La traversée des lacs

Il n’est sans doute pas le plus fréquenté du réseau des parcs nationaux du Québec, mais il séduit qui mesure le temps au rythme de l’activité des volcans ou des glaciers. Marcher sur ce territoire revient à rebrousser le chemin de l’Histoire aussi loin qu’il est possible: il y a 2,7 milliards d’années, lorsque l’activité volcanique sous-marine façonne peu à peu le territoire abitibien tel qu’on peut l’observer aujourd’hui. L’œuvre géomorphologique finit par sculpter le bouclier canadien et notamment les collines Abijévis sous l’action de l’écorce terrestre qui secoue le fond océanique. Au cœur de la plaine argileuse, ces collines éclosent, marquées d’une longue faille de 80 m de profondeur qui, immergée lors de la dernière déglaciation, donne deux superbes lacs encastrés le long des parois rocheuses: les lacs La Haie et Sault. Quelle bénédiction pour le géologue et le pleinairiste!

Fin d’hiver, fin des temps
Début mars 2010. Ô que la neige n’a point neigé cette année-là! Même en Abitibi, où elle vient rarement à manquer! Une mince couche au sol suffira bien à la tâche: relier, en raquettes, le stationnement 1 (au bout de la route 1), à l’est du parc, jusqu’au chalet de ski (centre de découverte en été) pour parcourir le circuit appelé Les Failles. Entre-temps, j’aurai le plaisir de passer, avec mes deux comparses, deux nuits en refuge. Comble du confort: le parc offre un service de transport des bagages en motoneige et, du même coup, en cette température clémente, l’assurance que la glace des lacs ne cédera pas sous nos pas, puisque le véhicule nous précède de quelques heures.

Pour relier le premier refuge, La Guêpe, il faut emprunter un chemin d’accès relativement plat longé par une forêt de pins gris qui ont pris racine dans les années 1950 après un incendie. Il ne faut pas plus de deux heures pour parvenir à un point crucial dans la région, la ligne de partage des eaux qui marque la frontière entre deux bassins versants aux directions opposées: le bassin qui remonte au nord vers la baie James et celui qui descend vers le Saint-Laurent au sud*. C’est précisément ici que la distance séparant ces deux bassins est la plus courte, ce qui explique que les Algonquins y pratiquaient leur portage lors de longs voyages en canot. Le parc possède d’ailleurs beaucoup d’aménagements historiques: tour du garde-feu, passerelle suspendue, escalier hélicoïdal. La Guêpe est un microrefuge qui possède tout, et même plus: un petit bâti en bois rond tout confort avec un poêle à bois efficace, l’équipement de cuisine nécessaire et une ambiance cosy irrésistible. En prime: il fait face au lac La Haie encastré dans la faille. Toute une vue!

Qui n’a jamais passé une nuit d’hiver dans un refuge, au chaud, n’a pas fait le tour des grands bonheurs de l’existence!

Le lendemain, ciel incertain, mais c’est avec entrain que nous chaussons nos raquettes pour cheminer sur le lac gelé, au centre de la faille. Grandiose paysage qui se révèle peu à peu sous l’effet conjugué de notre progression et d’un soleil d’abord timide qui finit par inonder ce spectacle de création du monde. Passé la passerelle suspendue, il faut remonter la colline La Trompeuse jusqu’au camp rustique La Cigale, toujours aussi charmant, et avec une vue panoramique. On est au cœur des collines Abijévis et de leur tourbillon venteux et, par temps clair, on peut même apercevoir Rouyn-Noranda au loin. Le souper promet d’être bon et le sommeil, réparateur.

Au petit matin, il faut déjà repartir vers le centre de ski, qui annonce la fin du séjour. Deux jours dans ce parc, ça donne envie d’y retourner plus longtemps et – pourquoi pas? – de le voir en été.

Au temps des Abitibi8inis
Ça tombe bien: en été, on peut vivre une immersion au cœur même du territoire ancestral des Abitibi8inis, les premiers occupants dont l’origine remonte jusqu’à 8000 ans. Les traces de leur présence ne manquent pas, au point que des fouilles archéologiques sont menées dans le périmètre du parc; tout près du centre de découverte, des étudiants en archéologie extraient d’un minuscule site des pierres taillées datant de quelque 4500 ans avant
J.-C. C’est Archéo 08, sous l’égide de l’archéologue Marc Côté, qui œuvre dans la région (voir encadré ci-contre).
Les superbes lacs Sault et La Haie sont particulièrement propices au canotage tant l’eau est claire et les parois, de part et d’autre des collines Abijévis, impressionnantes. Le circuit proposé par le parc consiste à traverser le lac Sault, puis à parcourir en randonnée le sentier Le Partage qui se rend jusqu’au lac La Haie. Là, un second canot permet de traverser le lac La Haie jusqu’au centre de découverte. Comble de bonheur: cette expérience de canotage sur la trace des Abitibi8inis se fait en toute intimité et vous donnerait presque le goût de jouer aux Indiens, comme au temps de l’enfance.•

De l’archéologie dans le parc
«Au départ, nous avons considéré ce site de fouille dans le parc d’Aiguebelle comme une vitrine qui ferait mieux connaître nos travaux; très vite, nous avons réalisé que ce site est non seulement très intéressant quant à sa densité, mais aussi qu’il s’avère rare et très ancien», explique l’archéologue Marc Côté, directeur général d’Archéo 08. En effet, il possède une densité exceptionnelle avec pas moins de 10 000 objets enfouis au mètre carré. Les dépôts de limon ainsi que les crues exceptionnelles qui se sont abattues dans le secteur donnent un amas de couches très contrastées, dont la couche intermédiaire semble remonter entre 4000 et 6000 ans, explique l’archéologue. Les couches inférieures, elles, n’ont pu être datées pour l’instant. Les objets extraits de ces fouilles représentent toutes sortes de pierres taillées ou de fragments d’os qui étaient utilisés par les chasseurs-cueilleurs à des fins domestiques ou pour la chasse et la pêche. On suppose que ces objets étaient taillés à cet endroit à cause de la présence d’une carrière de rhyolite, une roche volcanique qui ressemble au silex sans en être. Devant l’intérêt manifeste de ce site archéologique, les fouilles ont été prolongées jusqu’à l’été 2011 – au moins!
Info: www.archeo08.qc.ca    

Repères
-Le circuit Les Failles fait en tout 17,5 km et comprend 2 nuits en refuge. Le circuit l’Escapade boréale permet de parcourir environ 30 km en 4 jours (3 nuits en refuge). Le forfait en canot débute le 20 mai.
-Deux nouvelles tentes Huttopia sont désormais disponibles dans le parc.
Info et réservation: 819 637-7322 ou www.sepaq.com/aiguebelle
-Informations touristiques sur l’Abitibi-Témiscamingue:
-1 800 808-0706; www.tourisme-abitibi-temiscamingue.org