Les cinq phases d’une blessure

Je suis confronté à ma première blessure de coureur. Et pas n’importe laquelle. Rien de l’innocent cor à l’orteil ou de l’ampoule au talon dont on peut ignorer l’existence. Une fasciite plantaire me force à cesser toute activité de course durant plusieurs semaines. Je suis abattu.

La pause, dans la vie d’une personne active, est source de sentiments divers et parfois contradictoires. Cette blessure métamorphosée en arrêt imposé m’a fait vivre plusieurs montagnes russes d’émotions et autres troubles dignes du DSM-5. Voici la petite histoire d’une blessure, en cinq étapes.

Le déni
Vous courez depuis plusieurs années. La santé est bonne, la forme est resplendissante. Puis, du jour au lendemain, sans avertissement, elle se pointe. Une coquine douleur, sourde, lancinante, tapie dans l’ombre d’un psoas mal assoupli, semble vouloir bousiller votre journée. « Ce n’est rien, pas question que j’arrête, ça ne fait pas mal du tout », vous dites-vous, convaincu d’être un aussi bon menteur que le ministre devant son assiette de patates en poudre. Qu’à cela ne tienne, vous persistez dans le déni et terminez votre entraînement. Comme un soir de cuite, vous êtes persuadé que votre corps aura tout oublié le lendemain.

Le constat
Votre organisme a une bien meilleure mémoire que vous. Dès la sortie suivante, le doute fait place au désarroi. La douleur est là pour rester. Après seulement quelques foulées, le mal s’est installé. Comme un membre de la famille dans le temps des Fêtes, il ne bougera pas de là. Vous rebroussez chemin, penaud. De retour à la maison, vous ouvrez votre ordinateur, puis faites la gaffe de googler les termes douleur, sous le pied et course. Résultat : 369 000 raisons qui vous incitent à cesser immédiatement de courir, voire de marcher.

La confirmation
Il y a quelque chose de rompu, au royaume anatomique. Votre corps est totalement déboîté, une tour de Pise ambulante. Vos muscles se raidissent au moindre effort, comme un rôti de palette de bœuf pas assez cuit, et vos nerfs se coincent en dissonance, de l’occiput au métatarse. Se lever est douloureux, mettre un pied devant l’autre l’est tout autant. Ça pince, ça bloque et ça tire autant qu’un forcené américain armé jusqu’aux dents. Vous rassemblez ce qui vous reste de courage pour appeler un médecin ou un spécialiste, en sachant fort bien qu’il vous mettra en quarantaine sportive. L’idée qu’on vous tire la plogue de l’activité tue la dernière parcelle d’espoir qui sommeillait en vous.

La panique
Le médecin est formel : vous êtes K.O. Le physiothérapeute renchérit : vous en aurez pour quelques semaines. Vous pleurez (par en dedans, après tout, vous êtes un tough). Vous êtes convaincu que vous ne courrez plus jamais. Pire, vous êtes persuadé que vous ne pourrez plus jamais pratiquer aucun sport. Adieu la nage, sayonara le vélo, arrivederci le ski. Vous faites part de votre désespoir à votre spécialiste, qui étouffe un rire à peine contenu. Heureusement, il vous réconforte en avançant que votre rétablissement est prévu dans quelques semaines. Mieux, le vélo et la nage sont d’excellents moyens de s’exercer sans solliciter votre fascia plantaire. La guérison est plus près de vous que vous ne le croyez, plus près, même, que la prochaine coupe Stanley à Montréal. Vous n’êtes pas tout à fait réconforté, mais lui souriez quand même, pour lui faire plaisir.

La guérison
C’est la phase la plus longue et la plus difficile, et pas nécessairement sur le plan physique. Parce que la guérison demande a priori de mettre de côté son ego, de faire le constat de son humanité, de reconnaître ses limites et ses faiblesses. C’est l’étape qui demande à la psyché de soulever des montagnes, celle qui requiert un mont Saint-Bruno de persévérance, un mont Mégantic de courage et un mont Jacques-Cartier de patience. C’est dans les moments les plus difficiles qu’il faut garder espoir.

Même si on est blessé, la course nous apprend au quotidien à devenir une meilleure personne.