La grande traversée des monts Groulx

  • Photos Sébastien Larose

La traversée des monts Groulx, c’est un classique au Québec. Les randonneurs accèdent à ce massif au km 365 de la route 389, marchent une cinquantaine de kilomètres puis reviennent à la civilisation au km 335, ou vice-versa. Notre collaborateur a fait les choses autrement. Il s’est fait déposer en hydravion sur un lac perdu de ce plateau montagneux pour marcher 90 km avant de revenir à la route 389. Une « grande traversée » qu’il avait effectuée il y a plus d’un quart de siècle et qu’il a renouvelée en 2022. Récit.

Assis dans le fond de l’hydravion sur des boîtes de bois contenant nos rations pour une partie du voyage, j’observe le pilote mettre les gaz. Après trente minutes de vol, nous serons largués dans une région sauvage peu commune du Québec, les monts Groulx. Un périple de 90 km en dix jours nous attend, où nous serons accompagnés d’un guide passionné par ce massif, Guy Boudreau. C’est un voyage qui ravivera plein de souvenirs.

J’ai rencontré Guy Boudreau en 1996 alors que nous descendions la rivière Nipissis en canot. C’est là qu’il m’a parlé avec passion des monts Groulx, appelés Uapishka en langue innue. Il a vécu une partie de sa jeunesse à Gagnon, une ancienne ville minière située au nord de ce massif. Enfant, lorsque sa famille voyageait vers le sud, Guy apercevait la cime parfois enneigée de ses impressionnantes montagnes situées à 350 km au nord de Baie-Comeau. Ainsi est née chez lui l’envie d’explorer cette région.

Pendant ce voyage en canot, j’ai compris qu’il cherchait quelqu’un avec qui arpenter cette région reculée. Son projet arrivait à point nommé dans ma vie alors que j’étais en soif d’aventure. J’ai accepté son invitation. Nous avons préparé notre matériel de camping et nous sommes partis peu après la descente de la Nipissis. Cette exploration du territoire durant une quinzaine de jours nous a fait sillonner les vallées encastrées, les plateaux de mousses spongieuses, les marais et les rivières à n’en plus finir. Ce fut l’une de mes plus belles rencontres avec la végétation de toundra alpine. Nous avons eu droit à un amalgame de conditions météo : précipitations abondantes, vents violents des plateaux qui t’arrachent le chapeau et variations de températures entre les sommets et les profondes vallées. Mais je rigolais avec un gars qui semblait très peu importuné par le mauvais temps.

 

Nous avons trouvé l’endroit si paradisiaque que nous avons décidé d’y retourner, pour réaliser notre propre traversée des monts Groulx, d’est en ouest. Une expédition insolite pour rejoindre la route 389 à partir du Petit lac Manicouagan, sur lequel un hydravion nous a déposés. À une époque où les monts Groulx étaient encore une terra incognita, il fallait maîtriser l’art de l’orientation avec cartes et boussole.

Vingt-six ans plus tard, Guy Boudreau, avec qui j’avais gardé un certain contact au fil des ans, m’informe qu’il habite désormais à temps plein dans un camp au pied des monts Groulx. Il guide les randonneurs, donne des formations et vit son rêve de nature. Il m’invite alors à refaire la grande traversée avec un groupe en septembre. Vous connaissez ma réponse… À la différence de la classique d’une cinquantaine de kilomètres qui relie les deux accès à ce massif à partir de la route 389, notre « grande traversée » constitue un périple de 90 km sur 10 jours, presque exclusivement hors sentier.

Les monts Groulx après 26 ans

Pendant le trajet en hydravion, mes yeux se perdent dans l’immensité des plateaux montagneux. Je me demande bien comment j’arriverai à marcher tout ça et quelle sera mon endurance. Je n’ai plus 26 ans, mais bien 52. Qui vivra verra ! Nous amerrissons à mi-chemin pour déposer un stock de nourriture. Sans perdre de temps, nous aspergeons ceux-ci d’urine de loup afin de repousser les rongeurs qui voudraient explorer le contenu de nos boîtes. Nous redécollons aussitôt. François, notre pilote, doit faire vite pour être en mesure d’effectuer les neuf trajets de sa journée.

Sac au dos et bâtons dans les mains, Guy Boudreau souhaite la bienvenue aux sept membres de l’expédition pendant que les derniers vrombissements de l’hydravion s’évanouissent. Le ciel est bleu, le temps est bon, nous commençons à marcher. Mauvaise surprise… Nous sommes en septembre, mais les moucherons semblent penser que nous sommes en juillet. Voilà une chose étrange à ce temps-ci de l’année. Certains marcheurs optent pour le filet de protection pour le visage.

La première montée est tout simplement extraordinaire. Le lac sur lequel nous avons amerri apparaît dans toute sa longueur, et les montagnes sur la ligne d’horizon montrent leurs sommets aplatis sur plusieurs kilomètres. Sous un soleil radieux, nous avons la chance de voir du lichen centenaire à perte de vue, parsemé de roches erratiques. Les Groulx se dévoilent sur 360 degrés et nous nous imprégnons de leur air pur. À cet instant, je me souviens que dans un précédent voyage avec Guy, nous avions dû jouer aux cartes dans notre tente jusqu’à une heure de l’après-midi, prisonniers d’un blizzard dans un endroit semblable à celui-ci.

Traverser les monts Groulx, avec tout mon matériel sur le dos, me donne l’impression d’être un sherpa. Aujourd’hui, je m’en tire avec un bagage de 27 kg, mais à l’époque j’en portais 10 de plus. La plupart des randonneurs transportent entre 13 à 23 kg livres, un poids léger rendu possible grâce au dépôt de nourriture à mi-chemin. Nous dévalons les pentes, suivons des ruisseaux et campons sur les rives des lacs. Les soirées sont agrémentées des histoires que raconte Guy autour du feu. Elles nous font mourir de rire et le campement prend des allures de camps de vacances.

Nous avons l’habitude de nous lever entre six et sept heures. Le déjeuner et le démontage du campement se font sans se presser. Nous amorçons notre marche autour de huit ou neuf heures. Comme je filme l’expédition, je marche de l’avant à l’arrière du groupe pour varier les angles. Entre deux respirations, je mange et prends aussi des photos.

Chaud le massif

La température dépasse allégrement les normales saisonnières, avec un 30 oC ressenti dans le creux des vallées, sans brise rafraîchissante. En plus, nous devons nous battre avec des bouleaux nains dont les branches s’entortillent autour de nos chevilles. Il faut alors lever le pied le plus haut possible vers l’arrière pour nous dégager des enchevêtrements.

Nous apercevons des tétras des savanes sur les plateaux et dans les bois. Ils sont nombreux à manifester leur présence. Au sommet du mont Lucie (1080 m), nous apercevons deux caribous. Les journées demeurent chaudes et les moustiques sont là pour de bon. Ici aussi, le réchauffement climatique se fait sentir.

Aux trois quarts du voyage, la météo se montre toujours clémente, malgré quelques averses. Pour plaisanter, je déclare qu’il faudrait quand même que tout ce beau temps s’arrête un jour afin que nous puissions vraiment nous sentir loin de nos mères et ainsi vivre une expédition en mode survie. L’aventure, quoi. À regarder le ciel, cette mauvaise blague ne semble pas sur le point de se réaliser. Quoique, dans les montagnes, il ne faudrait pas se fier à ce qu’on voit pour prédire la météo. Ici plus qu’ailleurs, tout peut changer en très peu de temps et, bien sûr, comme dans toute bonne histoire, c’est ce qui arrivera.

Le lendemain matin, nous roulons les bâches sous la pluie avant d’entamer notre journée de marche. En arrivant détrempés le soir au campement, nous apprécions la chaleur du feu et la protection des bâches tendues au-dessus de nos têtes. Demain, nous ferons face à l’une de nos plus longues journées de randonnée. Nous planifions un départ à 7 h.

Au petit matin, quelle surprise d’apercevoir un tapis de neige tout autour de nos tentes. Ma blague a été exaucée, et je pense que ça ne fait pas l’affaire de tous. Le vent se met de la partie. Nous passons de l’été à l’hiver d’un coup sec. Nous déjeunons dans la tempête et mettons beaucoup de temps à défaire le campement dans le froid et l’humidité. J’ai les mains gelées. Nous prendrons très peu de pauses aujourd’hui, car nous devrons rester en mouvement pour combattre ce froid inattendu. Nous goûterons à la médecine des monts Groulx comme jamais auparavant. Je me réjouis des images tournées, malgré un petit sentiment de prophète de malheur…

Après sept heures et 16 km de marche, nous arrivons fatigués mais joyeux au camp de notre guide. Nous avons droit à de généreuses victuailles et à une soirée ponctuée d’émotions et de rires. Merci, Guy.

En bref

Une « grande traversée » des monts Groulx d’est en ouest sur 90 km en 10 jours, avec transport en hydravion sur un lac perdu au milieu de ce massif.

ATTRAIT MAJEUR

Découvrir les monts Groulx avant qu’ils ne deviennent trop populaires.

COUP DE CŒUR

L’aventure en milieu hostile avec un guide expérimenté, ça n’a pas de prix.

Repères

Les monts Groulx se trouvent au nord du barrage Daniel-Johnson, sur la route 389 reliant Baie-Comeau à Fermont. Guy Boudreau organise des expéditions guidées. Pour en savoir plus : aventure-uapishka.mailchimpsites.com