Reporter néophyte chez les Helvètes

Denise en Suisse, ç’a été un festival de «premières fois»: première fois au pays helvète, première fois en haute montagne, première fois en cordée sur un glacier, première fois en parapente… Toutes ces expériences nouvelles, Denise les a vécues avec une heureuse décontraction. Un peu comme si elle s’était laissée aller avec confiance et détermination dans un monde inédit…

Son sourire rayonnant ne l’a pas quittée un instant. Durant les deux jours que nous avons passés à descendre le glacier Aletsch, elle a marché en cordée, crampons aux pieds, comme une vraie pro! Pas un jour sans que je ne l’aie entendue s’exclamer ou s’émerveiller devant un paysage typiquement suisse, exactement de ceux qui figurent sur les tablettes de chocolat: vache laitière, énorme cloche au cou, broutant au premier plan sur les alpages alors que se profilent des sommets enneigés en background. Durant toute la semaine, nous avons emprunté les modes de déplacement locaux: trains et téléphériques. Ils sont partout! Et vont jusqu’à vous droper au départ des sentiers de randonnée. 

 
Je garde un souvenir un peu particulier de notre passage à Sulwald, hameau perché à un peu plus de 1000 m, à l’est de Grindelwald, qu’on atteint par autobus postal jusqu’à Isenfluh, puis en actionnant soi-même une cabine téléphérique centenaire qui servait autrefois à transporter les vaches vers les alpages! Nous y avons découvert un lieu préservé du reste du monde, comme reclus dans l’espace et le temps, silencieux et désert.
 
La vallée de la Jungfrau avec ses chalets suisses aux balcons fleuris, orientés vers les sommets mythiques – Eiger, Mönch et Jungfrau – à 4000 m d’altitude, sa circulation automobile réduite au minimum, son petit air de village de montagne paisible nous ont projetées, Denise et moi, dans un état d’apesanteur qui a persisté longtemps, bien longtemps après notre retour en ville. 
Nathalie Schneider


 

Tout est tranquille, un peu trop tranquille. Bien que je sois active, en abordant la cinquantaine, je sens poindre un brin de morosité.
 
À la veille de terminer un baccalauréat entrepris sur le tard, j’ai envie de me bousculer un peu. C’est ce moment que choisit Géo Plein Air pour venir me titiller avec un concours de journalisme. Une semaine de trek dans les Alpes suisses avec une sortie de deux jours sur le glacier d’Aletsch, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO: en plein ce qu’il me faut! Ce reportage est l’occasion rêvée de marier deux de mes passions: l’écriture et le plein air. Le temps est venu pour moi de tenter l’expérience de la haute montagne. Jusqu’à aujourd’hui, chaque fois que j’en ai eu la possibilité, j’ai accroché mes yeux et mon cœur aux pieds de mes amis voyageurs pour les accompagner dans leurs pérégrinations. À mon tour d’activer mes bottines sur les sentiers qui serpentent vers le sommet!

 

Et soudain les montagnes 
Le train s’éloigne de la ville et file vers les montagnes. Je suis en route vers Grindelwald, la mecque des randonneurs dans la région de la Jungfrau. Un lieu idéal pour rayonner et s’amuser dans les coulisses du célèbre trio de la région: Eiger (3970 m), Mönch (4107 m) et Jungfrau (4158 m).
 
À bord, les passagers sont calmes, posés et… très disciplinés. C’est l’heure de pointe et pourtant l’ambiance est presque feutrée. À l’extérieur, le paysage défile, révélant l’ordre et la propreté. L’architecture des maisons brunes – toutes semblables pour ne pas dire pareilles –, leur disposition en quinconce dans les pentes des vallées verdoyantes, leurs longs balcons à l’étage invariablement ornés d’opulents bouquets de géraniums rouges pétants, les motifs se répètent, rien ne dépasse. Tourisme oblige, le décor est léché.
 
Se mettre en jambes sous un soleil de plomb 
Avant le plat de résistance, le fameux glacier d’Aletsch, plusieurs belles randonnées sont au programme. Histoire de m’acclimater à l’altitude, j’empoussière mes chaussures entre 1000 et plus ou moins 2500 m. Je me mets en jambes sous un soleil de plomb1. Les sentiers balisés foisonnent et offrent des points de vue remarquables: lacs de montagne émeraude, hautes et minces chutes cristallines, nombreux cols remplis d’une épaisse meringue bleutée. Ici et là, des vaches portant de grosses cloches qui tintinnabulent au gré de leurs ruminements2. La bande sonore des alpages suisses.
 
Parmi les classiques, je n’hésite pas à recommander la randonnée de Schynige Platte-Faulhorn-First. Le voyage en train qui nous amène au point de départ est à lui seul une expérience troublante. De la pittoresque gare de Wilderswil, le convoi grimpe jusqu’à 2068 m à une vitesse de 12 km à l’heure sur une voie en lacets exposant d’impressionnants tableaux. Un trajet sans cesse ponctué de Oh! et de Ah!
 
À mon sens, un séjour dans la région de la Jungfrau implique une visite à Isenfluh, accessible par autobus postal depuis Lauterbrunnen, et à Sulwald, qu’on atteint par un petit téléphérique qu’on actionne soi-même! Véritablement mon coup de cœur en raison de la beauté et de la quiétude des lieux. Malgré l’envahissante musique crachée par un haut-parleur de très mauvaise qualité le jour où j’y suis allée, j’ajoute à cette liste de suggestions le petit village piétonnier de Mürren, situé dans le même secteur, près de Lauterbrunnen.


 

Contre toute attente, ce n’est pas le manque d’oxygène dans l’air qui me coupe le souffle pendant ces quatre jours, mais le bonheur de communier à de telles splendeurs. Un plaisir que j’ai cependant dû accepter de partager… En effet, sans être bondés, les sentiers sont très fréquentés, et on y est rarement seul; beaucoup de Suisses, bien sûr, et des touristes, européens pour la plupart. J’ai été frappée par le nombre de personnes âgées qui y circulent, étonnée aussi de rencontrer autant de familles avec de jeunes enfants. Au fil de mes rencontres, j’ai donc posé des questions pour apprendre que certains Suisses ne font jamais de randonnée, alors que c’est ancré dans la tradition pour d’autres. Comme chez nous, la perception des jeunes Suisses va d’un extrême à l’autre, soit ils trouvent cette activité plutôt «ringarde» ou, au contraire, ils ne sauraient s’en passer.
 
Avertissement: le texte qui suit présente un usage excessif de superlatifs. L’exposition prolongée à tant de beauté – à moins qu’il ne s’agisse d’un effet pernicieux de l’altitude – a plongé l’auteure de ces lignes dans un état d’émerveillement jubilatoire. Nous préférons vous en avertir.  

 
Aletsch: LE glacier
Samedi, c’est le grand jour! Dès potron-minet, nous filons à la gare. Le train, bourré de touristes asiatiques légèrement vêtus, nous conduit à 3500 m d’altitude, à Jungfraujoch, la station de train la plus haute d’Europe. Zut! le ciel est complètement bouché! Aucune des trois escales ne nous donnera accès aux panoramas de renommée mondiale annoncés en cinq, six ou sept langues pendant le trajet. Dernier arrêt, la clientèle se divise: la grande majorité des passagers s’éparpillent dans les boutiques, les restaurants et le palais de glace. Au sein de ceux qui restent se formeront les petits groupes qui partiront à pied sur le glacier.
 
Neiges éternelles, vous avez dit? Foi de linguiste, il faudra revoir l’expression. À cause du réchauffement de la planète, Aletsch est une peau de chagrin. La longue langue tortueuse striée de deux bandes sombres s’amenuise. L’issue de ce drame silencieux est inexorable: à l’instar des autres glaciers alpins, les jours d’Aletsch sont comptés. Les Alpes perdront 80 % de leurs glaciers si aucun changement ne survient dans l’émission des gaz à effet de serre. Mais aujourd’hui, l’heure n’est pas à la désolation, j’ai rendez-vous avec cet imposant fleuve de glace long de 23 km, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2001.
 
Le ciel s’est entrouvert et laisse momentanément percer quelques rayons. C’est magnifique! Par la fenêtre, les cimes sont maintenant toutes proches. Et là, juste à nos pieds, un vaste plateau blanc, ironiquement baptisé Konkordiaplatz  (place de la Concorde). C’est ici que commence l’aventure. Nous faisons la connaissance de notre guide, qui nous aide à enfiler notre harnais et nous remet une paire de crampons. Nous nous badigeonnons de crème solaire et ouste! tout le monde dehors. Nous nouons la ligne de vie. Je suis septième d’une cordée de neuf. À part les deux «journalistes canadiennes», tous des Suisses. Tous, sauf le guide bien sûr, en sont à leur première sortie sur le glacier d’Aletsch.
 
Midi, la colonne s’ébranle enfin, cahin-caha. Nous glissons, dérapons, trébuchons dans la neige mouilleuse. Nous avançons lentement, le cœur battant et le genou mou devant les innombrables crevasses bleues qui déchirent la peau du monstre. L’eau suinte et ruisselle abondamment avant de s’engouffrer dans le ventre du géant par de gigantesques cheminées blanches. Le parcours est facile, le guide traçant la voie sur une pente légèrement descendante. Au bout d’un moment, un rythme finit par s’installer. Le soleil joue à cache-cache avec les nuages.

En cours de route, le ciel menace. Quelquefois le tonnerre gronde. Ambiance dramatique. Le glacier paraît plus gris. Nous essuyons un petit crachin, mais la température est douce et on est plutôt bien. En tout, quatre heures de marche ponctuées d’une ou deux courtes pauses et d’un pique-nique. Il ne reste qu’à gravir les quelque 400 marches d’un escalier vertigineux accroché à même le roc pour gagner le saint des saints: le refuge Konkordia, propriété du club alpin suisse.


 

Y avait-il beaucoup d’étoiles? 
Notre gîte pour la nuit est perché sur un piton rocheux à 2850 m. Occupés à pleine capacité, les lieux bourdonnent d’activité; heureusement, l’organisation suisse est irréprochable. Tous, nous troquons vite nos bottes de marche pour une bonne paire de confortables Crocs (gracieuseté de la maison!) et nous convergeons vers la large terrasse qui surplombe le glacier.
 
Qu’il est agréable de se dorer la couenne sous le soleil qui darde ses derniers rayons dans un ciel de plus en plus dégagé. Des oiseaux noirs planent et piquent devant nous. Des chocards, sans doute, qui se tiennent volontiers près des refuges de montagne. Le monde du silence est troublé par le brouhaha des conversations des quelque 130 randonneurs qui envahissent chaque recoin de la place. Honnêtement, ce babil joyeux de gens heureux est une douce musique à mes oreilles. Zwei Rugenbraü bitte! Jamais une bière n’aura été aussi bonne! Sitôt Galarneau disparu, l’air glacé nous force à rentrer. Quel contraste avec le réfectoire surchauffé où nous allons faire bombance! Une fois le tiramisu avalé, je salue mes camarades et je gagne ma couchette. Tout autour, le silence s’installe.
 
5 h 15. Une faible lueur s’allume. Un frisson parcourt le dortoir. Des froissements partout dans la pénombre. Sans bruit, chacun refait son sac. Cela fait des heures que j’ai hâte de bouger. Trop-plein d’émotions, promiscuité, le sommeil m’a boudée et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Pour ne pas troubler le repos de mes camarades, je suis restée allongée, immobile, résistant à l’envie de sortir observer le ciel. Si près des étoiles, ça devait être beau, quand même.
 
Vaseuse, j’avale à grand-peine le petit-déjeuner. Puis, dans le petit matin glacial, je rejoins mon groupe dont les lampes frontales percent l’obscurité. Nous reformons la cordée. À peine réveillés, nous entreprenons la descente d’un sentier rocailleux où la vigilance est de mise. Tour à tour, nous empruntons les échelles de métal destinées à nous faciliter certains passages. Parfois, nous apercevons les vestiges d’anciennes échelles de bois, témoins d’une autre époque. Les pierres roulent sans cesse sous nos pas, provoquant maints dérapages. Doucement, encore une fois, le groupe se synchronise.
 
Lilliputiens dans une mer de glace
Lorsqu’à nouveau nos pieds foulent le glacier, le froid nous oblige à enfiler tuques et gants. Contrairement à hier, la glace est dure et il faut chausser nos crampons. Le groupe avance à pas prudents sur cette mer de «vagues immobiles», tandis que l’aube rosit progressivement les cimes. C’est terriblement beau. Les pics émergent tout autour et s’illuminent dans le soleil levant. Au fur et à mesure que le ciel bleuit, la lumière inonde le paysage. Une palette impressionniste tout en rose, bleu et blanc. L’ambiance est zen. Nous parlons peu, ébranlés par la magnificence de la toile de fond. Trop occupée à regarder où poser les pieds, je ne peux pas numériser comme je le voudrais ces magnifiques images dans ma petite boîte noire. Je les engrange donc dans ma tête et dans mon cœur, où elles se métamorphoseront, j’en suis persuadée, en d’impérissables souvenirs.
 
L’air est vif et je l’aspire à grandes goulées. Je me sens bien, très bien. Merci la vie! Du coin de l’œil, j’aperçois d’autres cordées au loin. Si petits sommes-nous dans cette immensité. Tiens, voilà qu’un chamois nous barbe, grimpant avec une facilité déconcertante une paroi rocheuse à notre gauche. Rien à voir avec les pauvres humains à la démarche hésitante et à l’équilibre précaire qui se démenaient dans le sentier ce matin!
Nous longeons une des deux grandes moraines. À l’heure du lunch, éparpillés dans les cailloux charriés par le mouvement des glaces, nous fraternisons avec les randonneurs des autres cordées. Quand nous reprenons la route, le soleil plombe, la glace luit et les crevasses sont de plus en plus nombreuses. La colonne de marcheurs oblique vers la gauche, nous allons bientôt quitter le glacier. Cette fois, pas d’escalier dans la falaise pour regagner la terre ferme. Aïe! La montée est raide et les cordes fixes me sont bien utiles. Contente d’arriver en haut, mais triste de m’éloigner d’Aletsch.


 

Une longue file se forme sur le sentier terrestre. Il reste deux heures de marche pour atteindre le village de Fiescheralp. Il fait beau et chaud, la scène est bucolique. Nous cheminons lentement sur le versant d’une montagne qui plonge dans une verte vallée bordée d’une chaîne de pics impressionnants. Vraiment, le canton du Valais n’a rien à envier à celui de Berne: tout simplement splendide!
 
Je passe ma dernière nuit à Bettmeralp. C’est, du côté du Valais3, l’autre mecque des randonneurs qui constitue, elle aussi, un point de départ intéressant pour explorer les montagnes et accéder au glacier. Pas d’automobiles, beaucoup d’ensoleillement (on prétend qu’il y fait soleil 300 jours par an!), le minuscule village piétonnier offre une magnifique vitrine sur les sommets des Alpes valaisannes. L’air y est pur, le silence est appréciable et le panorama, époustouflant. Dommage, arrivée en fin d’après-midi, j’ai juste le temps d’y déguster une délicieuse raclette face au soleil couchant. Dès l’aube, je dois quitter ce petit paradis.
 
Deux téléphériques, deux trains, un avion, un taxi, un train et un autre taxi plus tard, je reprends ma voiture pour rentrer chez moi. Je retrouve avec joie mon lac peuplé de canards et de grands hérons et je me cale affectueusement dans les bras réconfortants de mon amoureux.
 
Décantation 
Pendant quelques jours, je me suis approchée de mythiques grands pics enneigés. Une carte postale dans laquelle je me suis vautrée pendant une semaine. Pures délices! Certes, me coltiner à ces géants m’a intimidée, je me sentais vraiment toute petite dans cet univers. Toute petite, mais vivante comme jamais. Si, selon l’adage, il faut «voir Rome et mourir», Rome attendra, car j’ai préféré voir Aletsch et vivre. 

 
Deux incontournables 
pour la randonnée en montagne
 

Grindelwald*
Le village de Grindelwald est situé à 1034 m d’altitude dans l’Oberland bernois, la région la plus élevée du canton de Berne. La petite bourgade abrite seulement 4000 habitants.  Au gré des saisons touristiques, sa population se gonfle de quelque 11 000 hôtes qui y séjournent, auxquels il faut ajouter les 5000 à 6000 visiteurs d’une journée. Le village est traversé par plusieurs circuits de téléphériques à 

gondoles et très bien desservi par le train.
 
Activités estivales: 
-300 km de sentiers pédestres;
-160 km de sentiers de vélo de montagne (3 degrés de difficulté);
-excursions guidées en haute montagne et sur le glacier;
-saut à l’élastique (bungee), rafting de rivière, canyonisme, trottinette de 
montagne (trottibike), luge d’été, tyrolienne assise (First Flieger), parapente.
Tourisme Grindelwald: 41 (0) 33 854 12 40, 
Hébergement: Hôtel Bodmi, au cœur du village, à deux pas de la gare 
et des téléphériques. Info: 41 (0) 33 853 12 20, [email protected] ou 

* Grindelwald se trouve à 70 km de Berne et à 195 km au sud de Zurich.
 

Bettmeralp
Situé dans le canton du Valais, Bettmeralp fait partie du site des Alpes suisses Jungfrau-Aletsch inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce village piétonnier niché à 2000 m d’altitude est accessible seulement 
par téléphérique. 
 
Activités estivales:
-150 km de sentiers de randonnée près du plus long glacier des Alpes;
-100 km de sentiers de vélo de montagne; trottinette de montagne, équitation.
Tourisme Bettmeralp: 41 (0) 27 928 60 60, 
Hébergement: Hôtel Panorama, 
vue imprenable et bonne cuisine (essayez la raclette!). 
Info: 41 (0) 27 927 13 75, [email protected] ou www.panorama-bettmeralp.ch­­­