Le campeur nouveau

  • Camping au parc national du Mont-Tremblant @Sépaq

Piquer sa tente, garer son véhicule récréatif, louer un prêt-à-camper. Les Québécois raffolent plus que jamais du camping sous toutes ses formes… tant que le confort est au rendez-vous !

C’est d’abord en tente que les Québécois ont goûté à la vie en plein air, dans les années 1960 et 1970. C’était l’époque des tentes glorieuses, où l’iconique abri rudimentaire, avec son tissu de toile égyptienne, était souvent d’importation française. Les véhicules récréatifs – roulottes, autocaravanes, se sont ensuite démocratisés. Un sac de couchage, un peu de linge de rechange et une beurrée de beurre de pinottes ne suffisent plus ; les campeurs aspirent désormais à un peu plus de confort en pleine nature. Les déclinaisons du camping se multiplient : sauvage, aménagé et saisonnier. Cette tradition estivale bien de chez nous a depuis continué de gagner en popularité et en agrément. Pour le meilleur, mais aussi le pire.

« C’est dommage qu’on se parle maintenant ! Nous sommes sur le point de compléter notre plus récente étude sectorielle », lance Simon Tessier, président-directeur général de Camping Québec, en entrevue avec Géo Plein Air. Au moment de l’entretien, au printemps dernier, seules les données du Portrait de la pratique du camping au Québec – 2017 étaient disponibles. On y apprend ainsi que le prêt-à-camper était une tendance montante, que la bonne vieille tente demeurait le type d’équipement le plus utilisé et que toutes les catégories d’âge étaient concernées par la pratique du camping, même si les personnes plus âgées étaient mieux représentées.

Cela était d’ailleurs une préoccupation dans l’industrie. « Nous anticipions alors une baisse de fréquentation de nos établissements membres dans les années à venir, se souvient Simon Tessier. Vous savez, il faut deux ou trois jeunes familles pour remplacer un couple de baby-boomers qui pique sa tente presque toutes les fins de semaine… » Puis, la pandémie de COVID-19 est arrivée, ce qui a changé la donne. « Faute de pouvoir voyager à l’extérieur, les Québécois se sont mis à fréquenter en masse les campings. On a aussi vu une augmentation des ventes de véhicules récréatifs, ce qui s’est traduit par autant de nouveaux clients. »

Sur fond de démocratisation

Ce séisme s’est tout particulièrement fait ressentir dans le réseau de la Sépaq. Les 46 établissements gérés par la société d’État se sont littéralement retrouvés assaillis de citadins, banlieusards et autres âmes avides de jouer dehors, loin de Zoom et consorts. « Nous avons atteint des records d’achalandage dans les deux dernières années, confirme Simon Boivin, responsable des relations avec les médias à la Sépaq. Il faut dire que cela s’inscrit dans un engouement croissant pour le plein air au cours des dernières décennies. » La Sépaq a comptabilisé près de 9,4 millions de jours de visite, dont près de 8 millions dans les parcs nationaux, lit-on dans son rapport annuel 2020-2021.

Cette déferlante ne doit cependant pas être perçue comme un bloc monolithique. Dans la confrérie grandissante des pleinairistes, on trouve aussi bien de petits couples cute que d’indécrottables aventuriers en mal de sensations fortes. Tout ce beau monde ne s’attend bien évidemment pas à la même expérience d’hébergement en nature. L’exemple du prêt-à-camper, dont la Sépaq a été précurseur au Québec, est parlant. « On observe que cette formule est très populaire auprès des familles, qui s’arrachent plus de 700 unités au moment de l’ouverture des réservations. Cela traduit un appétit pour le côté pratique et simple d’une offre clés en main », fait valoir le porte-parole.

Ces constats ne sont pas uniques à la Sépaq. « Nos 80 emplacements de camping sont pleins pendant toutes les fins de semaine de mai à septembre. Les tentes sont plus que majoritaires, même si on y voit aussi des véhicules récréatifs », affirme Sébastien Jubinville, agent aux communications et marketing du parc régional de la rivière Gentilly, à Bécancour. Il s’aperçoit par ailleurs que les campeurs d’aujourd’hui sont mieux équipés que ceux de jadis et que les têtes blanches cèdent tranquillement le pas aux 30 à 45 ans. Ça tombe bien : le parc se présente comme la destination familiale plein air incontournable du Centre-du-Québec.

Même son de cloche du côté du Parc aventures Cap Jaseux, à Saint-Fulgence, reconnu surtout pour ses hébergements atypiques – maisons dans les arbres, sphères suspendues, dômes vitrés, cabines en bois rond et même des Coolbox depuis peu. « Nous constations un ralentissement de l’intérêt pour nos sites de camping rustique [sans services] avant la pandémie. Ce n’est plus le cas », confirme la directrice générale Rebecca Tremblay. Elle aussi témoigne d’un fort appétit pour des expériences plus douillettes, du type chambre d’hôtel dans les bois. « Disons que le minimalisme a moins la cote ! Avoir son propre toit, sa douche personnelle et une prise USB pour recharger ses appareils est désormais une attente. »

Des frictions

David Lapointe, directeur général de la Société de développement des parcs régionaux de la Matawinie, dans Lanaudière, note que la COVID-19 a fortement stimulé l’intérêt des Québécois pour le plein air et le camping. « Nous avons fait un bond de cinq ans en l’espace de deux étés ! » se réjouit-il. Cette croissance s’accompagne néanmoins de nombreux effets pervers. Non-respect des interdictions de feux à ciel ouvert, gestion déficiente des déchets, vivre-ensemble qui fout le camp : la liste de ses doléances est longue. « Au plus fort de la belle saison, nos campings deviennent un microcosme de la société, où une minorité empoisonne parfois la vie de la majorité. »

L’expert a tout particulièrement maille à partir avec les adeptes de la vanlife, ces propriétaires de petits motorisés en quête de coins bucoliques où passer la nuit. « J’ai dû faire intervenir la police pour en déloger. On me rétorquait que, parce qu’ils avaient vu que c’était gratuit sur les réseaux sociaux, ils étaient dans leur bon droit », raconte David Lapointe. Il déplore encore une fois que le manque d’éthique flagrant de quelques-uns pénalise le plus grand nombre. De là à affirmer que la vanlife est en train de tuer la vanlife, il n’y a qu’un pas. Plusieurs municipalités le franchissent en interdisant désormais à ces nomades des temps modernes de s’installer sur leurs plages, quais et stationnements.

Ces fausses notes reflètent en fait un manque criant de savoir-être et de savoir-faire, conviennent les intervenants consultés dans le cadre de cet article. À ce propos, les anecdotes rapportées par ces derniers ne mentent pas. « La faune, nous sommes chez elle, pas l’inverse. Pourtant, on nous reproche de ne pas pouvoir la déranger », dit Sébastien Jubinville. « Il faut sans cesse répéter de ne pas arracher l’écorce des arbres pour allumer un feu », remarque pour sa part Rebecca Tremblay. « Nous avons déjà vu des gens arriver au parc régional du Lac Taureau en véhicule récréatif alors qu’ils y avaient loué une île », évoque de son côté David Lapointe.

La solution passe-t-elle par une meilleure éducation aux réalités du camping ? C’est en tout cas ce que croit la Sépaq, qui s’emploie à mieux informer ses clients, notamment par l’entremise de contenus didactiques diffusés sur ses différentes plateformes. « Les néophytes ne connaissent pas nécessairement le b.a.-ba de l’activité. Matériel à prévoir, recettes à cuisiner sur place, trucs et conseils pour optimiser son expérience : il y a tant à savoir ! » plaide Simon Boivin. Ailleurs, ce nécessaire encadrement prend la forme d’ateliers de camping 101, de refonte complète du site de réservation afin de dissiper tout malentendu, et même de location d’équipement de base lorsque la situation l’exige.

Mais ça ne s’arrête pas là. Les établissements font des pieds et des mains pour plaire à cette nouvelle génération de campeurs à la recherche de confort. Attendez-vous par exemple à voir apparaître des prises de 45 ampères sur les sites aménagés du Parc aventures Cap Jaseux, là où 15 ou 30 ampères étaient jadis la norme. La Sépaq songe en outre à rendre internet accessible à sa clientèle dans l’ensemble de ses centres de découverte et de services. Pourrait-on un jour voir des lieux destinés à cet usage à proximité de ses campings ? « Il n’est pas interdit de le penser, mais ce n’est pas dans les cartons », répond Simon Boivin. Sa mission, après tout, est d’offrir une connexion à la nature. Pas au Wi-Fi.