L’Islande furieusement belle

On ne savoure pas impunément les fruits de l’Islande. Aussi séduisante que capricieuse, elle vous fait tanguer du ravissement à l’exaspération en un battement de cils, entre paysages lunaires et météo imprévisible. Boucle guidée en mode multiactivité.


C’est en me greffant à un groupe de cavaliers, aiguillé par ma jeune guide islandaise Mari, que je choisis d’entamer ma découverte de l’Islande. Car si on le connaît surtout comme une île de feu et de glace, de soubresauts volcaniques et de décors oniriques, ce paradis pour aventuriers se présente aussi comme une sorte de nirvana des moutons et chevaux, aussi pure laine les uns que les autres – le cheval islandais n’a subi aucun croisement depuis le Xe siècle! Petit, robuste et docile, ce symbole national semble le moyen idéal pour attaquer ce périple.


À Landmannalaugar, les visiteurs se réduisent à de simples détails au sein de tableaux de maître.

Me voici donc intégré à une petite procession, à l’attaque des flancs de la montagne Skálafell, à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Reykjavik. Après quelques galops campagnards, la végétation s’estompe à mesure que les sentiers se resserrent, forçant des marcheurs à s’écarter pour nous céder le passage. Bientôt, nous longeons de vertigineuses falaises, au pied desquelles apparaissent des mares de boue en ébullition (solfatares). Au moindre faux pas, c’est le plongeon illico dans la marmite.

Ces curiosités géologiques, typiques du caractère volcanique de l’Islande, sont annonciatrices de sources d’eau chaude. À l’occasion d’une pause, Mari nous indique où nous baigner. «Vous trouverez deux rivières, explique-t-elle, l’une brûlante, l’autre glaciale. Cherchez l’intersection des deux.» Après quelques tâtonnements et ébouillantages, quel bonheur que de tremper notre fessier, meurtri par les incessants rebonds sur la croupe de nos fidèles destriers!

Entre cahots et chaos
Mon postérieur aurait dû avoir un répit, le lendemain, calé dans un siège de l’autobus remontant le Kjölur, piste centrale du pays. Désillusion: le véhicule tout-terrain se fraye une voie dans des cahots de tous les diables, au gré du désert caillouteux. Nous serpentons entre deux glaciers: ça botte le derrière, tant physiquement que visuellement.

Le charmant calvaire cesse à Hveravellir (deux habitants), où je fais étape. Paraît-il que les champs de lave y sont superbes. Paraît-il. Avec la tempête qui sévit, on n’y voit goutte. Je plante ma tente en hâte pour m’y abriter, le vent s’y engouffre et menace de l’arracher à tout instant. Pourtant très résistant au froid, mon sac de couchage mène une chaude lutte, et seul mon nez, gelé, en dépasse. Je hume ainsi les effluves de soufre, aux fragrances d’œuf pourri, rejetées par les solfatares du coin. Islande, beauté fatale… et sulfureuse.


Ce randonneur téméraire n’hésite pas à défier les chutes de Dettifoss, les plus puissantes d’Europe, près de Mývatn.

Au réveil, je glisse prudemment la tête dehors: je me retrouve nez à nez avec des moutons broutant devant ma tente. Méééé quel temps radieux! Idéal pour une première incursion dans le no man’s land islandais. Ici, tout n’est que lave séchée. Le roc a tout dévoré: végétation, animaux, humains. Même les sentiers s’évanouissent. Hors des balises, point de salut. Mon parcours se fait à travers de mornes plaines, que la brume naissante transforme en décors post-apocalyptiques. La route est plane mais fort accidentée, parsemée de roche volcanique abrasive: mes chaussures neuves vieillissent de six ans en six heures. En toile de fond se profilent les pics des glaciers. Mystérieux… mais ce n’est qu‘un avant-goût du lac Mývatn. Cap sur le nord-est.

Pris dans la toile…
Le «lac des mouches» regroupe toutes sortes de bizarreries géologiques, dont un chapelet de cratères (voir encadré). Pour explorer ces trous, rien de tel qu’un deux-roues. Pardon, monsieur le loueur de vélos; vous qui m’aviez prié de rester sur les routes goudronnées, je n’ai pas tenu ma promesse. Les sentiers boueux, eux, ont en revanche tenu la leur. Et voilà que je file entre des montagnes rougeoyantes. Où suis-je? Certainement sur Mars.

Au pied des collines aux couleurs irréelles, des fumerolles s’élèvent. Ces sites, celui de Hverir par exemple, semblent hantés par quelque force démoniaque: ici, des étangs de boue grise clapotent furieusement; là, des rochers vaporisent une fumée inquiétante. Le malin gîte sûrement dans le coin, et cherche même à me retenir: mes roues s’enfoncent dans un bourbier. Je redouble de coups de pédale. Désolé, bon diable, la route du sud m’appelle..

La roche volcanique, terrain de jeu fabuleux pour un deux-roues


Des airs de fin du monde, à Hveravellir

La route du sud, c’est celle qui mène à Landmannalaugar, saint lieu des randonneurs. Cette étape est censée être le clou du voyage. C’est plutôt un crève-cœur. Les montagnes ne décolèrent pas. Tout n’est qu’averses et brouillard. Je me risque toutefois à une ascension sur les cimes cernant le campement. Mauvaise idée. Départ à 9 h. À 9 h 15, mon poncho «d’urgence» est déchiqueté par le vent. À 9 h 20, la pluie transperce mes vêtements imperméabilisés.

Une fois les pentes à pic battues, une joute s’engage, le long des crêtes, contre des rafales s’évertuant à me précipiter dans la vallée. Mes doigts, gelés, refusent de manipuler l’appareil photo. À quoi bon? De larges cumulonimbus masquent les environs. Je regagne le camp la queue entre les jambes… Preuve qu’il y a de l’espoir, le vert sera omniprésent au cours de la promenade suivante. Sous un temps maussade, je découvre un amoncellement de collines, revêtues d’une mousse volcanique au vert mystérieusement pâle, strié de bandes noires.

Il ne me reste qu’une matinée quand Landmannalaugar décide de révéler son vrai visage, ensoleillé. Je choisis une piste brève, intense, mais magique. Je suis encerclé par des reliefs aux allures de pâte à modeler, entrelacs de couleurs pastel: jaune, orange, vert, rouge… une vraie palette de peintre! J’ai la vague impression de déambuler dans une toile signée Cézanne. C’est le souffle coupé que je quitte les lieux – et la faute n’en revient pas à la raideur des pentes.

Peurs bleues
À ce tableau ne manque plus qu’une touche de bleu. Deux endroits s’offrent à moi. Le premier est le Vatnajökull, plus grand glacier d’Europe (8300 km2), que j’explorerai en groupe organisé. Armés de crampons et piolet, accompagnés d’Örn, notre guide de montagne, nous bravons l’une de ses langues, au départ de Skaftafell, au sud-est du pays. «Le glacier est comme un être vivant, souligne Örn. Des éruptions éclatent régulièrement en sous-sol et en modifient la structure.» Selon lui, dans 200 ans, ce géant de glace aura fondu, en raison du réchauffement planétaire. Tant qu’il est encore là, nous attaquons sa croûte mouchetée de cendre noire – gracieuseté des volcans alentour. Çà et là, nous enjambons des crevasses d’un bleu azur sidérant; beauté piégeuse: Örn, assénant des coups de piolet sur le chemin, dévoile des gouffres qui ne demandent qu’à nous engloutir. Sueurs froides…

Pour conclure l’escapade, notre éclaireur propose une initiation à l’escalade sur glace. Après nous avoir observés nous démener comme des beaux diables sur la paroi, l’Islandais commente: «Pas mal, mais on peut le faire ainsi…» Il croise alors les bras et grimpe de la seule force de ses crampons. Bref, on s’y est pris comme des pieds!


Silfra, frontière entre deux continents

La seconde nuance de bleu se cache sous l’eau, à Þingvellir (ou Thingvellir), antique lieu de rassemblement du Parle­ment islandais. Ce sera le terminus du séjour, où repose un lagon bien particulier à explorer. Vu de l’extérieur, ce dernier semble pourtant terne et dépourvu d’intérêt. Surtout, sa température s’élève seulement à 2 °C. Les participants hésitent à se jeter à l’eau, malgré les combinaisons matelassées. Mais une fois le premier et désagréable «plouf!» passé, l’étrange abysse livre ses secrets. J’oublie immédiatement le bleu de mes lèvres, celui du lagon étant fantastiquement profond et limpide. Notre accompagnateur tire ceci au clair: «L’eau, qui provient du glacier Langjökull, plus au nord, a été filtrée pendant 30 ans par les souterrains volcaniques.»

Quand je narre mes séances de snorkeling, on me demande toujours si j’ai aperçu quelque poisson. Ce à quoi je réponds: «Oui, une raie géante.» Faut-il préciser que cette raie, appelée Silfra, est en fait une fissure béante, frontière des plaques tectoniques américaine et européenne? On nage donc à la lisière du Nouveau et de l’Ancien Monde, gouffre intensément noir. Pas de poissons, certes, mais quelle sublime raie!

De retour à Reykjavik, force est d’avouer que la beauté fatale islandaise m’en a fait voir de toutes les couleurs. J’ai mal partout, des chevilles aux mollets, des genoux au fessier.

Quoi penser de ce pays? Que ce n’est pas un pays. C’est une autre planète. Une planète infernale capable de vous mener aux anges. •


Les solfatares bouillonnent sans relâche.

Voisinage volcanique
Eyjafjallajökull. Bien peu sont parvenus à se rappeler du nom de ce volcan qui, pourtant, est resté gravé dans les mémoires: son éruption au printemps 2011 a semé une belle pagaille dans le trafic aérien transatlantique. Bien qu’il se soit rendormi, il aurait cependant réveillé son voisin, un tantinet à l’est, répondant au nom plus épuré de Katla. En effet, ces deux compères sont considérés comme liés, l’activité de l’un engendrant les soubresauts de l’autre. Or, des activités sismiques ont été enregistrées aux alentours du Katla en juin, juillet et octobre 2011; signes précurseurs d’une éventuelle éruption imminente. Les autorités islandaises restent sur le qui-vive, car ce volcan au «sommeil léger» a connu une vingtaine de réveils depuis un millénaire.

Repères
S’y rendre : plusieurs fois par semaine, Icelandair relie Toronto à la capitale islandaise, Reykjavik (www.icelandair.ca). On peut aussi transiter par Boston ou New York.

La meilleure période, pour visiter l’Islande s’étend de la fin de juin au début du mois de septembre. Le mois de juillet est le plus chaud de l’année et permet d’observer le soleil de minuit. Au-delà de la mi-août, les températures chutent progressivement (15 °C en moyenne durant le jour, et près de 0 °C la nuit).

Au rayon de l’hébergement estival, le camping est l’option la plus courante pour les pleinairistes. Réservation nécessaire pour les refuges de montagne: www.fi.is

Deux compagnies d’autobus proposent aussi des excursions: www.re.is et www.sterna.is

Pour cavaler depuis Reykjavik :
www.eldhestar.is ou
www.ishestar.is

Activités pour intrépides, du kayak à l’escalade : www.adventures.is

Pour affronter le glacier Vatnajökull : www.glacierguides.is ou www.moutainguides.is

À lire : le Routard et le Lonely Planet sur l’Islande (en français) restent deux références sûres.

À lire sous la tente: Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne.
www.goiceland.org et www.visiticeland.com