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Aventures automnales
Pour une virée colorée entre mer et montagnes, on met le cap sur la Gaspésie.
Vallée Bras-du-Nord au pas de course
Avec ses 85 km de sentiers, le réseau de randonnée pédestre de la Vallée Bras-du-Nord peut se targuer d’être un des plus costauds au Québec. C’est aussi un des plus agréables à découvrir à grandes enjambées, a-t-on constaté.
Le réveil a sonné tôt ce matin-là, à l’heure, glorieuse, de tous les possibles. Le rideau se lève tout juste sur la journée naissante alors que nous filons en direction de Portneuf, au nord-ouest de Québec. Au menu : le sentier du Philosore de la Vallée Bras-du-Nord, le fameux paradis du plein air. Long d’environ 30 km, Le Philosore est un parcours linéaire de niveau avancé qui requiert normalement trois jours de randonnée en autonomie et deux nuits en refuge. Une éternité ! Notre plan consiste plutôt à avaler la distance – et son dénivelé positif de 1000 m – en une seule journée, au pas de course. Notre seul bagage : une veste de course minimaliste dans laquelle on glisse l’essentiel, soit des barres énergétiques, un manteau imperméable compressible quelques vêtements, une poignée de comprimés de purification d’eau, au cas où.
Les premières notes de la symphonie du monde résonnent encore lorsque nous rencontrons Sébastien Moisan dans le stationnement de l’hôtel Roquemont, à Saint-Raymond de Portneuf. Au volant de sa fourgonnette, le chauffeur de Taxi Bédard assure la navette entre les accueils Perthuis et Mauvaise, points d’entrée et de sortie du sentier – on peut également le faire en sens inverse. Dans les deux cas, le tarif est le même : 70 $ pour le service de navette. En cours de route, nous faisons plus ample connaissance avec le personnage au naturel enjoué… et un brin taquin. « En tout cas, vous me paieriez cher pour prendre votre place ! Des randonneurs, j’en véhicule souvent, mais des coureurs… », lâche-t-il. Le message a le mérite d’être clair : nous sommes des oiseaux rares.
À 8 heures tapantes, l’équation est posée. Il ne reste plus qu’à la résoudre. Rapidement, on constate que Le Philosore se prête à merveille à ce genre de raid sportif. Le sentier, sauvage, traverse la forêt ancienne du sud de la zec Batiscan-Neilson. Hormis de vigoureux résineux bordés de tapis de mousse veloutée, nous n’y croisons pas âme qui vive. Le parcours contourne lacs et marais, en plus d’offrir maintes montées et descentes, synonymes de points de vue imprenables sur un territoire encore à l’état brut. Certaines sections boueuses nous forcent à jouer du pied et à dévier quelque peu de l’itinéraire établi. Heureusement, le balisage vient d’être refait, comme de nombreux ponceaux, d’ailleurs. Impossible de se perdre ! Au 9e km, le premier refuge est en vue. Déjà.
De grandes ambitions
Le Philosore ne représente pourtant que le tiers de l’ensemble du réseau de 85 km de sentiers de la Vallée Bras-du-Nord. De fait, celle-ci est une coopérative de solidarité qui met en valeur les environs de la rivière Bras du Nord, une ancienne vallée glaciaire tout en falaises vertigineuses et en chutes imposantes. À l’origine de cette coalition disparate de propriétaires, d’acteurs régionaux du milieu récréotouristique et de travailleurs récréoforestiers, il y a une volonté collective de diversifier l’économie du coin. En 2002, à la naissance de la coopérative, celle-ci était alors moribonde ; Saint-Raymond de Portneuf, capitale québécoise de la motoneige, subissait les contrecoups de la crise du bois d’œuvre qui opposait le Canada aux États-Unis. Et ses pourvoiries, fréquentées historiquement par de riches Américains, n’étaient plus la manne d’autrefois.
Près de deux décennies plus tard, la page est tournée sur cette sombre période. Le cap des 100 000 jours-visites par année a récemment été dépassé. Environ 40 % de cet achalandage est dû aux amateurs de randonnée pédestre et de raquette, tandis que le vélo de montagne représente près d’un séjour sur deux. Il faut dire que VBN, pour les intimes, est la mecque du vélo cramponné au Québec. Son réseau de plus de 100 km a acquis une renommée internationale ; on vient de loin pour se colletailler avec la Neilson et la Légende, pour ne citer que ces deux chefs-d’œuvre. D’ici à 2022, on évoque d’ailleurs une augmentation de 50 % du nombre de jours-visites annuels, une croissance qui devrait être en grande partie alimentée par l’ouverture progressive de 40 km de nouveaux sentiers de vélo de montagne.
Le réseau de sentiers de randonnée pédestre n’est pas délaissé pour autant. Bien au contraire : il reçoit de l’amour sur une base régulière, explique Magalie Hurtubise, coordonnatrice des réservations, des communications écrites et des médias sociaux à la Vallée Bras-du-Nord. « L’an dernier, nous avons rempoté les racines du très fréquenté sentier Bras-du-Nord jusqu’à la chute Delaney, dans le secteur de l’accueil Shannahan. Nous avons aussi amélioré la montée subséquente pour que le ruissellement se fasse mieux, en plus d’y aménager un belvédère », énumère-t-elle. Des travaux sur le bien nommé sentier des Falaises sont prévus en 2020. Les différents refuges du réseau subiront aussi une cure de jouvence. Le tout au plus grand bonheur des amateurs de rando… et de course.
Les pionniers du trail au Québec
Parlez-en à Jean Fortier. Il y a 12 ans, l’homme a littéralement mis la Vallée Bras-du-Nord sur le radar des coureurs en sentier en y organisant la Trans Vallée, une course par étapes d’une fin de semaine complète, généralement à la mi-août. Le concept était simple : les participants alignaient chaque jour une plus ou moins longue distance de course dans les sentiers de l’endroit, dont certains étaient spécialement ouverts pour l’occasion. Après l’effort, ils piquaient leur tente au camping Etsanha, qui faisait office de village des participants… dénué de douches. « À l’époque, personne ne savait ce qu’était VBN. On me regardait avec des points d’interrogation dans les yeux ! » se souvient celui qui a dirigé les opérations de l’événement depuis ses débuts.
Bien de l’eau a coulé dans la Bras-du-Nord depuis. Cette année, la Trans Vallée, une des plus vieilles et difficiles courses de trail au Québec, revoit de fond en comble sa formule. À la trappe la version longue sur trois jours ; l’événement sera désormais présenté sur une seule et unique journée, pendant laquelle des distances de 10, 21 et 37 km seront proposées. Pendant ses belles années, la Trans Vallée et ses sous-produits, la Trans Vallée X et la Trans Express, attiraient jusqu’à 600 coureurs. En 2019, ils étaient à peine 350, soit près de la moitié moins. « Je suis fier de dire que l’événement Trans Vallée a inspiré plusieurs autres organisations au Québec au fil des années », se console Jean Fortier, citant entre autres l’exemple de l’Ultra-Trail Harricana de Charlevoix.
Géo Plein Air était présent en août dernier à l’occasion du chant du cygne de la formule traditionnelle de Trans Vallée. Heureusement, l’ambiance était tout sauf funéraire – l’annonce de la condensation de l’événement n’a eu lieu qu’au début 2020. Le vendredi en fin de journée, l’auteur de ces lignes épinglait son dossard et dépoussiérait sa lampe frontale en vue du 10 km de nuit. Puis, à la brunante, il s’élançait en compagnie de 130 fous sur une boucle de 3,2 km à compléter à trois reprises. Là, en pleine noirceur brumeuse et en dépit de son flux lumineux faiblissant – « Vérifiez vos piles avant le départ », conseillaient les organisateurs –, il a vécu son baptême du trail. Et quel baptême ! On dit que la Trans Vallée est une des courses en sentier des plus techniques au Québec ; c’est bien vrai. On dit aussi que c’est une des plus belles.
Retour à la civilisation
Le lendemain du 10 km de nuit, plusieurs participants prenaient le départ de l’épreuve reine de 38 km de la Trans Vallée. Comme nous, ils s’enfilaient l’intégralité du sentier du Philosore (30 km) avant de poursuivre sur celui de la Mauvaise pour les huit dernières bornes de l’épreuve. Les plus dégourdis ont survolé le parcours en moins de 4 h 30, aussi bien dire à une allure supersonique.
Pour notre part, sans trop nous presser et en nous accordant plusieurs pauses GORP, nous avons avalé Le Philosore en un peu moins de six heures. Après avoir longé les petit et grand lacs Morasse et monté un ultime button, nous rencontrons un chemin forestier qui nous reconduit sagement à notre bagnole. Nous sommes exsangues, mais enchantés par cette saucette express dans la nature.
L’aventure finit comme elle a commencé, au Roquemont, un passage quasi obligé après s’être dépensé dans la Vallée Bras-du-Nord. À la microbrasserie, nous croisons d’autres guerriers du dimanche qui, comme nous, réinventent le monde sous le coup d’endorphines fraîchement sécrétées. C’est le milieu de l’après-midi, et la Rosavie, une bière sure aux arômes de framboise et à la teinte rose pamplemousse, tombe dans les jambes. La journée a bel et bien tenu ses promesses.
EN BREF
Un paradis de course en sentier et de rando à une heure de la ville de Québec.
Attrait majeur
Le Philosore, un sentier sauvage et peu fréquenté qui, chose rare au Québec, se situe à un jet de pierre de la civilisation.
Coup de cœur
La bière et les ailes de poulet à la sauce BBQ à la microbrasserie de l’hôtel Roquemont, en fin de journée.
Projet En marche
La Vallée Bras-du-Nord est un joyau qui demande bien du polissage. Depuis les débuts de la coopérative, cette tâche aussi délicate que gargantuesque est confiée à un groupe de dix jeunes de la région aux prises avec divers problèmes, comme le décrochage scolaire ou la toxicomanie. Chaque été, dès le mois de mai, une nouvelle cohorte est recrutée, puis intégrée aux opérations. Six mois plus tard, en novembre, les bâtisseurs de sentiers sont méconnaissables : ils ont (enfin) goûté à un trop rare succès ! Grâce au projet En marche, plus de 250 jeunes se sont ainsi réapproprié leur existence, en réintégrant les études ou le marché du travail. Envie d’en savoir plus ? Un documentaire éponyme, En marche, a été produit en 2017. On peut le visionner sur le site internet de la Vallée Bras-du-Nord.