’une bouteille Nalgene ; utilisation du cellulaire pour avoir des rapports météo.

Dans la boule de cristal.

Quand je pense au réservoir Cabonga, situé dans la réserve faunique La Vérendrye, j’ai de la misère à penser au changement. Je crois qu’il y aura encore des espaces qui seront figés dans le temps, des nuits à s’endormir aux cris des huards qui se répondent d’une baie à l’autre.

Pierre Marquis, directeur général de Canot Kayak Québec

Souvenirs de 1989.

Cette année-là, notre fédération a envoyé deux agents inventorier les parcours canotables existants et potentiels dans la réserve faunique La Vérendrye, ce qui par la suite donnera naissance à Canot-camping La Vérendrye. Ce territoire est dès lors devenu la mecque du canot-camping au Québec.

Ce qui a changé depuis.

La manière d’aborder les sports de pagaie a changé du tout au tout. Auparavant, le pratiquant faisait ses premières armes dans un camp de vacances, un club ou une formation. Les pagayeurs d’aujourd’hui sont, pour la plupart, des utilisateurs occasionnels ayant peu de compétences techniques et de connaissances du terrain. Ils sont là pour l’aspect ludique de l’activité.

Dans la boule de cristal.

Le Québec possède un réseau hydrographique exceptionnel et un territoire riche en diversité. Le retour à nos sources et aux activités de plein air de même qu’une volonté grandissante de protection et de découverte de notre environnement sont des éléments propices à la croissance des activités de pagaie au Québec.

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Depuis la fondation de Géo Plein Air, le plein air a bien évolué. Au-delà du classique duo canot et rando, de nouvelles façons de profiter du grand air ont fait leur apparition. Bref compte rendu de l’évolution de la pratique.

Dans les années 1990

-Introduit dans les compétitions internationales de ski de fond dans les années 1980, le style libre (pas de patin) entreprend sa conquête du grand public.

-Après une éclipse de plusieurs décennies, la raquette fait un retour sur neige grâce à une nouvelle génération de raquettes en aluminium dotées de crampons.

-Jusque-là totalement méconnu en eaux québécoises, le kayak de mer apparaît sur les eaux du fjord du Saguenay avant de proliférer dans tout le Québec.

-Ayant d’abord plu aux jeunes, la planche à neige débarque dans les stations de ski.

Depuis les années 2000…

-La pratique de la course à pied connaît une véritable renaissance. Se concentrant tout d’abord sur la route, la course conquerra la forêt quelques années plus tard.

-La Sépaq propose la formule prêt-à-camper dans son réseau de parcs nationaux, concluant une entente avec l’entreprise française Huttopia. C’est le début de l’essor du « glamping », contraction des mots glamourous et camping.

-Le vélo de montagne en version cross-country s’installe à demeure au Québec. Le réseau prendra une expansion considérable. En 2020, on comptait 1,1 million d’adeptes de vélo de montagne, selon Vélo Québec.

-Le vélo à pneus surdimensionnés, communément appelé fatbike, apparaît et devient un loisir hivernal à part entière à partir de 2010. En 2020, les « fateux » avaient accès à plus de 1300 km de sentiers entretenus au Québec.

-Combinant les plaisirs du surf et du kayak, la planche à pagaie émerge des eaux d’Hawaï au début des années 2000, avant de séduire le monde entier.

-La randonnée alpine, qui consiste à gravir les montagnes en ski avec des peaux d’ascension, insuffle une nouvelle dynamique au ski alpin.

-L’arrivée des appareils photo numériques très performants et la multiplication des applications mobiles d’identification de la faune et de la flore favorisent les activités d’observation de la nature.

En émergence actuellement

-Le fastpacking, un hybride entre la longue randonnée et la course en sentier.

-Le bikepacking, ou cyclotourisme des bois.

-Le canicross, sport où le maître se fait tracter par son chien à la marche ou à la course.

-Le vélo à assistance électrique, qui pourrait révolutionner à la fois tous les sports cyclistes et la mobilité urbaine.

Requiem

-La planche à voile, qui a connu son heure de gloire dans les années 1990, a complètement disparu des radars. Qui a vu un véliplanchiste récemment ?

-Introduit dans les années 1970 et 1980, le ski ballet, version plus artistique du ski acrobatique, est mort de sa belle mort dans les années 1990.

 

L’évolution en chiffres

Nombre de parcs nationaux québécois

1989 : 16

2022 : 27

Lieux de randonnée

1996 : 400

2022 : 800

(Source : Rando Québec)

Nombre d’emplacements de camping au Québec

1992 : 80 000

2021 : 115 900

(Source : Camping Québec)

Selon un sondage récent de la Chaire en tourisme Transat de l’UQAM, 68 % des voyageurs québécois manifestent un intérêt pour les chalets en nature, 45 % pour les campings non traditionnels (formule prêt-à-camper, bulle, yourte, etc.), 33 % pour les vans aménagées et seulement 22 % pour le camping en tente. Preuve que le confort devient un critère de choix en matière de vacances.