Destinations
Aventures automnales
Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.
Vague d’adrénaline sur une rivière secrète
Six kayakistes extrêmes se lancent sur la route et dans des eaux incertaines afin de tester le potentiel de rivières québécoises jamais pagayées auparavant. La Seigneurie de Beaupré est l’une de ces destinations, mais possiblement aussi celle qui demeurera un rêve inaccessible au grand public…
Six kayakistes extrêmes ouvrent temporairement les portes de la Seigneurie de Beaupré, un lieu privé que possède le Séminaire de Québec depuis la colonisation. Ils viennent évaluer le potentiel printanier d’un cours d’eau probablement jamais exploré par des pagayeurs, la rivière Brûlé. « Ce sera peut-être la seule fois dans l’histoire où elle sera descendue en kayak. Nous rêvons d’en profiter, cependant nous ne voulons pas y laisser notre peau ! » s’exclame Billy Thibault, l’un des six kayakistes qui attaqueront cette rivière nommée en l’honneur du coureur des bois Étienne Brûlé.
Ce cours d’eau orageux s’écoule du lac Brûlé sur 3 ou 4 km avant de finir sa course dans la rivière Sainte-Anne. Les kayakistes explorateurs longent la rive depuis des heures, occupés à calculer le débit, à jauger les courants et la hauteur des chutes, à examiner le trajet possible afin de s’assurer que chaque coup de pagaie ne sera pas le dernier. « Dans ce type de rivière au printemps, ce n’est pas un accident mais la mort qui nous guette », dit Billy Thibault.
Le stress est palpable, toutefois on sent aussi une bonne part d’excitation. Après délibération sur l’expérience de chacun, cinq d’entre eux se décident à descendre la rivière. Celle-ci comporte quatre chutes, dont une de 6 m. Le débit dépasse les 300 m3/s, et dans les chutes libres, on excède parfois 30 km/h. Atterrir sur une roche peut être fatal. Au printemps, le niveau de difficulté de la rivière Brûlé est très élevé.
Les avironneurs utilisent un code de signaux internationaux en outre d’une douzaine de signes de la main bien à eux.
Hiiiiiiiihuuuuhiiiip ! est l’un des cris de départ que Quebec Connection, groupe de pagayeurs techniciens, a inventé pour la communication entre eux lors des descentes. Le premier sauteur de chutes entame la descente. Le cœur s’arrête un instant, celui où on attend son cri de triomphe ou un troublant silence. Le kayak atteint la chute et disparaît dans celle-ci. Yaahoooou ! est le cri que poussent les membres du groupe quand ils réussissent un saut.
Les autres kayakistes s’élancent à la suite. Les cœurs battent la chamade en harmonie, pompés d’adrénaline, ils stoppent pendant la dégringolade, puis reprennent leur cadence effrénée. À l’arrivée, la dopamine donne aux sportifs le sentiment de plaisir qu’ils recherchent. Les pouls ralentissent, enfin calmés par les endorphines du succès. « On l’a fait, les gars ! Vous êtes mieux d’avoir trippé, parce que vous ne reviendrez pas ici de sitôt ! » s’écrie triomphalement l’un d’eux.
Celui-ci raison : le territoire abritant la rivière Brûlé restera vraisemblablement impénétrable pour la majorité des humains sur la planète, à moins d’un changement radical de règles de la part des propriétaires.
Une terre sacrée et rentable
La Seigneurie de Beaupré, également désignée sous le vocable « Terres du Séminaire », occupe une superficie de près de 1600 km2, soit pas moins du triple de celle de l’île de Montréal, ce qui en ferait la plus grande propriété foncière privée au Canada. Elle forme une bande, parallèle au fleuve, d’environ 95 km de longueur par 20 km de largeur, débutant à l’ouest de Stoneham-et-Tewkesbury et se terminant à l’est par la rivière du Gouffre, dans Charlevoix. Exploitation forestière, chasse, pêche et parcs éoliens génèrent des revenus au bénéfice du Séminaire de Québec, dont la mission de base était autrefois de former des prêtres.
Ce territoire privé est inaccessible au grand public mais demeure une activité fort lucrative. Nos kayakistes ont obtenu, de la part des pères du Séminaire, la permission spéciale de descendre quelques rivières et de procéder au tournage d’une série télévisée sur le kayak d’exploration intitulée Expédition Kayak, qui sera diffusée sur UNIS.TV au printemps 2020.
Or, nombre d’amateurs de plein air, dont les kayakistes de Quebec Connection, voudraient profiter de cette riche nature offrant montagnes, forêts, lacs, parois d’escalades exceptionnelles et rivières magnifiques, dont la rivière Sainte-Anne qui traverse le territoire. « Seuls les 1600 membres des 201 clubs privés de chasse de la Seigneurie de Beaupré accèdent légalement au territoire, ainsi que les clients de la pourvoirie Le Manoir Brûlé », indique Francis Cadoret, responsable de cette pourvoirie située sur le lac de tête de la rivière Brûlé.
Charles Arseneault, kayakiste de Québec Connection, déplore l’accès restreint de cet immense territoire sauvage comptant plus de 300 lacs. « Si nous avions accès à la rivière, nous n’endommagerions pas les lieux. En percevant des frais d’entrée, ça pourrait même être profitable aux pères », avance ce passionné de plein air. C’est sur les Terres du Séminaire que se cache le plus haut sommet de la chaîne de montagnes des Laurentides, le mont Raoul-Blanchard, lui aussi inaccessible.
Or cela est plus complexe qu’il n’y paraît. Pour le moment, il n’y a aucun sentier pédestre balisé, pas de bâtiments publics dotés d’eau potable et de toilettes, nul stationnement public aux endroits d’intérêt. Ainsi, rendre les lieux adéquats et sécuritaires à l’usage des amateurs de plein air nécessiterait un investissement considérable.
« Nous n’en sommes pas là dans les plans, puisque les terres nous apportent suffisamment de travail et de revenus, toutefois nous sommes ouverts aux discussions de développement dans le futur », confirme Denis Cantin, directeur général du Séminaire de Québec. La Seigneurie de Beaupré restera donc, pour les prochaines années du moins, un lieu quasi mythique et la rivière Brûlé, un trésor inatteignable.
La descente de la rivière Brûlé, même si elle devenait légalement accessible, demeurerait cependant réservée aux kayakistes professionnels. « Bien que son débit soit réduit de beaucoup pendant l’été, elle comporte des chutes franchissables uniquement par des experts. Par contre, on pourrait la lier à une descente de la rivière Sainte-Anne, créant un trajet suffisamment long et un beau défi. La question reste alors à savoir si un jour, les propriétaires rendront la chose possible », conclut Emrick Blanchette, un des leaders du groupe. Qu’elle se situe à proximité de la ville de Québec en accentue l’attrait.
La Quebec Connection, quossé ça ?
Non, ce n’est pas un site de rencontre, mais plutôt une association de kayakistes professionnels – qu’on doit prononcer à l’anglaise pour être reconnu internationalement, selon les fondateurs. Le nom s’inspire de la connexion particulière entre les membres et de celle entre les rivières. Bien que l’organisation comprenne une vingtaine de membres, les étoiles de l’émission Expédition Kayak, tous entre 19 et 34 ans, sont Andrew Oxley, Charles Arseneault, François Tremblay, Emrick Blanchette, Billy Thibault et François Savard, auxquels s’ajoutent parfois Mike Roy et Dylan Page. L’absence de filles serait due au fait qu’aucune ne posséderait pour l’instant l’expérience requise ; l’appel est lancé à celles qui se sentiraient prêtes.
Cette confrérie se donne aujourd’hui comme mission de repousser les limites du sport en eaux vives et de dénicher les rivières extrêmes inexplorées dans le monde. Les membres s’entraident, apprennent les règles internationales de même que celles, plus strictes, régissant leur groupe en raison d’une prise de risques accrue. « Ce n’est pas un concours de qui sautera la plus haute chute. Nous ne jouons pas avec nos vies, et si l’un de nous ne descend pas, nous admirons le fait qu’il connaisse ses limites. C’est un trip de chums, mais en même temps, c’est du sérieux », explique l’un des leaders, l’ingénieur hydrogéologue François Tremblay.
Il sera intéressant de consulter, d’ici quelques années, le guide de kayak que concocte le groupe à partir des informations détaillées des rivières qu’il a explorées. Une mine de renseignements précieux à l’intention des kayakistes amateurs autant que des mordus. À suivre !