Mad River Glen
Le slogan de Mad River Glen dit tout: «Ski it if you can!» En mettant les pieds à l’ombre de la General Stark Mountain, baptisée en l’honneur d’un héros de la guerre de Sécession, héros à qui on doit le non moins célèbre slogan «Live free or die», vous découvrez la station la plus originale des États-Unis.
Mad River Glen est un défi à la logique marchande: un exploit dans le pays qui a fait du capitalisme une religion. La station a toujours défié les règles de l’industrie de la glisse.
Prenez la «nouvelle» remontée de 2037 pi, installée l’été dernier au coût de 1 500 000 $US. Eh bien, mes amis, c’est une chaise simple. Oui: une place. En fait, la station de ski aurait pu économiser 500 000 $ pour une remontée à deux places. Mais c’eût été un sacrilège.
Mad River Glen n’appartient pas à une entreprise cotée en Bourse. Les patrons sont les skieurs eux-mêmes, membres d’une coopérative qui gère l’endroit depuis une décennie. Et elle s’est lancé l’incroyable pari de financer la rénovation de la seule chaise simple encore fonctionnelle en Amérique du Nord par l’entremise d’une campagne de financement, pour mieux préserver l’âme de la station.
Car cette station a bel et bien une âme: celle des petites pistes pas assez larges pour laisser passer une dameuse, qui ne sont arrosées que par Dame Nature, de ces sous-bois démentiels, d’une station qui a résolument tourné le dos aux condos, aux concours de Miss Hawaiian Tropic, aux chalets de ski remplis d’annonces de bière, au ski industriel finalement. Quand vous faites la ligne, les haut-parleurs crachent la musique de Brian Eno, de Pink Floyd et de Thelonious Monk, entre deux tounes country. Personne, ici, ne semble connaître Céline Dion. Et la recette de chili du chalet, tout droit sorti d’un autre âge, est celle des peace corps.
Cette façon de voir les choses vient en droite ligne de Roland Palmedo, le fondateur, qui a lancé la station en installant une des premières chaises simples sur le continent, sur un des plus hauts pics de la Nouvelle-Angleterre, en 1948. Palmedo avait pratiquement négocié l’achat du terrain et de la remontée depuis le pont du porte-avions USS Yorktown, en guerre avec le Japon. L’ex-aviateur de la première guerre avait été écœuré des foules et du développement effréné de Stowe. Il voulait instaurer une station où la glisse demeurerait une véritable religion. La légende veut même qu’il ait choisi le mont Stark, car le mont Marcy bloque la vue sur Stowe!
Il a attendu les années 1960 avant de voir ses bilans financiers dépourvus de rouge. La station s’est toujours développée avec un seul objectif: éviter que les foules dévalent les pentes. Encore aujourd’hui, vous attendez longtemps pour obtenir votre place sur une des quatre remontées qui desservent les trois versants. Mais quel bonheur de glisser dans une solitude presque permanente, au sein de forêts jalousement protégées du développement, sur des pistes qui demandent toute votre attention et votre talent!
Au sommet de Stark, à 3637 pi, on aperçoit les monts Washington, Camel’s Hump, Marcy, Whiteface, le lac Champlain et plusieurs des fermes où travaillent, l’été, une grande partie des employés de la station. Au pied de la montagne, pas de lodge, pas de condos, pas d’hôtels, pas de panneaux de pub. La région regorge plutôt de gîtes, de petits inns, comme le Millbrook, et de vieilles maisons de ferme retapées, où les proprios font souvent eux-mêmes la cuisine et le ménage. Une tradition qui remonte à la création de la station.
Dans les années 70, les nouveaux propriétaires décident d’arroser la base de la montagne avec de la neige soufflée. Les skieurs grommellent quelques insultes mais finissent par s’habituer. Ils achètent des dameuses et projettent de mettre du «corduroy» jusqu’au sommet. C’est la révolte! On voit des photos de skieurs brandir des pancartes «Sauvez nos moguls» dans les journaux locaux. La retraite des dameuses vers les deux nouveaux versants de débutants est permanente.
Le slogan de la station ne constitue pas une bravade de snobinard: la montagne Stark et le haut de Sunnyside ne sont pratiquement quadrillés que par des pistes expertes et intermédiaires. Des intermédiaires plus proches du losange noir que du carré bleu, si vous voyez ce que je veux dire… En fait, le noir constitue la moitié de la liste des pistes. Et les sous-bois représentent un véritable défi à votre technique tout comme à votre sens de la survie en montagne.
Dans les années 1980, la propriétaire, Betsy Pratt, s’emploie à perpétuer la tradition anticommerciale des lieux. Skieuse légendaire, elle rejette un plan de développement basé sur les condos et la neige artificielle. Après une engueulade au supermarché local avec un surfeur, elle bannit la planche à neige des lieux pour toujours! Une interdiction qui n’a jamais été levée.
En 1995, elle finit par vendre la montagne à une coop pour 2 500 000 $, sans intérêt, rejetant des offres bien supérieures. Au bout de cinq ans, le prêt est remboursé.
Comme la station refuse les modèles habituels de développement, on s’attendrait à la voir périodiquement faire faillite. Au contraire! Les familles reviennent chaque année plus nombreuses. Des ribambelles d’enfants sillonnent les pistes avec enthousiasme. Les ados constituent la clientèle en plus forte croissance: une leçon à retenir pour le mont Orford. Les gens du coin affirment que les meilleurs skieurs se donnent rendez-vous à Mad River Glen; on les reconnaît: ils ont le plus grand sourire!
REPÈRE
Il faut d’abord se rendre à Burlington, en passant la frontière à Saint-Armand, par la route 133. Ensuite, on prend l’autoroute 89 jusqu’à Waterbury, puis la route 2 Sud. Passé Waterbury Village, on emprunte la route 100 Sud jusqu’à Waitsfield, ensuite on vire à droite sur la route 17, qui mène à la station. Il est possible de devenir membre de la coopérative pour 1750 $US. Un programme de 35 versements est offert. Info: www.madriverglen.com ou 802 496-3551 |