Quelle connexion à la nature ?

  • Photo Simon Diotte

Le plein air n’a jamais eu autant la cote. Pourtant, la nature décline partout dans le monde à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine. Et si notre connexion trop peu profonde avec elle était en cause?

Connecter les gens à la nature. On pourrait croire que le slogan de la Sépaq porte la signature de créatifs d’une quelconque firme de marketing. Or il n’en est rien. Il s’agit plutôt d’un constat basé sur des données probantes : passer du temps dans la nature permet bel et bien de tisser un sentiment d’appartenance avec cette dernière, révèle une vaste méta-analyse (au-delà de 200 études !) publiée dans la revue savante Conservation Letters en 2021. Cette connexion a un double effet, celui de favoriser à la fois la conservation de la nature et le bien-être humain, rapportent les chercheurs, qui voient dans cette intervention un levier pour atteindre un futur durable.

De toutes les interventions comportementales recensées, ce sont celles qui impliquent une exposition à la nature ou la pratique de la pleine conscience qui s’avèrent les plus efficaces. Jouer dehors tout en focalisant son attention sur son environnement immédiat représente le nec plus ultra ; c’est la meilleure manière de tutoyer Gaïa. Les activités de découverte offertes dans les parcs nationaux de la Sépaq peuvent en ce sens être assimilées à de la science de pointe. « Nos animateurs-interprètes assument un rôle de médiateurs entre la nature et le visiteur », précise par courriel Florence Rouleau, conseillère en relation avec les médias à la Sépaq.

La société d’État ne détient toutefois pas le monopole de cette approche. Chaque automne, Aventure Écotourisme Québec et l’Association des parcs régionaux du Québec soulignent les bonnes pratiques environnementales d’une de leurs organisations membres dans le cadre des Prix Excellence Plein Air. En 2020, c’est l’entreprise montréalaise KSF spécialisée en planche à pagaie, surf de rivière et kayak qui a été primée dans cette catégorie. « Chaque excursion [sur le fleuve Saint-Laurent] est un prétexte à la conscientisation, peut-on lire dans un communiqué de presse. Les participants aux activités ne font pas que s’amuser en plein air : ils apprennent à connaître l’écosystème qui constitue leur terrain de jeu. »

Ce mariage entre l’ouverture d’un milieu naturel au grand public et sa conservation exige de consentir à des compromis. C’est le cas à la réserve naturelle Alfred-Kelly, située au cœur des escarpements de Piedmont et de Prévost. Comme les escarpements du site de 500 ha abritent pas moins de 80 % des espèces d’oiseaux de proie recensées au Québec, il est impossible d’y pratiquer l’escalade de roche, tandis que l’escalade de glace y est permise jusqu’à la fin de février. Le but : éviter tout dérangement des lieux de nidification actuels et éventuels du faucon pèlerin, entre autres rapaces. La réserve est néanmoins ouverte à l’année pour toutes les autres activités sauf le vélo. Et les chiens y sont interdits.

« Cet exemple démontre l’importance de ne pas mettre une cloche de verre sur la nature pour la protéger, du moins pas toujours », affirme Claire Ducharme, vice-présidente pour le Québec à Conservation de la nature Canada (CNC), qui gère l’endroit avec l’aide de nombreux partenaires. C’est d’ailleurs cette notion d’effort collectif qui explique le succès des initiatives du genre partout au Québec – la plupart des propriétés de CNC dans la province, soit l’équivalent de 50 000 ha de terres et de milieux humides de grande valeur écologique, sont ouvertes au public. « L’humain fait partie de la nature. Si on veut l’amener à le réaliser, encore faut-il qu’il en ait l’occasion », indique-t-elle.

Extinction de l’expérience

Bien que louable, cette stratégie fait sourciller. Et pour cause : la nature est en piteux état. Aucun des vingt objectifs d’Aichi pour la biodiversité, adoptés au début de la dernière décennie dans la préfecture japonaise du même nom et couvrant la période 2011-2020, n’a été entièrement réalisé. En 2019, les scientifiques de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) concluaient déjà à un « dangereux déclin de la nature » dans un rapport d’évaluation mondiale sur le sujet. C’est justement ce constat d’échec qui a animé la deuxième partie de la 15e conférence des Nations unies sur la biodiversité, qui s’est tenue à Montréal en décembre dernier.

Dans la foulée de la publication de leur document, les experts de l’IPBES plaidaient pour des « changements transformateurs » à tous les niveaux, du local au mondial, en vue de résoudre la crise de la biodiversité. Ils entendent par là une réorganisation en profondeur de nos modèles économiques, sociaux, politiques et technologiques, avec à la clé une refonte de nos modes de pensée, de nos valeurs, ainsi que de nos relations aux autres et, surtout, à la nature. Cette armée de gros cerveaux – quelque 500 au total – fait en ce sens écho à une théorie avancée il y a près de 30 ans par un naturaliste états-unien : celle de l’extinction de l’expérience.

Dans un texte paru en 1993 mais encore tout à fait d’actualité, Robert Michael Pyle avance que « l’une des plus grandes causes de la crise écologique est l’état d’aliénation personnelle par rapport à la nature, dans lequel vivent de nombreux individus. En tant que culture, ce qui nous fait défaut, c’est un sens étendu de l’intimité avec le monde vivant. […] Peu sont ceux qui organisent leur vie autour de la nature ou qui se laissent profondément émouvoir par elle. La profondeur de notre contact est trop souvent insuffisante. » Cette superficialité alimente, écrit-il, « un cycle de désaffection [envers la nature] dont les conséquences peuvent être désastreuses ».

À notre époque, la nature est avant tout considérée comme un bien de consommation. On la fréquente pour en tirer quelque chose, parce qu’elle nous rend des services auxquels certains économistes n’hésitent plus à accoler un signe de piasse. Lors de la plus récente campagne électorale provinciale, alors qu’il annonçait des investissements pour améliorer l’accès à la nature pour les Québécois, le chef de la Coalition Avenir Québec et premier ministre du Québec faisait valoir cette vision utilitariste de la nature. « C’est bon pour la santé physique et mentale, a déclaré François Legault en conférence de presse le 17 septembre dernier. Il est important de prendre le temps d’aller [s’y] promener. »

Pas un mot sur nos devoirs de conservation, hormis en toute fin de discours, comme une figure imposée, voire un mal nécessaire. Pourtant, si nous accordions une véritable valeur à nos écosystèmes, peut-être parlerions-nous moins des bienfaits qu’ils nous procurent et un peu plus de notre interdépendance ? « La nature prend soin de nous. Prenons soin d’elle en retour », a résumé par voie de communiqué Jacques Caron, président-directeur général de la Sépaq, à l’occasion de la publication en 2021 d’une vaste revue de la littérature scientifique sur les bénéfices de la nature pour la santé globale. L’analyse avait été commandée par la société d’État.

Planche de salut ?

Le poncif habituel veut que le dénouement aux crises de l’environnement passe par les prochaines générations, celles qui commencent à peine leur séjour sur Terre. Mais rien n’est moins sûr. Selon le concept de l’amnésie générationnelle, chaque génération considère l’environnement naturel qu’elle est habituée à côtoyer pendant son enfance comme un point de référence à partir duquel mesurer la dégradation de l’environnement plus tard. Ce faisant, chaque nouvelle cohorte prend le niveau dégradé qu’elle côtoie dans sa jeunesse comme une expérience normale, ce qui n’est bien sûr pas le cas.

Bien que convenue, la formule voulant que les jeunes représentent l’avenir en matière de biodiversité a tout de même un fond de vérité. Une étude publiée en 2020 dans The Journal of Environmental Education montre que de jouer dehors durant l’enfance est essentiel pour créer et entretenir un lien avec la nature, ce qui favorise la santé et le respect de l’environnement à l’âge adulte. C’est tout particulièrement le temps passé en solitaire dans la nature qui importe ; il s’agit de loin du facteur le plus déterminant de la connexion avec la nature, notent les chercheurs. Cela accrédite l’idée que les tout-petits ont besoin de liberté pour explorer, sans autres règles que la courtoisie élémentaire.

« Le quotidien des enfants est de nos jours très structuré. Cette étude souligne l’importance des moments de contemplation et d’expression individuelle en nature, sous supervision minimale, dans une logique d’accompagnement plutôt que d’encadrement », confirme Louise de Lannoy, directrice de recherche pour Jouons dehors Canada, un réseau d’experts qui font du jeu à l’extérieur leur cheval de bataille. Elle cite comme un exemple à suivre l’approche Alex, qui a posé les bases de l’éducation par la nature en service de garde éducatif à l’enfance au Québec. « Certains enfants passent plus de 30 heures par semaines en CPE, relève-t-elle. C’est une occasion en or de cimenter leur connexion avec la nature. »

Comme quoi l’espoir a un visage : celui d’un bébé, d’un enfant, d’un adolescent, d’un jeune adulte pour qui le plein air est un mode de vie plutôt qu’une mode dans la vie.